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Société - Psychanalyse ni ange ni démon

2 - Respectons nos rites funéraires afin de bien commencer notre deuil

« Nos rites, nos mystères, nous dit Voltaire, ne peuvent point changer, ne sont pas incertains comme ces faibles lois qu’inventent les humains. »

Cette sortie de Voltaire peut tout à fait s’appliquer à notre situation au Liban, où les lois sont en permanence perverties, « Père-version » au nom d’un père fantôme qui ne sert plus à rien.

Dans l’article précédent paru dans L’OLJ du 3 juin 2020, nous avons vu comment la situation actuelle, déterminée par la lutte contre le coronavirus et sa transmission, nous imposait certaines restrictions au niveau de nos rites dont l’effet est certainement néfaste. Il reste à « déconstruire » ces rites pour bien évaluer leur fonction auprès de nous.

Nous avons vu la dernière fois que dans l’ensemble, les rites nous permettent d’approcher la mort en approchant le mort. « La mort a des rigueurs à nulle autre pareille », nous dit Malherbe (1555-1628), poète français. Les rites nous permettent donc d’approcher la mort en respectant sa rigueur.

Lorsque nous perdons un être cher, nous passons par différents états d’âme dont l’importance est égale à la temporalité qui les relie. Après le choc premier à la réception de la nouvelle, nous disons tous « non », un non qui rejette la nouvelle. C’est un « déni » qui nous permet de refuser la réalité et d’écarter la souffrance en la différant à plus tard. Pendant ce temps, il nous arrive de nous révolter et de crier à l’injustice divine. Refusant de perdre l’être cher, nous agissons comme nos ancêtres les primitifs par une incorporation, réelle, où l’ingestion du mort permet de le garder et de profiter ainsi de ses qualités. « L’identification », héritière de l’incorporation primitive, absorbe le mort : nous nous identifions au mort comme si nous voulions le garder en nous, d’où l’apparition de symptômes physiques : malaise, évanouissement, maladies diverses mais transitoires, etc. Ces symptômes témoignent de l’ambivalence des sentiments à l’égard du mort, ambivalence dont nous commençons à prendre conscience.

Cette ambivalence est au cœur du deuil. Elle est insupportable parce qu’elle nous fait prendre conscience de la haine envers le mort. L’amour du défunt arrive à peine à contenir la haine. L’ambivalence témoigne du degré de régression dans laquelle nous plonge le deuil, faisant de nous des personnes abandonnées. Comme les enfants, nous ne supportons pas qu’on nous abandonne et nous en voulons énormément à ceux qui le font (ici, le mort). L’enfant ne distingue pas entre la mort et l’absence et dans la régression dans laquelle le plonge le deuil, l’endeuillé est dans le même état d’indistinction. Et voilà où les rites vont intervenir.

En exprimant symboliquement cette ambivalence, les rites atténuent sa puissance et soulagent l’endeuillé. Quand on revient d’un enterrement, on ne serre pas la main aux amis que l’on rencontre. De même, on ne rentre pas directement chez soi, comme si la mort était contagieuse. Et quand on parle de la mort avec quelqu’un, on ne peut s’empêcher de dire « B3id min hon (loin d’ici) ». Le souhait de mort, inconscient, adressé à l’autre reste ainsi refoulé derrière sa négation, ou son retournement. Le repas funèbre, qui regroupe la famille et les amis, est en fait une incorporation du mort. En le partageant avec la famille du mort, nous exprimons notre solidarité, comme si nous leur signifiions « Vous n’êtes pas les seuls à le manger ».

À Madagascar, le retournement des morts, tous les 5 ans, est une preuve d’amour, par crainte d’une vengeance de leur part. On change le linceul et avant de les réenterrer, on glisse des offrandes.

Ainsi, comme on le voit, les rites nous soulagent en exprimant eux-mêmes notre ambivalence. Et dans les restrictions que nous impose la prévention de la transmission du coronavirus, nous imposons une souffrance, incontournable, aux familles des décédés.

« Nos rites, nos mystères, nous dit Voltaire, ne peuvent point changer, ne sont pas incertains comme ces faibles lois qu’inventent les humains. »Cette sortie de Voltaire peut tout à fait s’appliquer à notre situation au Liban, où les lois sont en permanence perverties, « Père-version » au nom d’un père fantôme qui ne sert plus à rien. Dans l’article...

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