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Lifestyle - Le point de vue d’une photographe ethnologue

Jardins bidon, sèche-linge ou balcon oxygène ?

Les balcons induisent un rapport intérieur-extérieur propre non seulement à la configuration spécifique de chaque maison, mais aussi à chaque communauté, chaque classe sociale, chaque origine de ceux qui les habitent.

Jardins bidon, sèche-linge ou balcon oxygène ?

« Balcons ». Copyright Houda Kassatly

La tendance actuelle des Beyrouthins est à l’abandon des balcons utilitaires et à leur conversion en espace-serre qui confine définitivement la vie familiale à l’intérieur des appartements. Ce n’était pas le cas autrefois, quand les balcons constituaient un espace ouvert, mixte, un entre-deux, ni tout à fait dedans ni tout à fait dehors, reflet d’une vie sociale introvertie et nourrie par un réseau étroit de voisinage à travers lequel les habitants participaient d’une manière ou d’une autre à la vie publique. En témoignent les nombreux romans libanais ou films qui ont fait du balcon le support des liaisons qui se font et se défont, des dialogues, des intrigues et disputes notoires qui se déroulaient par vérandas interposées.

Ces ouvertures sur l’extérieur induisent un rapport intérieur-extérieur propre non seulement à la configuration spécifique de chaque maison, mais aussi à chaque communauté, chaque classe sociale, chaque origine de ceux qui les habitent. Le mode de fonctionnement et d’utilisation des balcons et le rapport entretenu avec cet espace particulier varieront donc selon que les habitants sont originaires d’un village ou d’ascendance urbaine, s’ils appartiennent à une classe aisée ou s’ils habitent des quartiers populaires, ou encore s’ils font partie de familles musulmanes conservatrices. Ainsi, dans ce dernier cas, la voie d’entrée vers l’intérieur que constitue le balcon sera obstruée par d’épais rideaux qui ne laisseront passer aucun regard indiscret.

« Balcons ». Copyright Houda Kassatly.

Si certains habitants se calfeutrent à l’intérieur, d’autres bien au contraire se rapprochent, au travers de cet espace tampon, du monde du dehors qui leur permet de voir et de choisir d’être vus. Le balcon leur permet de consolider les liens avec le voisinage, mais aussi avec la vie de quartier et ses commerçants. C’est par un panier suspendu sur un balcon – à une époque où les ascenseurs se faisaient encore rares – que les habitants récupéraient les courses de chez l’épicier sans avoir à sortir de chez eux. On a vu refleurir ce système dans les villes italiennes au cours du dernier confinement où ils étaient utilisés pour tracter – en évitant tout contact – des dons solidaires aux personnes démunies.

Plus encore, le balcon peut se transformer en prolongement de l’espace de réception intérieur où les visiteurs sont accueillis à la belle saison. Ce n’était pas le cas dans nombre de familles bourgeoises où la tendance était de réprimander les enfants qui s’aventuraient dans cet espace qui risquait de révéler une intimité jalousée. Alors que ces familles privilégiaient la discrétion à ce qu’ils considéraient comme de l’étalage de soi, et ce d’autant plus qu’ils bénéficiaient de suffisamment de place à l’intérieur pour pouvoir se passer d’un salon supplémentaire, d’autres, originaires d’un monde où on vivait en extérieur, aménageaient sans aucun embarras le lieu, n’hésitant pas à le transmuer en lieu d’extension de la maison, y installant tables, chaises, guéridons… pour l’investir, dès que le temps le permettait, de jour comme de nuit. Ils y recevaient, y jouaient au tric-trac avec les voisins, y organisaient leurs rencontres du matin, ou « sobhié », y prenaient le frais ou s’y reposaient après une journée bien remplie. Le balcon restait ce lieu d’observation particulier qui permettait de participer – même si de manière passive – à la vie qui se déroulait dans la ville. Et pour ceux dont le balcon avait la chance d’être situé dans un emplacement stratégique, il constituait ce lieu à partir duquel on assistait, en compagnie des amis et des proches qu’on y avait conviés, à des faits politiques majeurs, des commémorations et des fêtes religieuses, comme nous pouvons le découvrir dans d’anciennes photographies où les gens massés dans des espaces parfois réduits occupaient les premières loges de l’événementiel.

Prendre le soleil

Avant l’expansion des jardins urbains dans le sillage des défis environnementaux, les Beyrouthins qui habitaient en hauteur et ne disposaient pas d’un jardin privatif investissaient le champ de leurs balcons – qu’elles qu’en soient leurs dimensions – pour les transformer en jardins bidon ainsi nommés puisque c’était dans des contenants en fer blanc vidés et recyclés qu’ils plantaient fleurs et végétations. C’est aussi sur balcon qu’ils venaient mettre à sécher légumes, fruits ou herbes pour les besoins de la production des provisions pour l’hiver, la « mouné » indispensable support de l’économie domestique.

