Rechercher
Rechercher

Campus - TÉMOIGNAGES

« Aujourd’hui, c’est le moment présent qui nous inquiète le plus »

Confinés souvent dans de minuscules chambres, des étudiants libanais à l’étranger affrontent avec courage leur nouvelle vie, partagés entre la solitude et l’angoisse face à l’incertitude de l’avenir...

Julia Kallassi, doctorat en psychologie (France). Photo Riad Khattar

Saria Sfeir, 1re année de génie mécanique à l’École polytechnique fédérale de Lausanne : « Cette incertitude me tue »

« J’habite dans une chambre de 9 m2, dans une résidence d’étudiants avec toilettes et cuisines communes. Dès que nous avons appris qu’on avait décelé un cas du virus dans la résidence, nous n’avons plus osé circuler, restant dans nos chambres. Immédiatement j’ai pris des mesures drastiques. Je me suis rendue au supermarché me surcharger de réserves que j’ai dû caser dans mon 9 m2. J’ai prévu des produits désinfectants pour nettoyer la salle de bains avant chaque usage. J’ai même acheté des plaques électriques que je branche pour cuisiner des plats dans ma chambre. Dans la résidence, on s’envoie des messages par WhatsApp pour avertir que nous allons utiliser la cuisine et éviter ainsi de se retrouver plus de deux personnes dans cet endroit. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que huit étudiants dans la résidence. Beaucoup de mes amis sont retournés au Liban. Mais comme l’université nous avait avertis que les cours étaient suspendus jusqu’au 19 avril, je n’ai pas osé prendre le risque et rester loin de l’université sans pouvoir passer mes examens, dans le cas où la Suisse interdirait le retour au pays. Or aujourd’hui, les autorités ont de nouveau repoussé la rentrée. Et cette incertitude me tue. J’essaie d’étudier. Mais c’est dur de se concentrer et la situation est par moments très démotivante. Je suis tellement convaincue que tout cela finira dans trois semaines. Je ne veux pas penser que ça peut durer plus encore de temps que prévu. »


Sandro Azzam, 2e année en finance et économie internationale à l’université Boccioni à Milan : « Pour me sentir moins seul, je parle avec ma famille et mes amis »

« Depuis le 22 février, je ne sors plus de la maison, car ils avaient déjà décelé plus de 50 cas dans le nord de l’Italie, à 20 km de Milan. Malheureusement, je n’ai pas pu quitter le pays, car je devais régler un problème au niveau de mes papiers de séjour. Mais j’ai de la chance. J’occupe un 50 m2 alors que mes copains habitent dans de minuscules chambres dans leurs résidences. Depuis le 22 février, ils ont interdit l’accès aux gens de l’extérieur et les étudiants n’ont plus le droit de sortir de leur chambre. Ce n’est pas du tout évident de rester entre quatre murs. Nous devons pouvoir rythmer nos journées, car nous sommes très désorganisés. Je traîne au lit toute la journée, je vois beaucoup de films. Je parle avec ma famille et mes amis pour me sentir moins seul. Nous suivons nos cours en ligne. C’est certes efficace, mais ce n’est pas du tout la même chose que d’être en classe et de vivre une vie universitaire interactive. Aujourd’hui, je dois essayer de m’en sortir en occupant mon esprit. Comme je suis délégué de ma classe, j’essaie de voir comment entreprendre des activités extrascolaires en ligne qui pourraient nous donner une petite bouffée d’air frais : par exemple pousser notre coach de sport à lancer des sessions de sport sur Instagram ou sur Facebook. Avec tout ce crash financier que l’on observe, mes copains et moi, nous sommes vraiment très peu motivés à étudier. Notre génération va entrer, dans deux ans, dans le monde du travail qui est en pleine récession avec une crise économique terrible. C’est ce qui est le plus décourageant. »


Julia Kallassi, 1re année de doctorat en psychologie à l’université d’Angers : « La seule chose que j’espère, c’est que cette crise fera réfléchir les gens »

