
L’ancien ministre Gebran Bassil. Photo d’archives Attila Kisbenedek/AFP
Au-delà des déclarations fracassantes – « Je ne veux pas être président de la République » – ou des appels clairement destinés à la mobilisation de la base – notamment quand il parle à plus d’une reprise « d’assassinat politique », liant cela à sa lutte contre la corruption – le chef du Courant patriotique libre, le député Gebran Bassil, a fait passer des messages plus ou moins subtils dans différentes directions lors de son intervention télévisée samedi. C’est ainsi qu’on peut interpréter ce clin d’œil en direction des États-Unis, avec qui il affirme que le Liban ne devrait pas « entrer en confrontation », tout en exprimant son inquiétude concernant les répercussions de la loi américaine César. Encore plus remarquable est sa distanciation vis-à-vis du discours de son allié, le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah qui, quelques jours plus tôt, avait souligné la nécessité de se diriger vers l’Est (la Chine et l’Iran, principalement) en cas de sanctions américaines contre la Syrie et le Liban, qu’il a estimés aussi concernés l’un que l’autre par la loi César, entrée en vigueur le 17 juin et prévoyant des sanctions contre quiconque aiderait le régime syrien.
M. Bassil s’est donc démarqué sur ce point précis de son allié, estimant que le Liban ne serait obligé de se tourner vers l’Est qu’en cas d’effondrement total dans un scénario à la vénézuélienne, mais que ce ne serait pas son choix. « Nous ne voulons pas tourner le dos à l’Occident. Nous voulons que notre pays soit équilibré. Nous voulons qu’il reste enraciné en Orient et qu’il maintienne ses relations avec son voisinage, mais qu’il ait toujours les yeux tournés vers l’Occident », a-t-il affirmé.
Cette partie du discours a interpellé les observateurs, qui se demandent si cette divergence de vues est simplement conjoncturelle, si elle entre dans le cadre d’une distanciation croissante entre les deux alliés, si elle dénote une crainte de sanctions potentielles, ou encore s’il s’agit d’une différence de façade, une sorte de répartition des rôles entre les deux chefs de partis. Si certaines sources estiment que ce message est un mélange de tous ces facteurs, toutes les personnes interrogées s’accordent à dire que ce n’est pas la première fois qu’une telle divergence est constatée, soulignant la « position inconfortable » dans laquelle se trouverait le leader du CPL.
Une alliance « encore indispensable »
Pour Karim Émile Bitar, directeur de l’Institut des sciences politiques de l’USJ, « il s’agit bien d’une nouvelle tentative de distanciation de Gebran Bassil par rapport au Hezbollah ». « Ce n’est pas la première fois, poursuit-il. Il y avait déjà eu des clins d’œil lancés à l’Occident, ou encore sa célèbre déclaration dans laquelle il disait qu’il n’avait pas de problème idéologique avec Israël. Il a déjà tenté plus d’une fois de marquer ses distances par rapport au Hezbollah, dont il réalise que les positions sont de plus en plus impopulaires en milieu chrétien. Mais ces tentatives pourraient ne pas porter leurs fruits : il risque de perdre les avantages que lui avait conférés son alliance avec le parti chiite, sans pour autant regagner la confiance de la rue chrétienne. »
M. Bitar constate en outre que Gebran Bassil a souvent tendance à surfer sur les émotions de sa base et inscrit cette nouvelle contradiction dans le cadre « de divergences de plus en plus marquées entre le CPL et le Hezbollah », trouvant improbable que les deux prises de position soient concertées. Toutefois, les choses ne sont pas aussi simples. « Des déclarations comme celles-ci montrent que celui qui les fait est dans une situation très inconfortable parce que le CPL n’est pas encore prêt à se démarquer radicalement du Hezb, mais est contraint à chaque fois de s’en distancier sans pouvoir rompre cette alliance qui lui est encore indispensable », estime-t-il.
« Pas de véritable politique étrangère au Liban »
Halimé Kaakour, professeure à la faculté de droit et de sciences politiques à l’Université libanaise et militante politique, trouve pour sa part que les divergences de vue entre tel ou tel parti ne sont qu’un « détail » quand l’État est incapable de dessiner une véritable politique étrangère qui protègerait tous ses citoyens. « Il n’y a pas de véritable politique étrangère au Liban, mais des partis qui font des compromis selon leurs propres intérêts et suivant leur dépendance à des acteurs et des pays étrangers, constate-t-elle. Cela est dû à l’absence d’institutions capables de définir les contours d’une politique étrangère digne de ce nom. »
L’activiste en veut pour preuve le fait que la politique de distanciation adoptée par le gouvernement vis-à-vis du conflit syrien n’a été respectée par aucun parti, à une époque où le Hezbollah s’est impliqué dans les combats en Syrie. « Pour ce qui est du député Bassil, on ne peut que constater qu’il n’a jamais été très clair dans ses positions vis-à-vis du Hezbollah, poursuit-elle. Je ne crois pas d’ailleurs que son public soit d’accord pour se maintenir dans un seul axe ou de ne se tourner que vers l’Est. »
Pour Halimé Kaakour, la priorité est de fonder un État digne de ce nom et des institutions constitutionnelles capables de prendre en compte les intérêts économiques et politiques de tous les Libanais sans discrimination. Or les prises de position de ces derniers jours, quelles que soient les relations entre les partis concernés, ne servent pas cet objectif.
« Je ne veux pas être président ! »
Outre sa distanciation par rapport à l’option de diriger le Liban vers l’Est pour pallier les sanctions économiques (lire par ailleurs), le député Gebran Bassil a déclaré dans son intervention de samedi « ne pas vouloir devenir président » et préférer « lutter contre la corruption ». Estimant que sa formation est « la cible d’un assassinat politique de masse », il a assuré que le gouvernement a été victime d’une tentative de renversement, affirmant que personne ne retirerait sa confiance à ce cabinet et qu’il n’y avait pas d’alternative.
« Si notre projet venait à échouer, c’est l’État dans son ensemble qui serait renversé. Avec la fin de l’État, c’est la fin de notre existence, sauf si leur projet est que les milices reprennent la place de l’État et les mini-États celles du Grand Liban », a-t-il ajouté, assurant cependant que « les lignes de démarcation ne reviendront pas ». Rejetant toute sédition entre sunnites et chiites, et entre chrétiens et musulmans, M. Bassil a déclaré que le dialogue national élargi prévu à Baabda jeudi prochain « vise à éviter la sédition ».
Le chef du CPL a également abordé la crise économique et monétaire. « Assurer la stabilité monétaire passe par des mesures dont la Banque du Liban porte la responsabilité. Elle ne doit pas se limiter à une injection limitée de dollars, qui est inutile sans mettre un terme à la spéculation et sans une dédollarisation progressive de l’économie », a-t-il affirmé.
Au-delà des déclarations fracassantes – « Je ne veux pas être président de la République » – ou des appels clairement destinés à la mobilisation de la base – notamment quand il parle à plus d’une reprise « d’assassinat politique », liant cela à sa lutte contre la corruption – le chef du Courant patriotique libre, le député Gebran Bassil, a fait...
commentaires (15)
SES PAROLES DISENT EN MEME TEMPS LES CHOSES ET LEUR CONTRAIRE. ELLES ONT DEUX SENS SI CE N,EST PLUSIEURS. LE PARAVENT RESTE PARAVENT. SES REVES EN IMPOSENT.
JE SUSPEND L,ABONNEMENT - LA LIBRE EXPRESSION
19 h 14, le 22 juin 2020