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Culture - Édition

« Dis-moi dans quelle lumière tu es né, je te dirai qui tu es »

Faire chanter des voix littéraires méditerranéennes, dont celle de la Franco-Libanaise Valérie Cachard, au regard de photographies d’artistes qui tentent de saisir l’unicité d’une lumière liquide, tel est le projet que proposent les deux artistes autrichiens Irena Eden et Stijn Lernout dans leur dernier livre qu’ils ont édité eux-mêmes en mai 2020, « Circle Surface Sun, from Somewhere in the Mediterranean ».


Valérie Cachard envisage son écriture de la lumière comme un voyage spatio-temporel, où quelques figures incarnent la rencontre de la mer, des hommes et de la lumière. Photo Christophe Pean

Dans la lignée d’Albert Camus, qui a beaucoup écrit sur la spécificité de la lumière méditerranéenne, Irena Eden évoque avec enthousiasme la manière dont son mari Stijn Lernout et elle ont envisagé leur approche artistique de l’espace méditerranéen dans leur dernier livre, qu’ils ont édité eux-mêmes en mai 2020 : Circle Surface Sun, from Somewhere in the Mediterranean.

« Nous avons commencé il y a deux ans, en prenant un certain nombre de photos de la mer Méditerranée, essentiellement dans les Balkans, en Italie, en Croatie et en Bosnie. Nous avons également contacté un auteur par pays ouvert sur le bassin méditerranéen afin d’écrire autour de la lumière, en relation avec la mer. Les écrivains que nous avons choisis ont manifesté d’emblée une connivence stimulante. Tous les pays sont représentés, sauf Monaco. » La réflexion menée en filigrane revêt une dimension politique. « Ces dernières années, l’Europe peine à définir son identité, surtout depuis 2015, avec l’ampleur que prend la question des réfugiés. On assiste aussi à la montée des nationalismes, comme en Autriche, et on se rend compte que la mer Méditerranée est utilisée comme une frontière, comme une barrière, plutôt que comme un trait d’union. Pourtant, elle contient nos racines et a longtemps représenté un espace d’échanges et de brassage culturel. On a voulu connecter tous ces pays, avec l’idée de créer un espace commun. Notre livre mêle textes critiques et poétiques, et il est présenté, entre autres, dans l’exposition* que nous venons de monter au Kunstverein, sur le bord du lac de Constance, dont la topographie est intéressante puisqu’il se situe au carrefour de quatre pays. » L’auteure franco-libanaise Valérie Cachard a été choisie pour incarner la voix libanaise de l’ouvrage. « Je trouve son travail très intéressant, elle a participé à plusieurs projets interdisciplinaires et j’apprécie la sensibilité critique qui se dégage de son approche du monde et de la société », explique l’artiste autrichienne.



« Chez moi, on l’appelle la mer blanche du milieu »

Après son séjour en mars à Rouen, dans le cadre des festivals de langue française, au cours duquel elle a participé à la mise en scène de la pièce théâtrale pour laquelle elle a obtenu le prix RFI en septembre 2019, Victoria K, Delphine Seyrig et moi, ou la petite chaise jaune (2019), Valérie Cachard devait se rendre à Limoges puis à Hammana, dans la montagne libanaise, pour une résidence d’écriture autour d’un projet sur la révolution d’octobre. « Je souhaite écrire un texte théâtral autour de toutes les voix entendues pendant ces mouvements de protestation, qui ont utilisé différents canaux, comme les murs, où des slogans se dessinaient et s’effaçaient, indique-t-elle à L’Orient-Le Jour. Mon point de départ est cette explosion de soi qui a eu lieu et qui va dans tous les sens. » « En même temps, je travaille sur une autre pièce, Bloody Mary, autour du mythe mexicain de la llorona, où il est question de la maternité dévorante et d’infanticide », résume calmement l’auteure de Déviations et autres détours (Tamyras, 2016), qui est également en train de finaliser un projet avec l’Institut français avec un groupe de théâtre composé de femmes amatrices dont le travail d’écriture et de mise en voix sera prochainement accessible en ligne.

