Critiques littéraires

Des Jésuites à Ghazir

Tombée dans l’oubli, la Mission des Jésuites à Ghazir fut « sans doute la plus importante des missions d’Orient ».

Les relations entre la Compagnie de Jésus et les maronites existaient déjà du temps de Saint Ignace de Loyola. Le principal objectif de cet Ordre est « l’apostolat que les Jésuites exercent par la prédication, l’enseignement ou toute autre activité selon les besoins ponctuels de l’Église ». Dès l’origine, ils ont fait de l’enseignement leur spécialité. Installés à Ghazir, les Jésuites répondaient à la mission confiée par le Pape Pie VII et par le Père Roothaan, supérieur général de la Compagnie de Jésus, à savoir « la création et l’organisation d’un Séminaire oriental destiné à la formation du clergé pour toutes les Églises orientales ».

Originaires de ce village, Khalil Karam et Charbel Matta, soucieux « de sauver de l’oubli la mémoire des Pères, leur œuvre, et l’histoire de Ghazir », nous livrent le premier ouvrage entièrement consacré aux 122 années de présence des Jésuites à Ghazir. Dédié au Père Peter-Hans Kolvenback, ce colossal travail de recherche s’appuie sur des documents d’une grande rareté mais aussi sur des photos et sur de précieux témoignages. Toutefois, la source d’informations qui a irrigué cet ouvrage demeure le diaire de Ghazir. Chaque maison jésuite tenait un diaire : un journal quotidien témoignant de la vie interne de l’établissement mais aussi de l’Histoire du pays.

Témoin de son temps, le Père Angelil écrit au lendemain de la Première Guerre mondiale : « Durant ces quatre années de guerre et de tribulation où nous avons gouté toutes sortes de privations, nous avons perdu tous nos vieillards. » Le fait est que la famine faisait partie du projet d’Enver Pacha : « Nous avons supprimé les Arméniens par le fer, nous supprimerons les Libanais par la faim. »

À leur arrivée au Liban, les Jésuites avaient trouvé une Église locale archaïque mais fidèle à sa foi, une population ignorante, appauvrie et écrasée par un pouvoir répressif ottoman. Leur champ de travail allait être grand, « aussi grand que leur foi ». Dès 1843, ils ont fondé un Séminaire pour tous les rites portant le nom de Saint-François-Xavier, compagnon d’Ignace de Loyola et Saint Patron des missionnaires. Ce n’est qu’en 1934 qu’il devint le Séminaire Central Saint-Maron exclusivement maronite, tandis que le Séminaire de Beyrouth demeurait ouvert à tous les rites. En 1961, Nasrallah Sfeir fut élu évêque et vicaire patriarcal. Il est le « premier évêque sorti du Séminaire maronite » ouvert en 1934. Prêtre, il fut professeur d’arabe au Séminaire de 1950 à 1956. L’année 1965 est celle du transfert du Séminaire de Ghazir à Beyrouth. « Les Jésuites arrivent toujours à un endroit pour répondre à une mission qui leur a été confiée. Dès le départ, ils se donnent pour but de se retirer une fois leur mission accomplie. »

Contrairement à la plupart des ordres religieux, il n’existe pas de branche parallèle pour les femmes dans la Compagnie de Jésus. En 1860, fuyant les persécutions des chrétiens à Deir el Kamar, les Pauvres filles du Sacré-Cœur et les Mariamettes trouvèrent refuge à Ghazir chez les Jésuites. Ces deux communautés s’unirent alors en une seule congrégation : celle des Saints-Cœurs de Jésus et de Marie. Appelées Sœurs jésuites, ces religieuses ont accompagné les missionnaires dans leur apostolat pour éduquer, catéchiser, soigner au Liban et dans tout l’Orient. Enseignantes, elles ont, conformément au souhait des Jésuites, dirigé des écoles pour filles, « un vrai défi pour la société de l’époque ». En effet, en ce temps-là, l’instruction des filles était considérée comme « inutile et même nuisible ».

La Compagnie de Jésus a donné une « renaissance à l’Église maronite », mais son rôle ne s’est pas arrêté là. Le collège-séminaire de Ghazir est à l’origine de plusieurs écoles de villages mais aussi de l’Université Saint-Joseph et du collège Notre-Dame de Jamhour. Bâtisseurs et missionnaires, les Jésuites ont répandu le savoir à travers le pays, contribuant à la « renaissance du Liban » et à la transformation d’une société féodale en un pays moderne. Le Liban serait-il tout à fait le même sans les Jésuites ?



La Mission jésuite de Ghazir 1843-1965 de Khalil Karam et Charbel Matta, Presses de l'Université Saint-Joseph, 2019, 148 p.

Les relations entre la Compagnie de Jésus et les maronites existaient déjà du temps de Saint Ignace de Loyola. Le principal objectif de cet Ordre est « l’apostolat que les Jésuites exercent par la prédication, l’enseignement ou toute autre activité selon les besoins ponctuels de l’Église ». Dès l’origine, ils ont fait de l’enseignement leur spécialité. Installés à...

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