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Moyen-Orient - Éclairage

Le Yémen, victime improbable de la crise financière libanaise

Près de 300 millions de dollars de dépôts des banques yéménites sont bloqués au pays du Cèdre.

Le Yémen, victime improbable de la crise financière libanaise

Des vendeurs de fruits au Yémen, le 1er juin 2020. Khaled Abdullah/Reuters

La crise économique libanaise s’invite au Yémen. Selon la Banque centrale de ce pays (BCY), près de 300 millions de dollars de dépôts des banques yéménites sont bloqués au Liban, notamment dans des comptes ouverts à Bank of Beirut, depuis la mise en place en septembre de mesures informelles de contrôle des capitaux. Dans une enquête publiée le mois dernier, le groupe de réflexion Sanaa Center for Strategic Studies indiquait pour sa part que le montant en question était de 240 millions de dollars en octobre dernier, représentant 20 % du total des dépôts en devises des banques yéménites à l’étranger. Résultat de la crise de liquidités au Liban, les initiatives prises par les banques du pays empêchent depuis dix mois les transferts de capitaux en dollars à l’étranger, à l’exception de cas spécifiques, et impose des limites strictes sur les retraits.

Selon la BCY, ces mesures affectent directement les banques yéménites et les commerçants dans les transactions pour les importations de produits de première nécessité. Un obstacle qui s’ajoute à la limitation de leurs activités dans la foulée des mesures restrictives mises en place dans les années 2000 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Considérant les banques yéménites comme des interlocuteurs risqués au cours de ces dernières années, les banques occidentales sont devenues plus frileuses à leur égard. Ces éléments n’auraient cependant pas rebuté la Bank of Beirut alors que ses relations se seraient renforcées avec les banques yéménites, elles-mêmes profitant des avantages offerts par le système bancaire libanais. Ancré à la valeur du dollar, le taux de change officiel de la livre libanaise est de 1 507,55 LL pour un dollar depuis 1997, permettant aux clients des banques libanaises de disposer de comptes dans les deux devises. Ce système était non seulement intéressant pour les usagers libanais mais également pour ceux venant de l’étranger car il permettait jusqu’alors d’allier une certaine stabilité avec la possibilité d’effectuer des transactions commerciales en outrepassant les frais de conversion. Un ensemble rendu d’autant plus attrayant par les taux d’intérêt proposés par les banques libanaises, pouvant dépasser les 10 %.

« Dans de mauvais draps »

C’est dans ce contexte qu’une délégation yéménite s’est rendue à Beyrouth entre les mois de janvier et février derniers, enchaînant les réunions avec les représentants de Bank of Beirut et de la Banque du Liban (BDL). L’objectif : négocier le retrait d’une partie de ces capitaux bloqués au Liban. « La délégation yéménite a été très compréhensive par rapport à la situation de crise au Liban. Nous avons donc demandé de pouvoir retirer un montant qui couvrirait les importations de produits de première nécessité, soit 85 millions de dollars », rapporte Yasser al-Qubati, en charge des activités bancaires internationales et des affaires de financement du commerce à la Banque centrale du Yémen, lors d’un entretien accordé à L’Orient-Le Jour. « On voulait au moins pouvoir obtenir ce montant car il concerne les importations de blé, de sucre, d’huile, de lait pour enfant, de riz ou encore de médicaments », explique-t-il, considérant qu’il s’agit selon lui d’« argent frais » déposé courant septembre. Mais les banques libanaises ne voient pas les choses de cet œil. L’Association des banques du Liban considère que seuls les dépôts effectués après le 17 novembre 2019 peuvent être considérés comme de « l’argent » frais et être à ce titre retirés. La circulaire de la BDL n° 150 en date du 9 avril indique pour sa part que les banques ne peuvent limiter les droits des déposants à disposer de leur argent librement, mais sans poser de date pivot, et en précisant qu’un compte spécial doit être ouvert pour recouvrir ces fonds « frais » en devises, déposés en liquide ou depuis l’étranger.

Pour mémoire

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Un haut responsable bancaire yéménite a entre outre rapporté au Sanaa Center for Strategic Studies qu’une trentaine de commerçants yéménites se sont vu refuser des transferts de paiements par une banque libanaise. « Nous avons fait plus d’un milliard de dollars de transactions avec Bank of Beirut, et nous n’avons jamais eu de problèmes jusqu’à l’arrivée de la crise », souligne Yasser al-Qubati. « Aujourd’hui, nous sommes dans de mauvais draps à cause de Bank of Beirut car les commerçants yéménites ont perdu la confiance de leurs interlocuteurs qui refusent de leur livrer les marchandises tant que les paiements ne sont pas effectués à l’avance », déplore Yasser al-Qubati.

