Dans un contexte de sclérose politique et économique et de détresse grandissante au niveau social, plusieurs députés convergent désormais vers une participation à un front d’opposition au sein du Parlement, qui se veut en phase avec les revendications du mouvement du 17 octobre. Annoncée par Neemat Frem, député du Kesrouan et ancien membre du bloc du Liban fort (dominé par le CPL) lors d’un talk-show télévisé dimanche dernier, la volonté des élus trouve sa source dans la profonde insatisfaction qu’ils affirment ressentir à l’égard des prestations du pouvoir et des forces politiques traditionnelles. Cette « mouvance spontanée », comme l’appelle M. Frem, devrait inclure des députés indépendants, mais également les élus du parti Kataëb, ainsi que d’autres appartenant à des blocs parlementaires sans pour autant être partisans. Tous se disent motivés par la nécessité de défendre les droits du peuple, une nécessité qui s’accroît à mesure que la crise s’aggrave, à l’ombre d’une inaction totale de la classe dirigeante.De qui ce front serait-il composé ? Quels seraient ses objectifs précis ? Parviendrait-il à les réaliser face aux blocs dominants du Parlement qui continuent de pratiquer blocages ou partages (selon la nature des marchés) ?
Les questions sont nombreuses, d’autant que le front parlementaire d’opposition demeure encore à l’état d’ébauche. Dans les esprits, il germe toutefois depuis plus ou moins longtemps, selon l’appartenance politique des députés intéressés. Pour ce qui est des Kataëb – qui ont démissionné du gouvernement en 2016 en signe de protestation contre la multitude de transactions douteuses conclues aux dépens de l’intérêt national –, leurs députés s’étaient attelés en quasi solitaires à la lutte contre la corruption. Lorsque deux ans plus tard, Paula Yacoubian a accédé à l’hémicycle, ils ont trouvé en elle une partenaire avec laquelle ils partagent « une plate-forme commune », déclare Élias Hankache, député Kataëb. La collaboration avec la députée indépendante de Beyrouth a donc été immédiate, se traduisant notamment par des recours en invalidation de plusieurs lois. Pour Mme Yacoubian, la priorité du front serait de poursuivre les actions pour faire passer des lois répondant aux revendications du mouvement du 17 octobre, comme celles relatives à l’indépendance de la justice, ou encore une loi sur la levée du secret bancaire qui amenderait le texte législatif voté récemment après avoir été vidé de son objectif principal de demander des comptes aux responsables corrompus. Fouad Makhzoumi, autre député indépendant de Beyrouth et président du parti du Dialogue national, se montre lui aussi enthousiaste quant à la création d’une mouvance fédératrice. Il déplore en effet que la Chambre des députés vote le plus souvent « des lois pour la protection des corrompus ». Ce nouveau front s’appliquerait ainsi à exercer des pressions pour faire adopter des textes « clairs et dénués de pièges », selon Paula Yacoubian, qui serviraient aux demandes de la contestation populaire. Une fois ce test passé, on pourrait fortifier l’opposition parlementaire jusqu’à parvenir à « renverser tout l’establishment » pour le remplacer par des composantes soucieuses de relever le pays du marasme dans lequel la corruption l’a plongé, avance la députée.
« Le temps n’attend plus »
Parmi les parlementaires séduits par ce front, Chamel Roukoz et (certes) Neemat Frem, l’auteur de l’annonce. Les deux députés du Kesrouan avaient tour à tour claqué la porte du bloc aouniste : le premier en juillet dernier, lors du vote du budget 2019 qui a imposé une réduction des pensions des militaires retraités, et le second en octobre, au début du mouvement de contestation, en signe d’appui aux revendications populaires et de protestation. Pressés par « le temps qui ne peut plus attendre », selon les termes d’un activiste de la société civile, les deux élus semblent chacun avoir activé leurs contacts.
Chamel Roukoz multiplie ses concertations avec plusieurs députés, ainsi que d’anciens militaires et d’anciens cadres du CPL. Pour le gendre du chef de l’État, la démarche vers un front unifié n’est pas dirigée contre la présidence, mais vise à satisfaire les demandes de la population. Il ne s’agit pas de mener une bataille d’intérêts politiques, mais de lutter pour réaliser les réformes attendues. L’ambition serait ainsi de faire porter la voix de la rue à l’intérieur de l’hémicycle. Les contestataires seraient « réconfortés en entendant des parlementaires parler leur langage », estime Fouad Makhzoumi. Se sentant solidement soutenus, ils seraient plus nombreux à manifester pour réclamer leurs droits, ce qui leur donnerait plus de chances de les obtenir. Car réciproquement, une participation massive et intense au mouvement de contestation est un excellent mode de pression pour obliger le Parlement à adopter des lois en harmonie avec les attentes populaires. S’il veut aller bien plus loin, le bloc d’opposition pourrait réclamer un gouvernement doté de pouvoirs exceptionnels lui permettant de légiférer par décret.