« Je vis dans une famille d’accueil dans une grande maison à Angers. Mais depuis le début du confinement imposé, j’ai établi une discipline dans ma vie, car en psychologie, on sait que la routine est une règle-clé pour faire face et s’adapter aux situations et surtout ne pas tomber dans la déprime. Bizarrement, je vis bien cette période. Je me lève tôt le matin et je m’habille, ce qui est très important. Je lis énormément, je cuisine et je sens que je dispose de beaucoup plus de temps qu’avant. J’ai décidé de profiter de cette situation pour apprendre des choses que je n’ai jamais pu faire avant. Je m’initie au coding en ligne, grâce à des cours gratuits lancés par de grandes universités. Je n’ai pas voulu rentrer au Liban, de peur d’être bloquée là-bas. Mais aujourd’hui, je me rends compte que l’université ne va pas rouvrir de sitôt. Cette incertitude du lendemain, en plus du fait de me trouver loin de mes parents, m’inquiète et commence à me peser un peu. Cette année est vraiment ratée pour nous diplômés. On ignore ce qui nous attend à l’avenir. La seule chose que j’espère, c’est que cette crise fera réfléchir les gens. C’est surtout au niveau des grandes politiques nationales et internationales, et plus particulièrement du point de vue médical, que les choses devront changer pour être prêts à juguler d’autres pandémies. »


Jean-Claude Khoury, master en marketing digital à l’Université IE à Madrid : « Les gens ont peur les uns des autres, ils s’éloignent quand ils vous voient arriver »

« Lorsque le premier cas a été découvert sur le campus, l’université a immédiatement fermé ses portes et les cours en ligne ont débuté doucement pour nous familiariser avec le système. Avec sept copains libanais, nous avons alors décidé de passer le week-end dans le sud de l’Espagne, à Marbella, pour nous éloigner de la ville. Malheureusement, ce week-end-là, les autorités espagnoles ont pris la décision de débuter le confinement à Madrid et donc nous avons été bloqués là-bas. Nous ne pouvons pas dire que nous sommes en vacances. Nous ne pouvons pas sortir. Les gens ont peur les uns des autres, ils s’éloignent quand ils vous voient arriver. Une situation d’apocalypse. Actuellement, nous suivons nos cours en ligne. L’avantage, c’est que nous sommes en groupe et nous nous encourageons. Mais au bout d’une semaine, nous réalisons que la situation n’est pas normale et que nous ne pouvons pas tenir le coup longtemps. Nous étions supposés reprendre les cours le 14 avril, mais l’administration vient d’ajourner encore une fois la date de reprise des cours. C’est cette incertitude qui nous inquiète beaucoup. Tout se passe tellement rapidement que nous n’arrivons pas à penser à l’avenir. Aujourd’hui, c’est le moment présent qui nous inquiète le plus. »


Ralph Cordahi, master en finance d’entreprise à la Skema Business School à Paris : « Je ne sais pas combien de temps nous allons pouvoir tenir le coup »

« Déjà une semaine que nous sommes confinés dans nos petits studios, avec interdiction de sortir sauf en cas d’urgence. C’est tout juste si l’on peut circuler dans le quartier absolument vide. Moi, j’ai de la chance d’habiter dans un 25 m2, ce qui est relativement facile. Mais aujourd’hui, au bout de 10 jours, je commence un peu à suffoquer. Même sortir faire des courses devient une vraie corvée. Outre la solitude et la distance sociale loin des amis et de la famille, c’est l’incertitude et l’angoisse auxquelles nous faisons face quant à notre avenir qui me pèsent le plus. Je termine mes cours fin avril et j’ai jusqu’à la fin du mois de décembre pour valider mon expérience de travail sur le terrain, qui doit être de quatre mois au minimum. C’est le flou total. Nous sommes vraiment anxieux et très peu motivés pour étudier. Avant, le fait d’aller à l’université nous permettait de nous déconnecter et de mieux nous concentrer. Aujourd’hui, il faut s’adapter à ce nouveau système d’études en ligne, sans travail de groupe et sans interaction humaine qui permettent un échange plus actif, dans nos appartements qui sont devenus le lieu où l’on dort, on travaille et on se repose. Il ne faut pas oublier que ce sont de petits studios, et nous nous trouvons souvent à l’étroit. Il faut vraiment s’autodiscipliner pour être plus productif face aux échéances et aux projets à présenter. Moi, je n’ai pas voulu rentrer au Liban pour rester proche de l’université. J’avais peur d’être coincé au Liban si les aéroports n’ouvraient pas. Aujourd’hui, je ne sais pas combien de temps on va pouvoir tenir le coup, enfermés comme cela. Être à Paris et ne pas pouvoir profiter de cette ville magnifique est vraiment rageant ! »


