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Scan TV - scan tv

Au Liban, un fédéralisme médiatique bien ancré

Photo tirée du compte facebook de la MTV dans le cadre de la campagne médiatique en faveur des mouvements populaires du 6 juin.

Plus de 100 jours que le gouvernement libanais est bien présent sur toutes les chaînes télévisées avec presque tous les ministres qui ont envahi les plateaux, exposant leurs réalisations bonnes et moins bonnes. Une part importante est accordée au ministre de la Santé, devenu star télévisée suite à la crise du covid-19. Des experts, des interlocuteurs qui le sont moins, se sont partagé le petit écran afin de présenter aux téléspectateurs leurs arguments les plus ridicules en leur jetant de la poudre aux yeux pendant plusieurs mois. Et le show continue devant une population lancinante, épuisée par ce cirque médiatique dont la gesticulation est inversement proportionnelle à l’efficacité.

Parallèlement, des dossiers révélant la corruption des politiciens et des fonctionnaires sont soulevés dans presque toutes les émissions, interrompues par les feuilletons à l’eau de rose et un ramadan qui n’a pas été salvateur. Il suffit de zapper d’une chaîne à l’autre pour découvrir de quoi est fait notre tissu sociopolitique, véritable patchwork. Un mélange nauséabond de mensonges et d’hypocrisie, assaisonné à la sauce de corruption dans un grand bol de pouvoir où s’entrechoquent des pions au nom de leur roi ou leur caïd. Nul n’a pu comprendre qui est coupable de quoi et comment, et qui accuse qui et contre qui. Le confinement a bloqué la totalité de la population face à un écran qui a contribué activement à rendre les esprits encore plus conditionnés.

Capture d’écran d’une campagne médiatique visant à soutenir les contestations populaires.

À défaut d’un fédéralisme politico-administratif officialisé dans une Constitution lapidée de tous les côtés, un autre fédéralisme semble ancré et représente d’une façon plus réaliste la composition du pays : c’est celui des médias. Les télévisions ont excellé en relatant de façon diamétralement opposée les mêmes faits relatifs au pays en entretenant un suspense bien plus intense que celui des films hitchcockiens. Entre le dossier du fuel, des bateaux réquisitionnés, celui de l’électricité, l’affaire de la Banque du Liban et de toutes les autres banques, un gouverneur de la BDL suspect puis occulté de la scène télévisée, des hôpitaux endettés ou usurpateurs, le confinement avorté et le déconfinement fragmenté, l’Aéroport international de Beyrouth fermé aux uns mais pas aux autres, une frontière transformée subitement en affaire nationale et ressemblant plutôt à une passoire, la contrebande de farine supplantant celle de la drogue, des députés et des ministres tantôt accusés tantôt accusateurs, une ministre qui a le droit de refuser de signer un décret de nomination ou pas, des juges indépendants et d’autres pratiquant le culte de leur chef abusant de leur pouvoir, la bourse quotidienne du nombre de personnes atteintes du virus, des journalistes boudés puis subitement transformés en procureurs généraux, un fonds monétaire divinisé (après avoir été diabolisé), des chiffres non seulement contradictoires mais également alarmants entre le gouvernement et les banques, le ballet d’insultes lancées par les blocs parlementaires d’une télé à l’autre, des Conseils des ministres incolores, inodores, débouchant sur les mêmes résultats stériles nous enfermant davantage dans un cercle vicieux, des changeurs placés en détention puis libérés trônant sur le royaume du dollar, une année scolaire tronquée marquant les grandes inégalités sociales face à l’enseignement, un enseignement public orphelin et un ministre soumis aux grands patrons des écoles privées, et des introductions de journaux télévisés faisant de l’ombre aux pires politiques de bourrage de crâne : dans tout ce méli-mélo, les téléspectateurs se demandent s’ils vivent leur pire cauchemar ou s’ils assistent plutôt à une tragédie grecque sans épilogue qui change de scénario d’une chaîne à l’autre.

Le député Jamil es-Sayyed, menaçant toute personne si jamais elle se présente sous la maison d’un des responsables pour manifester d’être fusillée. Capture d’écran

L’apogée de toutes les apparitions médiatisées reste l’intervention d’un député, élu du peuple, Jamil es-Sayyed, le doigt levé, la face transformée par la colère, vociférant des paroles haineuses face à tous les manifestants et les menaçant de les fusiller de sa fenêtre si jamais ils se présentaient devant sa résidence. Le député qui n’a pas froid aux yeux et qui a récidivé le lendemain a été défendu par certains médias et humilié par d’autres. Selon lui, le peuple n’a aucune légitimité et ne doit pas porter atteinte à la réputation, ou plutôt à la mégalomanie, de certaines personnalités. Le même discours, plus discret et moins violent, est repris par des chaînes souverainistes qui dénigrent les doléances des manifestants dans le cadre de la révolte du 17 octobre en les recalant sous le chapitre de la trahison et du vandalisme. Sur l’autre rive, d’autres chaînes télévisées représentant une autre tranche sociale adoptent ce mouvement et lancent depuis quelques semaines une campagne encourageant les Libanais à revenir dans les rues afin de reprendre le flambeau de la révolte populaire vainement étouffée par la politique d’un gouvernement qui n’a pas fait, et ne fait toujours pas, l’unanimité.Les médias se sont retranchés chacun dans sa position bien définie derrière des barricades socio-politico-religieuses. Qu’ils soient pour ou contre les manifestations, ils ne manquent pas de lancer des messages opposés, chacun selon ses tendances politiques, marquant de façon claire une ligne de démarcation qui ne tardera pas à opposer deux camps qui n’ont pas le même poids au niveau politique, militaire et financier.

Toujours est-il que ces chaînes sont d’accord en principe sur d’autres dossiers qu’ils ont éclairés d’une même approche, à l’instar de la pauvreté qui augmente d’une façon exponentielle, l’inflation des prix, le jeu malhonnête des commerçants profiteurs, la séquestration de l’argent des Libanais par les banques, le fiasco retentissant dans l’affaire de l’argent public volé, les campagnes organisées dans le but du confinement obligatoire afin de sauver le pays…L’ambiance médiatique reste néanmoins schizophrénique, et c’est dans ce contexte d’échec politique clair que les mouvements populaires reprendront aujourd’hui dans une ultime tentative de se faire entendre des dirigeants qui semblent faire la sourde oreille dans un pays qui fonce inévitablement vers l’abîme. Malgré les menaces et le terrorisme moral pratiqué par certains et diffusé sur certaines chaînes dont les principaux actionnaires sont au pouvoir, les manifestants de tous bords insistent à s’approprier à nouveau les rues malgré l’absence d’un commandement clair et unifié.

De son côté, le gouvernement semble toutefois prêt à absorber ces premiers mouvements à l’échelle nationale après une longue période de confinement en essayant de lancer via les médias des directives précises aux manifestants sans oublier de les exhorter à porter des masques. Des masques qui protégeront peut-être les manifestants du virus du corona mais ne les protégeront pas d’une corruption virale qui risque d’emporter le pays tout entier si les corrompus ne sont toujours pas démasqués sur le terrain et non pas seulement sur le petit écran.

Plus de 100 jours que le gouvernement libanais est bien présent sur toutes les chaînes télévisées avec presque tous les ministres qui ont envahi les plateaux, exposant leurs réalisations bonnes et moins bonnes. Une part importante est accordée au ministre de la Santé, devenu star télévisée suite à la crise du covid-19. Des experts, des interlocuteurs qui le sont moins, se sont...

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