D’autant que le cabinet actuel, « façade » des forces du 8 Mars, n’en finit pas de tergiverser, fait-on observer. Le chef du mouvement de l’Indépendance, Michel Moawad, qui n’assiste plus depuis plusieurs mois aux réunions du bloc du Liban fort et se démarque constamment par ses prises de position personnelles en faveur des réformes, serait lui aussi un candidat susceptible de rejoindre ce nouveau front. Encore faudrait-il pour lui que celui-ci ait une portée nationale, c’est-à-dire coordonne avec les forces actives de la société civile. Plusieurs députés opposants à la classe dirigeante entretiennent d’ailleurs des contacts continus avec des dizaines d’organisations du mouvement du 17 octobre. Sur un autre plan, compte tenu des valeurs souverainistes prônées par M. Moawad, la mouvance devrait être animée de ces valeurs pour qu’il y adhère. Ce qui rejoint le point de vue de certains élus comme Élias Hankache qui, avec Samy Gemayel et Nadim Gemayel, compose le bloc des Kataëb, fustigent les armes du Hezbollah. Pour M. Hankache, celles-ci sont ainsi un « élément protecteur de la classe corrompue, à l’ombre duquel un État de droit ne peut s’édifier ».
Si les autres participants à ce front en gestation pensent généralement de cette même façon, certains d’entre eux considèrent toutefois que le dossier des armes n’est pas prioritaire à l’heure où les gens ont faim. Dans les milieux proches de Chamel Roukoz, on estime que la question devrait plutôt être traitée dans le cadre d’une stratégie nationale de défense qui définirait l’ennemi à combattre, évaluerait les moyens militaires et trancherait sur la détention du pouvoir de décision de guerre et de paix. Cette position ne devrait pourtant pas empêcher les autres députés concernés d’intégrer le front, d’autant que même le mouvement de contestation, dans son écrasante majorité, évite sciemment de mettre sur le tapis la résolution 1559 du Conseil de sécurité, qui prévoit le désarmement des milices armées.
Délai de 15 jours ?
Sur les 128 députés que compte le Parlement, le concept de bloc d’opposition pourrait intéresser d’autres élus encore, comme Oussama Saad, député indépendant de Saïda, Michel Daher, qui, à la différence du groupe du Liban fort dont il fait partie, n’a pas accordé sa confiance à l’actuel gouvernement, ou encore Jean Talouzian, qui se distingue souvent du bloc parlementaire de la République forte (Forces libanaises) dont il est membre. Mais onze députés opposants suffiraient-ils pour faire le poids ?
Élias Hankache en est convaincu, d’autant, dit-il, que même seuls, les Kataëb ont pu accomplir des choses sur ce plan. « Avec de nouvelles élections, que nous souhaitons anticipées, le nombre de nos partenaires pourrait atteindre 30 ou 40 », avance-t-il.
En attendant, certains indiquent que le nouveau front devrait voir le jour dans un délai de deux semaines, à travers un communiqué détaillant sa composition et ses objectifs. D’autres affirment au contraire qu’il n’y aura pas d’annonce officielle de création, mais des prises de position régulières.
commentaires (7)
Juste a titre de clarification, la strategie de défense ne se discute pas avec un parti ou qui que ce soit d'autre. Celle-ci est établie par l’armée et en fonction de la politique du gouvernement en place. Dans le cas du Liban, nos deux voisins sont aussi dangereux l'un que l'autre et donc elle doit se baser en fonction de cette réalité en préparant nos forces armées et notre politique défensive de manière a être prête a faire face a une agression Syrienne, Israélienne ou même des deux! Aujourd'hui la seul vraie agression et le principal danger pour le Liban est l'agression Iranienne par l’intermédiaire du Hezbollah. Il est la bête a abattre pour que le Liban puisse se remettre de ces cendres. toutes les demandes du peuple sont justes et a leurs places, mais il n'en verra rien tant que le parti Iranien continue a détenir des armes et a se comporter comme dans un pays conquis. Puisqu'il le fait alors le peuple a le droit de se rebeller et de lui faire une guérilla a la hauteur se son arrogant comportement. Si ces messieurs pensent le faire a travers le parlement, très bien, mais leurs actions ne serviront a rien sans régler d'abord la question des armes. Ils sont 11 et auront surement l'appui des FL soit 15 députés de plus. Les voila déjà 26 parole de scout!
Pierre Hadjigeorgiou
16 h 25, le 26 juin 2020