
Sarah Hijazi, lors du concert de Mashrou’ Leila, au Caire, le 22 septembre 2017. Photo Facebook
« Je ne peux m’empêcher de pleurer dès que je vois sa photo. » Les communautés LGBTQ, de Beyrouth au Caire, sont en deuil depuis l’annonce du décès de Sarah Hijazi, l’une des figures du combat pour la cause homosexuelle en Égypte. La militante de 30 ans est décédée dimanche au Canada, où elle résidait depuis 2018.
La jeune femme, qui souffrait de dépression, s’est donné la mort en laissant derrière elle ces quelques mots : « À mes frères et sœurs, j’ai tenté de survivre et échoué ; pardonnez-moi. À mes amis, le voyage a été cruel et je suis trop faible pour résister ; pardonnez-moi. Au monde, vous avez été d’une cruauté sans nom ; mais je vous pardonne. »
Les messages de solidarité se sont multipliés sur les réseaux sociaux. Avec pour image cette même photo qui lui avait valu d’être emprisonnée, quelques années auparavant : celle du sourire conquérant de la jeune femme qui, lors d’un concert du groupe libanais Mashrou’ Leila le 22 septembre 2017 au Caire, brandissait le drapeau multicolore devenu symbole de la cause homosexuelle, queer et transsexuelle.
Le geste lui vaut d’être arrêtée à son domicile une semaine plus tard, lors d’une vague d’arrestations par les autorités aux côtés de dix autres militants en octobre 2017. Accusée de rejoindre un groupe interdit et de promouvoir la « pensée déviante », l’évènement fait la une de l’actualité nationale et embrase le pays : pour les représentants religieux comme pour une partie de la population, Sarah Hijazi participe à la diffusion de valeurs immorales considérées comme contraires à l’islam. Elle restera en prison plusieurs mois, jusqu’en janvier 2018, où elle est victime d’abus et d’harcèlement sexuel.
En Égypte, bien que l’homosexualité ne soit pas formellement interdite, plusieurs lois sont mobilisées par les autorités pour condamner ceux qui sont suspectés de « comportements déviants », « immoraux » ou « contre nature ». En 2015, un rapport de l’ONG Human Rights Watch faisait figurer des témoignages détaillant les pratiques à l’encontre des homosexuels – violences, viols et humiliations collectives. En 2018, l’ONG Bedayaa basée au Caire documentait 76 cas d’arrestations pour des comportements sexuels de même sexe, condamnés pour « débauches ». Parmi ces arrestations, plusieurs cas d’examens anaux sous contrainte ont été répertoriés – une pratique considérée comme une forme de torture selon la jurisprudence internationale.
L’arrestation de Sarah Hijazi s’inscrit donc dans un contexte plus large de répression et de marginalisation à l’encontre des communautés
LGBTQ, mais également d’une volonté claire de verrouiller le débat autour de la question homosexuelle, encore taboue dans de nombreux pays de la région et au-delà. En janvier 2019, Mohammad al-Ghaity, un présentateur égyptien de la chaîne satellitaire LTV, était condamné à un an de prison pour avoir simplement interviewé un homosexuel sur son plateau.
Les conditions d’existence des individus s’identifiant aux communautés LGBTQ ont connu un certain nombre d’améliorations dans certaines capitales arabes au cours des dernières années, notamment à la faveur de la libération de la parole et de l’émergence de nouveaux espaces de discussion, dans le sillage du printemps arabe. Les lois ont, elles, rarement été reformées. Alors que la montée, par les urnes ou les armes, de certains courants autoritaires a parfois remis en question les acquis révolutionnaires, la mort de l’activiste égyptienne vient réveiller le souvenir douloureux d’un espoir déçu. « Nous poursuivrons ton combat, Sarah », affirme sur Twitter une jeune femme se présentant comme « musulmane transsexuelle ».
Quand une société se bat contre l'injustice, elle ne peut pas accepter des injustices sous prétexte qu'elles ne sont pas prioritaires. Chacun mène le combat qui l'anime mais c'est un combat pour des droits humains élémentaires. Après tout, ils demandent de vivre leur orientation sexuelle comme ils le désirent. C'est une liberté. On peut mâcher une gomme en marchant, comme on dit au Québec. Un combat n'empêche pas l'autre. Le Liban et le monde arabe doivent comprendre que le passage à la vraie modernité doit se faire par une reconnaissance de l'individualité et des droits de chacun, pour paraphraser Amin Maalouf.
17 h 40, le 16 juin 2020