Lynn Lahoud, master en expérience client et innovation à l’Université IE à Madrid : « Mon seul problème depuis le début de mon confinement, ce sont mes insomnies »

« J’habite dans un appartement avec ma sœur qui est retournée au Liban depuis le début de cette crise. Moi, j’ai refusé de partir, parce que je savais que je pouvais être plus productive ici. Depuis une semaine, je suis confinée à la maison et j’ai établi ma propre routine tous les jours, ce qui m’aide à supporter mon quotidien : je suis mes cours en ligne pendant la journée, je m’oblige à faire mon sport tous les jours, je cuisine et je rentre dormir. Malheureusement, les cours en ligne ne sont pas évidents du tout, et il est difficile de se concentrer. Mon seul problème depuis le début de mon confinement, ce sont mes insomnies. Je dors à 4h du matin tous les jours, peut-être parce que je ne bouge pas assez durant la journée. Lorsque je me sens cafardeuse, j’éprouve le besoin urgent de parler à quelqu’un. J’appelle mes amis et ma famille. Ça me calme immédiatement. Ce qui m’angoisse le plus, c’est de ne pas savoir quand je pourrai retourner au Liban, voir mes parents, mes amis de la faculté. J’essaie de rester optimiste quant à mon avenir, d’autant que mon but est de rester en Europe et de travailler dans des compagnies européennes. Or je n’ai pas d’autre passeport que le libanais. Je ne sais pas combien de temps nous pouvons rester sans sortir de la maison, sans savoir ce que nous réserve l’avenir. »


Kevin Bosnoyan, 6e année de médecine à la St George University of London, Chicago : « Je ne trouvais aucun masque pour me protéger… »

« Il y a tout juste une semaine, l’hôpital où je travaille nous a avertis qu’il ne prendrait plus de nouveaux patients et nous a demandé de regagner nos maisons et d’attendre des nouvelles. Le lendemain, nous avons reçu un e-mail de l’université nous avertissant que les cours seraient désormais retransmis en ligne.

C’est qu’au début de la crise, personne n’a pris la chose au sérieux aux États-Unis. Ce n’est que lundi dernier qu’on a demandé aux personnes qui n’avaient pas de choses importantes à faire de se confiner dans les maisons. Mais sans vraiment prendre de mesures sérieuses comme en Europe ou dans d’autres pays. À ce moment-là, tout a fermé, sauf les supermarchés et les pompes à essence.

Aujourd’hui, il y a plus de 57 000 cas aux États-Unis et les gens continuent à sortir pour courir et se balader dans les parcs. Ils ne prennent toujours pas la situation au sérieux et personne ne leur interdit de sortir. Pire, la plupart pense que c’est une question politique et que c’est du bluff. Mon colocataire et moi, nous sommes conscients de la gravité du cas. Nous restons confinés à la maison pour ne pas courir de risque et faire courir de risque aux autres.

Ce qui est affolant, c’est l’indiscipline des gens et le vandalisme. À l’hôpital, les parents des patients ont volé tous les masques et les gels qui se trouvaient dans les couloirs. Le personnel médical ne pouvait plus se protéger. J’étais moi-même enrhumé et je faisais ma tournée auprès des malades. Je ne trouvais aucun masque pour me protéger. Les infirmiers ont dû les cacher pour les garder au corps médical, et tous les produits désinfectants ont été vissés aux murs pour éviter les vols. Dans les supermarchés, c’est la débandade. Certains produits comme les rouleaux de papier-toilette, les céréales, la farine, le pain et les pâtes avaient complètement disparu depuis le premier jour. Hier, le président Trump parlait de rouvrir les centres d’achat et la ville avant Pâques. Pour lui, l’essentiel est de sauver l’économie du pays… »



Lire aussi

Les universités fermées, une tendance virale en 2019-2020...

Saria Sfeir, 1re année de génie mécanique à l’École polytechnique fédérale de Lausanne : « Cette incertitude me tue »« J’habite dans une chambre de 9 m2, dans une résidence d’étudiants avec toilettes et cuisines communes. Dès que nous avons appris qu’on avait décelé un cas du virus dans la résidence, nous n’avons plus osé circuler, restant dans nos...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut