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Moyen-Orient - Éclairage

Riyad pave la voie à des mesures d’austérité

Le ministre saoudien des Finances a estimé samedi dernier que « des mesures strictes et extrêmes, qui pourraient être douloureuses », devraient être prises.

Le ministre saoudien des Finances, Mohammad al-Jadaan, n’a pas mâché ses mots en dressant un sombre tableau pour l’avenir de l’économie du royaume. Denis Balibouse/File Photo/Reuters

L’Arabie saoudite balise le terrain pour préparer sa population aux prochaines années qui devraient être placées sous le signe de l’austérité. Si Riyad s’est voulu rassurant dans un premier temps, le ton est désormais au pragmatisme. « Le royaume n’a pas connu de crise de cette gravité au cours des dernières décennies », a confié le ministre saoudien des Finances, Mohammad al-Jadaan, au cours d’une interview diffusée samedi soir sur la chaîne saoudienne al-Arabiya. « Il est très important de prendre des mesures strictes et extrêmes, qui pourraient être douloureuses, mais qui sont nécessaires à la stabilité des finances publiques », a-t-il estimé. Impact sur les secteurs public et privé, réduction des dépenses, coût de la dette ou encore appel aux citoyens à faire des efforts… Le ministre n’a pas mâché ses mots sur ces sujets tout en dressant un sombre tableau pour l’avenir de l’économie du royaume, faisant implicitement allusion à de prochains changements sans précédent.

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« Les commentaires de Mohammad al-Jadaan ont provoqué un choc au sein de la population, même si beaucoup étaient inquiets et attendaient certains changements économiques en raison de l’effondrement des prix du pétrole. Pourtant, beaucoup ne s’attendaient pas à ce que le ministre soit aussi direct et ont été surpris par son approche pessimiste », observe Eman Alhussein, chercheuse non résidente à l’Arab Gulf States Institute à Washington, interrogée par L’Orient-Le Jour. « Ses propos sont intervenus quelques jours après que le pays a finalement commencé à lever les restrictions et à autoriser l’ouverture des magasins. Cela aura sûrement un impact sur la culture de la dépense (dans le royaume) et dissuadera peut-être les populations de tirer avantage des mesures d’ouverture », fait-elle remarquer. Avec plus de 30 000 cas de Covid-19 et 200 morts, l’Arabie saoudite est le pays le plus touché de la péninsule Arabique par le virus et a mis en place des mesures de confinement strictes à travers le pays.

Resserrer la ceinture

Les répercussions de la baisse de la demande mondiale de pétrole suite à la pandémie du Covid-19, couplée à celles de la guerre des prix de l’or noir entre Moscou et Riyad en mars, ont frappé de plein fouet l’économie du royaume, majoritairement dépendante des revenus du pétrole. Les cours de l’or noir ont aujourd’hui bien du mal à remonter après avoir chuté aux alentours de 20 dollars à la fin du mois de mars alors que l’Arabie saoudite, troisième producteur mondial, a besoin d’un baril à environ 80 dollars pour équilibrer son budget. L’accord historique conclu ensuite entre les membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) sous la pression de Washington, visant à enrayer la chute des cours et à graduellement réduire la production mondiale d’ici à 2022, ne devrait pas suffire à réparer les dégâts sur le court terme. Refusant de se prononcer sur les prix futurs du pétrole, Mohammad al-Jadaan a affirmé lors de son entretien avec al-Arabiya que Riyad doit « planifier pour le pire des scénarios et prendre les choses au sérieux ». « Nous resserrons considérablement la ceinture comme je l’ai dit, afin que nous puissions continuer à fournir des services de base à nos citoyens et à faire fonctionner le gouvernement pendant des années dans l’éventualité où la crise se poursuivrait pour de nombreuses années à venir », a-t-il poursuivi.