Lorsque Valérie Cachard est contactée pour participer au projet de Circle Surface Sun, elle n’hésite pas un instant à participer. « C’était en octobre 2019, et je les ai prévenus que j’étais très perturbée par tout ce qui se passait au Liban, mais j’ai aimé l’idée d’écrire autour de la lumière, à laquelle je suis très sensible. Et puis, ma grand-mère maternelle est autrichienne, et je l’ai peut-être vue comme l’appel d’un endroit auquel j’appartiens d’une certaine façon et où je ne suis jamais allée. » Pour écrire, « j’ai fait des balades puis je me suis mise à la fenêtre de ma maison, à Nahr Ibrahim, et j’ai regardé la mer à des heures différentes. Le texte constitue ce qui m’est resté de manière très instinctive, avant de travailler avec Joëlle Kamel et Nadine Sures pour la traduction anglaise », précise la jeune dramaturge, dont l’imaginaire est également nourri de langue arabe. « Chez moi, on l’appelle la mer blanche du milieu », peut-on lire dans son écrit, où elle se réfère à la dénomination de géographie arabe qui implique des images que l’on ne trouve pas dans d’autres langues.


Les deux artistes autrichiens Irena Eden et Stijn Lernout sont fascinés par la lumière qui inonde les pays du pourtour méditerranéen. Photo DR


« J’avais juste envie d’être emportée par le bleu »

Valérie Cachard envisage son écriture de la lumière comme un voyage spatio-temporel, où quelques figures incarnent la rencontre de la mer, des hommes et de la lumière. « Il arrête les vagues et les borborygmes aquatiques. Le sol qui mène à lui est un assemblage de cavités remplies d’eau salée qui brillent comme des arcs-en-ciel et dans lesquelles tu peux te mirer. » Il s’agit du mur phénicien de Batroun : « J’aime beaucoup cette région qui représente pour moi une échappée vers la lumière et vers l’eau. Ce mur interroge le temps, il n’en est pas affecté de la même façon selon les endroits, il est plus ou moins poreux et ses teintes varient avec la lumière et les saisons. Un peu plus loin, j’évoque un monastère situé à Enfé, entouré de salines, où la dernière religieuse qui l’habitait est décédée : quand on le voit au loin, il est à sa place, il est rassurant et il habite le paysage. »

Le va-et-vient entre la terre et l’eau se poursuit de manière plus insolite : « Au centre du pays, en plein hiver, quand le Soleil ressurgit, un groupe d’hommes se déshabillent et stockent de la chaleur. Leurs peaux ne décolorent pas, leurs muscles ne s’affaissent pas. » L’écrivaine ajoute avec amusement que même pendant le confinement, ils ont perpétué cette tradition : « Aux premiers rayons du Soleil, ils étaient là, allongés à un mètre de distance les uns des autres, pas loin du phare. » Le texte insiste sur la notion de transmission, inhérente au rapport à la mer. « Dis-moi dans quelle lumière tu es né et je te dirai qui tu es », écrit l’auteure, pour qui ce lien est lié à un héritage familial. « On peut transmettre la proximité de la mer, ou le fait de lui tourner le dos, ou d’en avoir peur. Dans les récits d’émigration libanaise, on raconte que les hommes rejoignaient le port à pied depuis leurs villages et que, souvent, ils voyaient la mer pour la première fois avant de quitter leur pays. Pour eux, elle symbolisait une porte de sortie qui emmène vers le lointain. Ma mère a grandi dans une maison située un peu plus bas que la rue Pasteur, il n’y avait pas encore l’autoroute et elle pouvait marcher sur le sable avant d’accéder à l’eau. En fait, on a tout fait pour nous couper au maximum les uns des autres et pour nous éloigner de nos sens. La mer attrape nos sens, elle nous remplit les yeux, elle nous ouvre un horizon, et les idées se nettoient. Si on nous prive de cela, on nous enferme dans nos pensées, dans ce que nous sommes, et on nous crée des peurs. Le fait que le bord de mer soit privatisé en dit long : avoir un horizon devient un luxe et on veut nous diviser ! » constate l’artiste, qui n’a pas souhaité aborder ces problématiques dans Surface Circle Sun. « J’ai écrit en pleine révolution, j’ai voulu aller vers la lumière et vers une certaine esthétique plutôt que vers une forme de revendication. J’avais juste envie d’être emportée par le bleu. »

* Exposition à visiter en ligne : http://www.kunstverein-konstanz.de/index.php/detailansicht/irena-esen-stijn-lernout.html

Dans la lignée d’Albert Camus, qui a beaucoup écrit sur la spécificité de la lumière méditerranéenne, Irena Eden évoque avec enthousiasme la manière dont son mari Stijn Lernout et elle ont envisagé leur approche artistique de l’espace méditerranéen dans leur dernier livre, qu’ils ont édité eux-mêmes en mai 2020 : Circle Surface Sun, from Somewhere in the Mediterranean. ...

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