« Nous voulons éviter d’attaquer en justice Bank of Beirut »

Les importations représentent un maillon essentiel de l’économie yéménite car elles permettent à la population d’accéder aux produits de première nécessité. Le pays en dépend à plus de 90 % pour le blé et complètement pour d’autres denrées, à l’instar du riz ou du sucre, ainsi que pour la plupart du fuel, estime l’ONU. Au total, 80 % des Yéménites ont un besoin urgent d’assistance humanitaire dont 20 millions sont en état d’insécurité alimentaire. Les demandes de la délégation yéménite se sont cependant heurtées à des fins de non-recevoir. « Les représentants de Bank of Beirut disaient qu’ils avaient trouvé une solution avec la BDL et nous ont fait des promesses qui sont restées des paroles en l’air », déplore Yasser al-Qubati. Sollicitées à plusieurs reprises, ni la BDL ni Bank of Beirut n’ont souhaité répondre à L’Orient-Le Jour.

Depuis son retour avec le reste de la délégation yéménite à Aden, Yasser al-Qubati explique qu’il continue d’envoyer des mails aux interlocuteurs concernés à Bank of Beirut de manière hebdomadaire, restés sans réponse pour le moment. « Nous voulons éviter d’attaquer en justice Bank of Beirut », assure Yasser al-Qubati. « Nous souhaitons que la BDL intervienne et que nos amis au ministère saoudien du Budget et au sein de l’Union européenne nous aident à faire pression pour régler le problème en paix », affirme-t-il.Ces complications s’ajoutent à la longue liste de difficultés auxquelles le Yémen fait déjà face, exacerbées ces derniers mois dans la foulée de la pandémie de Covid-19. Crise humanitaire, économique, politique, sécuritaire, sanitaire… Les Yéménites sont les premiers à payer le prix de la situation dramatique dans laquelle se trouve le pays, en proie à un conflit sanglant depuis cinq ans entre les forces gouvernementales, soutenues par une coalition menée par l’Arabie saoudite, et les rebelles houthis, appuyés par l’Iran. Le Yémen « ne tient qu’à un fil », a déclaré la semaine dernière le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, faisant état d’une économie « en lambeaux ». Principal soutien du gouvernement de Abd Rabbo Mansour Hadi et enlisé dans le conflit au Yémen, Riyad a avancé 500 millions de dollars la semaine dernière lors de la conférence virtuelle qu’il a organisée aux côtés de l’ONU. Mais les observateurs craignent de voir le riyal yéménite perdre jusqu’à près de la moitié de sa valeur au cours de ces prochains mois.

La crise économique libanaise s’invite au Yémen. Selon la Banque centrale de ce pays (BCY), près de 300 millions de dollars de dépôts des banques yéménites sont bloqués au Liban, notamment dans des comptes ouverts à Bank of Beirut, depuis la mise en place en septembre de mesures informelles de contrôle des capitaux. Dans une enquête publiée le mois dernier, le groupe de réflexion...

commentaires (3)

Mince alors l’argent des émigrés ravitaillait non seulement la Syrie mais aussi le Yémen l’Irak et l’Iran Maintenant c’est au tour de Maduro d’être aidé en attendant le retour de Che Guevara pour qui nous payons beaucoup pour le ressusciter !

PROFIL BAS

13 h 41, le 14 juin 2020

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Commentaires (3)

  • Mince alors l’argent des émigrés ravitaillait non seulement la Syrie mais aussi le Yémen l’Irak et l’Iran Maintenant c’est au tour de Maduro d’être aidé en attendant le retour de Che Guevara pour qui nous payons beaucoup pour le ressusciter !

    PROFIL BAS

    13 h 41, le 14 juin 2020

  • Pauvre Yémen. Un malheur n’arrive jamais seul. Il lui manquait cette surprise bancaire libanaise pour ne plus pouvoir retirer son argent. Le Liban devra restituer la confiance arabe coûte que coûte .

    Antoine Sabbagha

    13 h 24, le 14 juin 2020

  • Pauvre Yemen, décidement ce "3ahed 2aweh" aura été criminel dans ses moindres facettes.

    Christine KHALIL

    16 h 09, le 13 juin 2020

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