Deux semaines après avoir voté une décision excluant la construction d’une centrale électrique à Selaata de son plan de réforme, le gouvernement de Hassane Diab s’est incliné devant la demande du chef de l’État, Michel Aoun, et a fait marche arrière. Une décision qui pousse certains observateurs à remettre ouvertement en cause la crédibilité de l’équipe ministérielle. Présidant la séance gouvernementale tenue hier à Baabda, le chef de l’État est ainsi parvenu à amener le Conseil des ministres à adopter, comme le veut le Courant patriotique libre, l’option de construction d’une centrale électrique à Selaata, dans le caza de Batroun, fief de son chef Gebran Bassil.
Pour ce faire, Michel Aoun a usé de l’article 56 de la Constitution. Ce texte autorise le chef de l’État à demander une révision d’une décision ministérielle dans un délai de quinze jours. À la faveur de cet article, le président de la République a poussé le Conseil des ministres à adopter une décision prise en octobre 2019 sous le gouvernement de Saad Hariri et selon laquelle des centrales électriques devraient être activées à Zahrani (Liban-Sud), Deir Ammar (Akkar) et Selaata. Après sa démission, M. Hariri avait reconnu que trois centrales étaient inutiles pour un si petit pays, mais qu’il avait dû se soumettre à des pressions politiques pour que chacune des trois principales communautés dispose de « sa » centrale.Cette volte-face du Conseil des ministres intervient deux semaines après une décision gouvernementale prise le 14 mai et selon laquelle seules les centrales de Zahrani et Deir Ammar seront activées, dans la mesure où la construction de celle de Selaata exige des expropriations jugées inopportunes au vu de la situation économique et financière du pays. Cette décision avait d’ailleurs été prise en dépit de l’opposition aouniste.
Comment le cabinet a-t-il bien pu changer d’avis sur un sujet si important à l’heure où des réformes significatives devraient être opérées dans le secteur de l’électricité et où les négociations officielles avec le Fonds monétaire international, à qui le Liban a demandé une aide financière, se poursuivent ? Une source bien informée confie à L’Orient-Le Jour que lors de leur entretien avant la séance ministérielle, Michel Aoun et Hassane Diab auraient conclu une sorte d’entente selon laquelle le plan du cabinet Hariri serait adopté dans son intégralité à condition que cette décision ne soit pas soumise au vote. Une façon de sauver la face à M. Diab et la crédibilité de son cabinet. Une information que confirme implicitement une source ministérielle en faisant savoir que lors de la réunion d’hier, l’épineuse question de l’électricité n’a pas été soumise au vote des ministres pour éviter le veto de plusieurs composantes telles que le tandem chiite et les Marada, pour ne citer que ces deux exemples.
Compromis « conclus loin des feux de la rampe »
Prenant la parole au début de la séance, Michel Aoun a demandé au gouvernement de réviser sa décision portant sur le plan de l’électricité, « par le seul souci de préserver l’intérêt général ». « Le plan (du cabinet Hariri) stipule la mise en place de trois centrales électriques, à Zahrani, Selaata et Deir Ammar. Et comme cette dernière n’est pas encore activée pour les raisons (politiques) connues, et au vu du fait que les centrales de Jiyé et de Zouk sont anciennes, il faut mettre en application le plan de 2019 tel qu’approuvé », a déclaré Michel Aoun. Et de souligner que ce projet portant sur le secteur de l’électricité est « important pour les négociations en cours avec le FMI ».
Le recours à trois centrales électriques avait suscité la désapprobation de plusieurs composantes de la société civile et de l’opposition. C’est d’ailleurs pour cette raison, et dans le but de réduire les dépenses de l’État, que le gouvernement avait pris sa décision du 14 mai.
Dans une volonté manifeste de donner l’impression que son cabinet est toujours attaché à ses choix et résolutions, Hassane Diab a pris soin de souligner, dans son intervention, que « le gouvernement considère que sa décision du 14 mai s’inscrit dans le cadre du plan de production de l’électricité et ne le contredit pas ».
Cette sortie de crise ne semble toutefois aucunement satisfaire les milieux de l’opposition, dont plusieurs ténors sont montés au créneau pour dénoncer les compromis « conclus loin des feux de la rampe » et mettre en garde contre une atteinte aux prérogatives de la présidence du Conseil. Ainsi, l’ancien Premier ministre Nagib Mikati a jugé « honteuse », dans un tweet, « la régression du rôle de la présidence du Conseil au profit de marchés et de concessions ».
Nominations
Sur un autre registre, le Conseil des ministres a reporté à sa séance prévue jeudi prochain la question des nominations aux postes de mohafez de Beyrouth (pour lequel le juge Marwan Abboud est donné favori), de directeur général de l’Économie et de directeur général des investissements au sein du ministère de l’Énergie. C’est surtout le poste de président du Conseil de la fonction publique qui suscite une polémique. Et pour cause : Randa Yakzan, qui serait appuyée par le Premier ministre, aurait été la cible de certaines sanctions qui entraveraient sa nomination à la tête du Conseil de la fonction publique. À cela s’ajoute le fait que l’entente autour d’un mécanisme de nominations se fait toujours attendre, comme l’a fait savoir Manal Abdel Samad, ministre de l’Information, à l’issue de la réunion.
Notons enfin que le gouvernement a approuvé la demande adressée au Conseil de sécurité pour proroger d’un an le mandat de la Finul ainsi que la relance de l’usine de Ghosta (Kesrouan) pour le tri des déchets.
commentaires (25)
Honteuse l'attitude égoîste du Courant Patriotique Libre, qui se moque de l'intérêt suprême du pays pour favoriser le fief de son chef. Le favoritisme, le népotisme et la corruption chronique, continuent hélas de plus belle.
Tony BASSILA
10 h 37, le 31 mai 2020