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La Consolidation de la paix au Liban - Mai 2020

La révolution et le façonnage de l’identité dans les espaces publics de Tripoli

Au fil des décennies, la dégradation de la situation socio-économique dans la partie-nord du Liban a eu un impact direct sur les espaces publics dans leur conception, leur identité et les rapports des gens à leur égard. Tripoli, plus particulièrement, fait partie des régions libanaises les plus riches en espaces publics, compte-tenu des nombreux sites historiques et archéologiques qu’elle abrite et qui peuvent contribuer à développer la citoyenneté, à créer un tissu social, politique et culturel, dans la perspective d’un développement durable.

Photo Natheer Halawani

À quoi ressemblent ces espaces publics ?

Tripoli compte un nombre important d’espaces publics dont la plupart sont cependant négligés par ses habitants en tant que cadres pour leur interactivité sociale. Ces espaces ne sont pas non plus bien exploités, à cause de certaines restrictions de contrôle sur tout ce qui concerne la société et l’interactivité de ses membres, que ce soit au niveau politique, culturel, ludique, social, pédagogique ou économique.

Certains lieux historiques de Tripoli ont constitué un genre d’espaces publics comme les khans (marchés) du savon, des couturiers et des militaires, où les habitants et les visiteurs se retrouvent. Les 11 vieux hammams de la ville représentent également autant d’espaces publics, mais un seul parmi ceux-là est toujours fonctionnel : il s’agit de Hammam el-Abed qui se situe dans les vieux souks et qui accueille les habitants de la ville et de sa banlieue ainsi que les touristes.

Des parcs et des places

Sur un autre plan, Tripoli compte un grand nombre de places publiques, comme celles de Abdel Hamid Karamé, plus communément connue sous le nom de la Sahet el-Nour (place de la lumière) ou encore les places al-Tell (colline), al-Koura et Dawwar el-Mina (rond-point du port), ainsi que plusieurs jardins et parcs dont le plus célèbre reste al-Manchiyé, situé au milieu de la place al-Tell. Sauf que celui-ci est aujourd’hui voué à l’abandon. Rarement fréquenté par les habitants, il est devenu le refuge des mendiants et des sans-abri.

Les transformations du 17 octobre

C’est donc pour toutes ces raisons combinées que les habitants de Tripoli n’ont pas réussi à forger leur identité et leur tissu social dans le cadre de leurs espaces publics. Il faut y ajouter le fait que l’État a de tous temps marginalisé cette ville, affectée par l’absence de plans efficaces pour un développement équilibré. Sauf qu’avec le soulèvement du 17 octobre, la relation des Tripolitains avec les espaces publics a été littéralement bouleversée, comme c’est le cas par ailleurs dans toutes les régions libanaises.

Non seulement ce rapport a changé, mais les Tripolitains ont réussi à créer de nouveaux espaces publics, qui ont constitué autant de cadres pour leurs mouvements de protestation, et à conférer une symbolique particulière à leurs revendications sociales et économiques. Ces espaces ont vibré au rythme de leurs slogans contre le système et le pouvoir.

Peut-être que l’un des principaux acquis obtenu par Tripoli après le soulèvement populaire du 17 octobre, est le rétablissement, ne serait-ce que moral, de son statut de ville spoliée. Elle a ainsi récupéré auprès des Libanais son statut de « deuxième capitale du Liban », après avoir décroché le titre de « mariée de la révolution » (Aarous el-Thawra) dans ses places et plus particulièrement sur la Place al-Nour où des centaines de milliers de Tripolitains et des Libanais venus d’autres régions se rassemblaient. C’est dans cette même place que ces derniers ont développé un nouveau discours revendicatif et politique, reflétant une véritable révolte contre la classe politique au pouvoir, au niveau de Tripoli et de tout le Liban.

La face populaire de la place al-Nour, mise en relief après le soulèvement du 17 octobre peut être donc considérée comme étant l’un des principaux acquis de ce mouvement de protestation. Les Libanais ont réussi pour la première fois depuis des décennies à s’approprier les espaces publics dans la plupart des régions en dehors de Beyrouth. La place al-Nour fait partie de celles qui ont pu offrir un espace commun de rencontre, briser sa fonction traditionnelle de rond-point et transcender son rôle de théâtre géographique à des événements qui se produisaient, vers celui d’une entité civile qui a permis de renforcer le concept de citoyenneté. Elle est devenue une composante fondamentale de la révolution, garantissant sa pérennité et déterminant ses pics et ses périodes de répit, voire son apaisement.

Un des principaux aspects du bouleversement des rapports entre les Tripolitains et leurs espaces publics s’exprime par le fait que leur révolution s’est étendue à des lieux et des rues qui ne leur étaient pas accessibles, tels que la rue Azmi, le quartier Mina, ainsi qu’à d’autres secteurs intérieurs, notamment les périmètres des résidences des leaders politiques de Tripoli. Ces lieux avaient une sorte de halo et leurs propres spécificités, au niveau notamment du maintien de la sécurité, mais ceux-ci sont tombés et ces lieux ont rejoint les espaces publics investis par les protestataires qui y ont étendu leurs manifestations.

Après le soulèvement populaire, la surface géographique interactive de la place al-Nour s’est étendue jusqu’aux carrefours alentour où certains activistes ont installé des tentes dans lesquelles des débats politiques, économiques pédagogiques et culturels étaient organisés. À leur tour, ces tentes ont constitué des espaces publics de plein air, ouverts au public et offrant une plateforme pour les rencontres et le débat dans la perspective d’une meilleure compréhension de tous les dossiers. Certains sièges symboliques du pouvoir et de l’État, comme le Sérail, le bâtiment abritant des bureaux du ministère des Finances, les banques et le siège d’Électricité de Kadicha, sont devenus autant d’espaces publics investis par des protestataires désireux de faire éclater leur colère.

Même si la pauvreté s’est frayée un chemin jusqu’au cœur de Tripoli, en raison de l’aggravation de la crise économique, du chaos et de la hausse du taux de chômage, les habitants de la ville ont réussi grâce à leurs espaces publics à pratiquer le concept de citoyenneté et à s’impliquer dans l’exercice de la vie politique, alors que celle-ci, vue de Tripoli, semblait apparentée à un autre monde.

Jana Dhaybi est journaliste au journal indépendant en ligne Al Modon et contributrice à plusieurs plateformes d'actualités arabes.


Les articles, enquêtes, entrevues et autres, rapportés dans ce supplément n’expriment pas nécessairement l’avis du Programme des Nations Unies pour le développement, ni celui de L'Orient-Le Jour, et ne reflètent pas le point de vue du Pnud ou de L'Orient-Le Jour. Les auteurs des articles assument seuls la responsabilité de la teneur de leur contribution.

À quoi ressemblent ces espaces publics ?
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