Rechercher
Rechercher

Culture

Sur le balcon, heureux ou amoureux ?

Depuis le début de la pandémie du coronavirus, le balcon a revêtu une importance cruciale et symbolique pour une grande partie de Terriens confinés. Ce dedans à l’extérieur est une sorte de no man’s land où (presque) tout est permis. Il y a ceux qui y prennent l’air sans masque, ceux qui y reçoivent, ceux qui font la bronzette en maillot, ceux qui y dansent et qui chantent, ceux qui socialisent avec les voisins et ceux qui y télétravaillent... en bronzant et socialisant et en chantant tout à la fois. Comme il a raison, Bachar Mar Khalifé, quand il dit, nostalgique : « Le balcon, c’est mon pays, c’est des liens sociaux. Ce sont des rideaux de toutes les couleurs, souvent fanées, pour empêcher le soleil de nous épuiser. » Le balcon, c’est le bonheur. Mais c’est aussi l’entrée (par la fenêtre !) d’un amour interdit, comme celui des amants Roméo et Juliette, ou du trio Roxane, Cyrano de Bergerac et Christian. Le balcon, c’est aussi le romantisme par excellence, et Baudelaire en sait quelque chose...

Bachar Mar Khalifé veut finir la soirée sur son « Balcoon ». Image tirée du vidéoclip de la chanson réalisé par Danielle Arbid

Sculpture : Immortaliser les façades

Les balcons sculptés de Abdallah Hatoum.

« Tout a commencé par un dessin, confie Abdallah Hatoum. C’était plus un projet qu’une idée au départ, et puis surtout une façon de pénétrer l’âme des immeubles beyrouthins sur lesquels le temps a laissé ses traces et ses blessures. Puis je voulais transcender cette âme afin qu’elle ne disparaisse jamais. » L’artiste, diplômé en graphisme, s’est intéressé à la fabrication d’objets, et il réalise depuis des années une série d’installations métalliques qui ont remporté un grand succès. La plupart sont des répliques de façades existantes de vieux bâtiments à Beyrouth et de leurs balcons, attendant l’heure H de leur démolition. « Les immeubles des années 50 et 60 sont un condensé de la mémoire collective libanaise, et ils constituent une part importante de l’identité urbaine qui est en train de s’éteindre, regrette-t-il. On peut voir ma démarche comme une sorte d’accompagnement de leur disparition, comme une dernière marche funèbre. Mes sculptures sont une forme de sanctuaire que j’ai imaginé, un lieu de recueillement... Pour avoir grandi dans des quartiers aux immeubles éventrés, une vision belle et dramatique à la fois, j’ai ressenti le désir de rattraper ce que la guerre a dévoré en nous comme repères, symboles et identité. »

Chanson:  Le balcon, « c’est mon pays »

Balcoon, titre issu de l’album Ya Balad sorti en 2015, est pour Bachar Mar Khalifé l’occasion de replonger dans la poésie de son enfance en Beyrouth, comme il le raconte lui-même : « J’ai tant de souvenirs d’enfance sur ce balcon en “L” de notre appartement à Beyrouth. On y faisait absolument tout : manger, faire du vélo, regarder la télé, parler aux voisins d’en haut, d’en bas, d’en face, interpeller les vendeurs ambulants de kaak, de maïs grillé, de glace. Je me souviens comment je descendais notre panier en osier à l’aide d’une corde avec la commande et quelques sous pour l’épicerie d’en bas de la maison, qui me glissait toujours une ou deux bananes en plus pour mon goûter. Je me souviens des moments de “danger” aussi lorsque nous lancions de petits pétards sur les passants dans la rue, avant de nous cacher à ras le sol, les mains sur la tête. En temps de guerre, nous jouions à la guerre... Le balcon, c’est mon pays, c’est des liens sociaux. Ce sont des rideaux de toutes les couleurs, souvent fanées, pour empêcher le soleil de nous épuiser. C’est le linge accroché tout au bout et qui sent la sécurité. C’est, plus tard, les premiers moments d’ivresse avec les amis. C’est la première cigarette, c’est le premier amour, le premier regard, la fille du voisin d’en face dont on ne connaît presque rien... »

Théâtre : Un balcon, trois amoureux

La scène du balcon, dans « Cyrano de Bergerac » d’Edmond Rostand. Carte postale publicitaire, artiste inconnu.

