Critiques littéraires

Drôles de joueurs de badminton

On est devant une écriture de scénariste avec le dialogue roi qui a débouché sur d’inoubliables versions cinématographiques

Drôles de joueurs de badminton

D.R.

Retour de Service de John le Carré, traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Isabelle Perrin, Le Seuil, 2020, 304 p.

«Une opération secrète anglo-américaine avec le double but de saper les institutions sociales-démocrates de l’Union européenne et de démanteler les tarifs douaniers internationaux. Dans l’ère post-Brexit, la Grande-Bretagne aura désespérément besoin d’intensifier ses relations commerciales avec les États-Unis. Les États-Unis sont d’accord pour répondre aux besoins de la Grande-Bretagne, mais en y mettant leurs conditions. Une de ces conditions sera une opération secrète conjointe pour recruter par la persuasion (chantage et pots-de-vin compris) des officiels, des parlementaires et des faiseurs d’opinion de l’establishment européen. Et aussi de propager des fake news à large échelle pour exacerber les différends existant entre les États membres de l’Union. »

C’est textuellement tout ce que l’on sait sur les causes de la guerre que se livrent, comme d’habitude, les services d’espionnage dans le dernier roman de David John Moore Cornwell alias John Le Carré, lui-même espion à la solde de Sa Majesté britannique pendant les années cinquante et soixante. Le reste, ce sont des intrigues et des coups bas d’agents anglais post-Brexit ou c’est du roman pur et simple comme on l’a souvent dit à propos de la trentaine d’ouvrages de cet auteur de 89 ans et dont l’écriture ne prend pas de rides.

Nous sommes presque dans l’actualité politique accompagnant Nat (contraction d’Anatoly devenu Nathanaël), Prue, sa femme, Ed qui a surgi de nulle part pour défier Nat au badminton et Flo (Florence) pour faire court et intime. L’histoire prend un éclairage inattendu avec ces agents de renseignements ouvertement opposés, comme ce que l’on sait sur les convictions européanistes de leur auteur, au retrait britannique de l’Europe et à une méchante alliance avec les États-Unis de Donald Trump qui favorise les visées anti-démocratiques de Vladimir Poutine.

L’intrigue met en scène une faune de transfuges et d’agents en fin de carrière réunis dans un annexe des renseignements appelé Le Refuge, et à l’exception d’une scène haletante où le jeune et obscur Ned se fait piéger, le tout se déroule au fil des conversations autour d’une bière à l’Athleticus Club, des écoutes téléphoniques, des vidéos surveillance ou à l’issue d’un match de badminton, jeu de raquette et de volant auquel renvoie ingénieusement la traduction du titre en français, Retour de Service. On est devant une écriture de scénariste avec le dialogue roi qui a débouché sur d’inoubliables versions cinématographiques comme La Constance du jardinier ou Le Tailleur de Panama et bien avant L’Espion qui venait du froid avec Richard Burton et Claire Bloom.

Derrière le cheminement des petits événements de la vie d’un certain service Russie basé à Londres, le lecteur s’accroche et attend le rebondissement, le dévoilement de l’agent double qu’on sent proche, caché parmi les personnages les moins soupçonnés de l’être comme le bon genre le veut… Bien sûr, il a fallu à John Le Carré un second souffle pour convoyer les guerres secrètes des services de renseignement après la fin de la guerre froide qu’il avait magistralement illustrée, entre autres, avec un premier chef-d’œuvre, L’Espion qui venait du froid.

Retour de service ne se conclura pas donc sur une victoire ou un échec marquant la dominance de l’un des deux pôles, surtout qu’il n’y a plus de pôles mais des intérêts brouillés et incertains. La fin sera un geste gratuit d’amitié qui libère les deux couples, l’un qui se refait après une longue absence (Nat et Prue) et l’autre (Ed et Flo) qui commence, un happy end qui se fait aux dépens des obligations de service et de la médiocrité ambiante parmi les taupes de Sa Majesté.

Retour de Service de John le Carré, traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Isabelle Perrin, Le Seuil, 2020, 304 p.«Une opération secrète anglo-américaine avec le double but de saper les institutions sociales-démocrates de l’Union européenne et de démanteler les tarifs douaniers internationaux. Dans l’ère post-Brexit, la Grande-Bretagne aura désespérément besoin d’intensifier...

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