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Dans la ville arrêtée, les balcons se déconfinent

Les balcons étaient aussi les lieux où s’actait la fin de l’hiver. C’est sur leurs balustrades que les habitants étendaient leur tapis, à la fin de la saison des pluies, pour qu’ils « prennent le soleil », pour ensuite les nettoyer avant de finir par les rouler, après les avoir généreusement parsemés de naphtaline, et les ranger dans un coin de l’habitation jusqu’à l’automne suivant. Ainsi, la ville se revêtait de ces tapis bigarrés dont la facture et le degré d’usure révélaient la situation économique des propriétaires de la maison, aisance pour les uns avec leurs beaux tapis persans, modestie pour les autres qui ne possédaient que quelques vieux tapis élimés ou de simples tapis manufacturés.

« Balcons ». Copyright Houda Kassatly

Dans ce rapport toujours privilégié qu’entretenaient les habitants de la ville avec le Soleil, c’est sur ces balcons que les habitants venaient étendre leur linge. Habitude parfois bien mal perçue, non en raison de la gêne qu’il y aurait à montrer l’intimité de sa garde-robe, mais parce qu’elle révélait l’origine rurale des habitants, réfugiés du Sud, venus investir les maisons beyrouthines parfois au grand dam des anciens résidents.

On ne peut clore ces quelques lignes sans évoquer ce balcon oxygène de tous les confinés. Il a ceux qui peinent à sortir de chez eux pour des raisons d’âge ou de santé, et qui y cultivent tant leurs jardins que le lien avec l’extérieur ; il y a ceux que la guerre a forcés à l’enfermement et qui, contraints à l’inactivité, y égrenaient les jours en période de trêve ; il y a ceux confinés par une certaine pandémie mondiale et qui, à cette occasion, en ont découvert les vertus, ce qui a peut-être ébranlé leur certitude quant aux bienfaits du repli sur soi ; il y a enfin et surtout toutes ces femmes migrantes, ces confinées permanentes qui sont chargées, dès l’aube, d’en prendre le plus grand soin et pour qui ces balcons représentent les uniques ouvertures par lesquelles elles peuvent regarder le monde vivre et s’agiter. Encore faut-il qu’on les autorise à s’y reposer…

Enfin, évoquons le souvenir de ces balcons éventrés d’où pendent tristement des fragments de fer forgé, qui révèlent parfois par leur absence la béance des intérieurs et qui, par l’outrage qu’ils ont subi, ravivent le souvenir d’une guerre honnie.

La tendance actuelle des Beyrouthins est à l’abandon des balcons utilitaires et à leur conversion en espace-serre qui confine définitivement la vie familiale à l’intérieur des appartements. Ce n’était pas le cas autrefois, quand les balcons constituaient un espace ouvert, mixte, un entre-deux, ni tout à fait dedans ni tout à fait dehors, reflet d’une vie sociale introvertie et...

commentaires (1)

"La tendance actuelle des Beyrouthins est à l’abandon des balcons" -- peut-etre il y a un lien avec les rues qui n'ont pas beaucoup d'espage pour pietons et il y a beaucoup de voitures. Je me souviens de balcons avec rideaux pour eviter le smog et le bruit des voitures. Il y a des rues a Beyrouth malheureusement ou il y a meme des "viaducts" pour voitures de facon que les pietons n'ont pas d'espace ! Donc resultat : plus d'interet a avoir un balcon vers la rue ... (bruit, pollution etc.) Pour restaurer les balcons, il faut faire une politique urbanistique pour diminuer le nombre de voitures et donner une chance a l'oxygene.

Stes David

12 h 06, le 21 juin 2020

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Commentaires (1)

  • "La tendance actuelle des Beyrouthins est à l’abandon des balcons" -- peut-etre il y a un lien avec les rues qui n'ont pas beaucoup d'espage pour pietons et il y a beaucoup de voitures. Je me souviens de balcons avec rideaux pour eviter le smog et le bruit des voitures. Il y a des rues a Beyrouth malheureusement ou il y a meme des "viaducts" pour voitures de facon que les pietons n'ont pas d'espace ! Donc resultat : plus d'interet a avoir un balcon vers la rue ... (bruit, pollution etc.) Pour restaurer les balcons, il faut faire une politique urbanistique pour diminuer le nombre de voitures et donner une chance a l'oxygene.

    Stes David

    12 h 06, le 21 juin 2020

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