Critiques littéraires

MBS et ses victimes

L’auteur est le jeune correspondant du New York Times au Moyen-Orient, basé à Beyrouth. Son livre sur MBS, agréable à lire, plein de petites anecdotes, n’est cependant pas très éclairant sur le personnage auquel l’auteur n’a pas eu accès. Aucune information n’est une révélation forte. En revanche, l’ouvrage est juste pour ses victimes, et plein d’empathie. On a l’impression parfois que les détails sur le parcours de Jamal Khashoggi sont plus riches que celui dont fait l’objet le sujet de l’ouvrage. C’est dans le collimateur des proies faciles et moins faciles d’un jeune homme avide de pouvoir qu’on voit les ravages que les ambitions narcissiques, fléau de notre temps, ont imposé à la société saoudienne.

Le livre chemine à travers l’enfance et la jeunesse de MBS. L’auteur réussit à montrer comment « le sixième fils du roi Salman, lui-même le vingt-cinquième du roi fondateur ‘Abd al-‘Aziz », parvient à déjouer sa destinée normalement obscure dans le rang royal en court-circuitant tous ceux qui auraient dû normalement passer avant lui. C’est par une série de coups de main volontaristes, épaulé sans hésitation par son père, qu’une ascension très résistible le porte à la tête du pouvoir. Le prix à payer est lourd pour ses concurrents, surtout le prince héritier détrôné Mohammed bin Nayef (MBN), et pour ses victimes dans la société civile, tels le malheureux Khashoggi et les courageuses femmes d’Arabie.

Hubbard a réussi à peindre un portrait utile d’un abus de pouvoir caractérisé, en donnant un champ honnête à la trame d’une société saoudienne, mais l’ouvrage est moins réussi dans l’analyse des complexités d’un pouvoir tiraillé entre une famille régnante sujette à un changement de règles profond, et des élites religieuses et des milieux d’affaires puissants qui auraient pu donner lieu à une recherche et des entrevues plus consistantes. La description de l’épisode du Ritz, en particulier, ou celui de l’assignation à résidence et la démission forcée de Saad Hariri qui ont lieu en même temps en novembre 2017, n’amène rien de plus à ce que l’on sait. Deux ou trois ans après l’événement, l’enquête avec quelques-unes au moins des trois cent cinquante victimes arrêtées et extorquées aurait dû produire un chapitre moins fade. Mais il est vrai que la loi de l’omerta est effarante, et pas seulement à Riyad.

À observer les cinq ou six dernières années de l’exercice de son pouvoir dans la région, MBS n’a pas de quoi pavoiser. Enlisé au Yémen, marginalisé au Liban, défait en Syrie et en Iraq, toutes ces déconvenues tangibles au bénéfice de l’Iran ne sont pas suffisamment analysées dans la perspective de l’influence de Riyad dans la région par rapport à un passé plus glorieux. Ces échecs patents n’empêchent pas la domination actuelle du prince héritier sur son pays. Ce paradoxe n’est pas assez bien expliqué dans le livre parce qu’il n’avait pas probablement accès aux opposants au sein de la famille royale.

La lecture journalistique de Ben Hubbard est moins instructive que la longue enquête de Dexter Filkins dans le New Yorker du 18 avril 2019, ou que Le Prince mystère de l'Arabie, que Christine Ockrent avait publié avec des anecdotes semblables, même si bien moins fouillées (voir le recensement d’Alexandre Najjar dans L’OL du 4 novembre 2018). Néanmoins, un lectorat lambda non averti découvrira l’ombrageuse présence d’un jeune homme aux ambitions démesurées, ainsi que de nombreuses histoires de résistance face à l’infâme dans une société courageuse. Un meilleur titre aurait sans doute été « Les (nombreuses) victimes de MBS ».


MBS: The Rise to Power of Mohammed bin Salman de Ben Hubbard, The Duggan Books, 2020.

L’auteur est le jeune correspondant du New York Times au Moyen-Orient, basé à Beyrouth. Son livre sur MBS, agréable à lire, plein de petites anecdotes, n’est cependant pas très éclairant sur le personnage auquel l’auteur n’a pas eu accès. Aucune information n’est une révélation forte. En revanche, l’ouvrage est juste pour ses victimes, et plein d’empathie. On a...

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