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Si le royaume saoudien a annoncé en mars une réduction de 5 % de ses dépenses budgétaires pour 2020, des sources citées par l’agence Reuters ont indiqué que Riyad aurait demandé dans le même temps aux différents départements de l’État de réduire leurs budgets 2020 d’au moins 20 % pour faire face aux répercussions de la baisse du prix du baril. La suspension temporaire de la omra, le petit pèlerinage musulman, et la possible annulation du hajj en août, le grand pèlerinage annuel à La Mecque, devraient porter un coup dur supplémentaire à l’économie saoudienne, alors que leurs revenus combinés devaient dépasser les 150 milliards de dollars d’ici à 2022, selon des chiffres du comité national de l’immobilier du Conseil des chambres saoudiennes parus en 2017. Riyad pourrait donc être contraint d’emprunter 26 milliards de dollars supplémentaires sur les marchés de la dette en dollars et puiser jusqu’à 32 milliards de dollars dans ses réserves en devises, avait indiqué le mois dernier Mohammad al-Jadaan. Des rebondissements aux effets immédiats sur le déficit budgétaire du pays, déjà prévu à la hausse à hauteur de 50 milliards de dollars pour 2020, selon les estimations de l’année dernière. Un rapport du ministère saoudien des Finances et cité mercredi dernier par al-Arabiya indique en outre que le déficit budgétaire du royaume a atteint les 9 milliards de dollars pour le premier trimestre 2020, tandis que les revenus pétroliers ont baissé de 24 % et les revenus non pétroliers de 17 %.

Diversification économique

Au moment où le besoin de diversification économique se fait de plus en plus urgent pour le royaume, ces difficultés pourraient donc retarder un peu plus la réalisation des ambitieux projets prévus par le plan Vision 2030, lancé en 2016 par le dauphin saoudien, Mohammad ben Salmane, tout comme la mégalopole baptisée Neom prévue pour être une vitrine futuriste en plein milieu du désert dans le nord-est du pays. Les secteurs publics et privés ne devraient pas aussi être épargnés. Selon le quotidien al-Chark al-Awsat, une décision du ministère saoudien des Ressources humaines et du Développement social a été signée lundi, permettant aux entreprises du secteur privé de réduire les salaires de 40 % et autorisant la résiliation des contrats suite aux difficultés économiques dues au Covid-19, tout en stipulant un certain nombre de conditions tel que l’épuisement des autres moyens à la disposition des employeurs pour la résiliation des contrats.

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Si les réductions qui devraient être décidées par le gouvernement pour le secteur public ne sont pas encore claires, « elles pourraient affecter les salaires en supprimant les allocations supplémentaires qui ont toujours été importantes pour le revenu global des fonctionnaires », anticipe Eman Alhussein. « Une augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pourrait également être l’une des mesures possibles à mettre en œuvre », ajoute-t-elle. Grande première dans un pays où une partie de la population locale est habituée à un rythme de vie aisé, ces mesures pourraient provoquer des tensions politiques et sociales. Le secteur public, déjà en sureffectif, emploie notamment 45 % des Saoudiens et offre de meilleures conditions de travail et des salaires moyens 58 % plus élevés que dans le privé, selon une étude de la Harvard Kennedy School. Alors que la majorité des cas de Covid-19 ont été détectés parmi la main-d’œuvre migrante, des voix se sont également élevées sur la nécessité de réduire le nombre de travailleurs étrangers dans le pays par peur du virus. « Cependant, la réduction du nombre de main-d’œuvre bon marché (qui constitue la majorité des travailleurs du secteur privé) et l’introduction de mesures financières strictes pour faire face à la situation économique auront un impact profond sur le mode de vie dans le Golfe qui dépendait de la main-d’œuvre étrangère et des privilèges économiques des dernières décennies », nuance Eman Alhussein.

L’Arabie saoudite balise le terrain pour préparer sa population aux prochaines années qui devraient être placées sous le signe de l’austérité. Si Riyad s’est voulu rassurant dans un premier temps, le ton est désormais au pragmatisme. « Le royaume n’a pas connu de crise de cette gravité au cours des dernières décennies », a confié le ministre saoudien des Finances,...

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Au moins ils sont éveillés et gèrent.

Christine KHALIL

09 h 10, le 06 mai 2020

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Commentaires (1)

  • Au moins ils sont éveillés et gèrent.

    Christine KHALIL

    09 h 10, le 06 mai 2020

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