Le balcon. Un lieu bien choisi pour tout amoureux transi. Il peut y déclarer sa flamme et espérer être invité par l’élue de son cœur à la rejoindre. Il est le lieu frontière entre deux espaces, l’extérieur et l’intérieur, frontière entre désir amoureux et satisfaction du désir. Il symbolise aussi l’espace théâtral, celui qui surplombe l’espace scénique. Il a servi à bien des amoureux ; de Roméo et Juliette de Shakespeare à Tony et Maria dans West Side Story en passant par ce couple d’amoureux en haut de la colonne de la Bastille immortalisé par Willy Ronis, sans oublier Cyrano de Bergerac. Sauf que pour ce héros du roman éponyme d’Edmond Rostand, amoureux de sa cousine Roxane, la fameuse scène du balcon, scène 10 de l’acte III, moment le plus poétique et le plus dramatique dans l’histoire des amoureux, est une scène à trois. Roxane, Cyrano de Bergerac et Christian. Les deux hommes sont amoureux de la belle Roxane mais Christian est beau et ne sait pas manier l’art du discours, et Cyrano est laid mais tellement poète. Il déclarera sa flamme par l’intermédiaire du jeune homme grâce à un stratagème qui fonctionne. Et cela donnera naissance à la scène du balcon la plus poignante et la plus belle, mais aussi la plus dramatique et la plus inédite et, surtout, à l’éloge du discours et à la condamnation des apparences et des faux-semblants.

Poème : Et l’intérieur s’ouvre vers l’extérieur

L’amour passionné de « Roméo et Juliette sur le balcon » dans une toile de l’artiste suédois Julius Kronberg (1886).

Charles Baudelaire plante son décor d’emblée à travers le titre du poème Le balcon. Ce 36e opus de la première section des Fleurs du mal (1857), intitulée « Spleen et Idéal », est un des favoris au programme du bac français. Des générations d’élèves ont planché et disséqué les vers baudelairiens, y recherchant la double dimension de son être, déchiré entre la soif d’un idéal perdu et un enlisement dans le spleen. Une dualité qui transparaît d’abord dans le cadre spatio-temporel, dans ce balcon qui réunit le dedans et le dehors, l’ampleur aérienne et l’intimité domestique, « la douceur du foyer et le charme des soirs ». Par le balcon, l’intérieur s’ouvre vers l’extérieur et l’intimité de la chambre se prolonge dans la profondeur mystérieuse d’un paysage crépusculaire (« les soirs illuminés », « les soleils sont beaux »), dominé par « le balcon ».

La dichotomie est également illustrée dans sa vision de la femme qui apparaît désirable et vénéneuse ; dans le crépuscule somptueux mais inquiétant. Le bonheur est menacé par le temps : l’amour est dégradé par la tombée de la nuit.

Comment enfin ne pas être sensible à l’atmosphère de nostalgie qui se dégage de ces strophes :

« Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses.

Que ton sein m’était doux ! Que ton cœur m’était bon ! »

Peinture : Entre fleurs et drapeaux

Des balcons toujours emblématiques chez Mouna Bassili Sehnaoui.

Durant la guerre, la peintre Mouna Bassili Sehnaoui trouvait dans la représentation des fleurs de son balcon un apaisement qui la faisait revenir, confie-t-elle, « à un semblant de normalité ». Cette dernière semblant définitivement échapper à la vie au Liban, c’est désormais avec les turbulences de l’histoire contemporaine qu’elle lie les scènes de balcon. Spectateurs accoudés aux rambardes certains grands jours de révolution ou encore rêverie de confinée devant un horizon bleu (très) lointain… L’artiste qui aime réunir dans ses toiles tous les symboles du pays du Cèdre a souvent peuplé ses balcons picturaux, toujours en fer forgé, d’éléments et de personnages emblématiques du vécu libanais.

Illustration : Joyeuses « balconnades »

Balcon beyrouthin signé Tony Maalouf.

Il y a toujours du monde aux balcons dans les illustrations numériques de la vie beyrouthine en temps de coronavirus signées Tony Maalouf. Qu’il y représente les habitants de la capitale applaudissant le corps médical en première ligne dans la lutte contre le Covid-19 ou des scènes plus légères – à l’instar de ces amusante femmes confinées au bord de la crise de nerfs sur le point de basculer par-dessus les rambardes à force de reluquer leur beau gosse de voisin d’en dessous –, l’architecte d’intérieur et illustrateur de 35 ans remplit son Instagram de joyeuses « balconnades ». Ses œuvres, composées à partir d’un mélange de photos et de dessins, allient le réel d’un quotidien collectif à la fantaisie des caractères et des scènes, pour raconter des histoires bien de chez nous : remuantes, chaleureuses et colorées.

Sculpture : Immortaliser les façadesLes balcons sculptés de Abdallah Hatoum. « Tout a commencé par un dessin, confie Abdallah Hatoum. C’était plus un projet qu’une idée au départ, et puis surtout une façon de pénétrer l’âme des immeubles beyrouthins sur lesquels le temps a laissé ses traces et ses blessures. Puis je voulais transcender cette âme afin qu’elle ne...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut