Une tweet de la vice-présidente du Courant patriotique libre (CPL) pour les affaires politiques, May Khoreiche, a soulevé un tollé hier dans des milieux conservateurs sunnites et brièvement alimenté une certaine tension entre sa formation politique et Dar el-Fatwa. Dans l’intention de profiter des jours de confinement imposés à la population, Mme Khoreiche avait proposé l’échange de notes de lecture sur le réseau social dans le cadre d’une rubrique qui s’intitulerait « Un jour, un livre ». Sa proposition s’accompagnait de la photo de couverture d’un livre qu’elle a affirmé être en train de lire : Les Derniers jours de Muhammad, un ouvrage de l’universitaire tunisienne Hela Ouardi, paru chez Albin Michel.
L’affaire a repris en fin de journée de plus justes proportions, puisque dans une mise au point destinée à clarifier sa démarche, Mme Khoreiche a affirmé avoir pris les contacts nécessaires avec Dar el-Fatwa, précisant qu’on s’était mépris sur ses intentions et qu’elle n’a jamais cherché à offenser l’islam.
Les Derniers jours de Muhammad est un essai historique sur les zones d’ombre entourant la mort du fondateur de l’islam. Dans sa présentation de l’ouvrage, l’éditeur Albin Michel affirme que Hela Ouardi « explore et confronte les sources sunnites et chiites les plus anciennes », ajoutant que « celles-ci révèlent un autre visage du Prophète : un homme menacé de toutes parts, affaibli par les rivalités internes et par les ennemis nés de ses conquêtes ».
Il s’agit, précise encore l’éditeur, « d’une reconstitution chronologique inédite, où Hela Ouardi oppose aux mémoires idéologisées le portrait d’un homme rendu à son historicité et à sa dimension tragique ».
(Pour mémoire : Si un journal libanais publie une caricature du prophète, il sera déféré devant la justice)
Regrets et condamnation
Dans un communiqué émanant de Dar el-Fatwa, l’instance religieuse a « regretté et condamné » l’apparente publicité faite par May Khoreiche pour l’ouvrage controversé, tandis qu’un groupe d’avocats, qui semble être à l’origine du tollé, transmettait une note d’information au parquet de la Cour de cassation, assimilant l’initiative à une « incitation à la discorde » et une « moquerie des choses saintes » et réclamant l’arrestation de son auteur.
Dans son communiqué, Dar el-Fatwa a jugé en particulier « regrettable » l’initiative prise par « une femme affiliée à un mouvement politique au Liban recommandant la lecture d’un livre insultant le sceau des prophètes et des messagers, Mohammad ». Ce faisant, May Khoreiche met en danger « la paix civile et la coexistence », a jugé l’institution religieuse, qui a exigé que les autorités « mettent fin à cette affaire blasphématoire qui viole les dispositions de la Constitution libanaise » et demandé des excuses pour « prévenir une potentielle sédition ».
Outre le communiqué de Dar el-Fatwa et la note d’information déposée auprès du parquet de la Cour de cassation, la députée Roula Tabch (courant du Futur) et le député Assad Dergham (CPL) ont condamné l’initiative de Mme Khoreiche. Mme Tabch a estimé que ceux qui recommandent de tels ouvrages sont « d’aveugles fanatiques » qui « persécutent l’islam ». M. Dergham a rejeté toute « atteinte au vérités sacrées de l’islam ».
Des avis partagés
Dans les milieux universitaires de la communauté sunnite, les avis étaient partagés, mais tous hostiles à une recommandation qui ferait prendre la teneur de l’ouvrage pour une vérité historique établie. « Le livre est habilement écrit et se lit avec passion, mais son auteur triche un peu sur ses sources », estime une source académique qui a requis l’anonymat.
Endossant l’appel de Dar el-Fatwa, l’ancien secrétaire général de l’instance islamique, le cheikh Mohammad Nokkari, a affirmé : « Respecter la liberté de pensée et d’expression est une chose, encourager la lecture d’ouvrages provocants pour une grande partie de la société en est une autre, surtout si cet ouvrage comprend des calomnies et des mensonges au sujet des croyances religieuses ou idéologiques de cette tranche de la société. » « Une telle invitation serait à sa place s’il s’agissait d’un débat académique pondéré et calme », a-t-il ajouté. Et le dignitaire sunnite de réclamer la démission de May Khoreiche, « en particulier parce qu’elle occupe un poste de responsabilité au sein de son courant politique ».
De son côté, Mme Khoreiche a annoncé, dans une mise au point, avoir rectifié les choses auprès de Dar el-Fatwa, précisant « qu’elle n’a pas du tout voulu porter atteinte au Prophète ni faire de la publicité pour l’ouvrage » et qu’elle a grandi « dans le respect de la diversité religieuse » au Liban.
« Par acquit de conscience et comme preuve de bonne foi, a ajouté Mme Khoreiche, je retire mon tweet, dans l’espoir que ce geste suffira à mettre un terme à une controverse que je n’ai pas voulue, avec l’assurance de mon respect pour tous, dans le cadre général du respect des libertés publiques et de la diversité de la société libanaise. »
Pour mémoire
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commentaires (22)
Il faut rappeler qu'en France, l' Eglise Catholique a réagi vivement lorsque E. Renan a publié une étude historique sur Jésus. Renan a été chassé du Collège de France. Quelqu'un qui fait de la politique doit savoir qu'il y a des choses qui ne relèvent ni de l'Histoire, ni de la Littérature. C'est ce qu'on appelle le Sacré.
NASSER Rada Liliane
19 h 36, le 27 mars 2020