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Moyen-Orient - Reportage

À Idleb, la prison comme dernier refuge

Dernière enclave encore sous contrôle de l’opposition syrienne, la région accueille près de 3,5 millions de déplacés. En quelques mois, la population a presque doublé. Les familles s’installent où elles peuvent, les camps de déplacés sont surchargés et l’aide humanitaire ne leur parvient qu’au compte-gouttes.

Des enfants déplacés jouent dans l’ancienne cour de promenade devenue cour de récréation. Photo Ammar Alzeer

À l’entrée de l’ancienne prison d’Idleb, un homme a étalé un drap sur le sol et harangue le passant pour trouver des clients. Par terre, il a disposé une théière en métal, quelques livres, des chaussures et des jeux pour enfants. La plupart sont abîmés, parfois cassés. Mais c’est tout ce qu’il reste à Abdelrahman pour tenter de nourrir sa famille. Cet homme, au visage fatigué par le soleil et la guerre, habite là avec 84 autres familles. « Chaque cellule est partagée en trois, parfois en cinq, on a installé des draps, des caisses, ou des sacs pour faire des cloisons et donner un peu d’intimité à chacun », explique le vieil homme en nous faisant visiter les quinze cellules. Il époussette son caban vert en laine et regarde autour de lui. « Les familles me donnent les objets dont elles ne veulent plus et moi je les répare, je leur donne une seconde vie. Ensuite, on achète de quoi nourrir tout le monde avec le maigre bénéfice que l’on arrive à récolter. » Depuis que la guerre a commencé en 2011, le prix des produits basiques a été multiplié par 20. « Le prix du pain a été bloqué. On achète de l’huile et du riz quand on peut, on se débrouille. On a reçu quelques cartons d’aide humanitaire, mais ce n’était pas suffisant et, surtout, c’était il y a longtemps », raconte encore Abdelrahman.

Une petite fille accourt et se réfugie entre ses jambes. Elle dissimule son visage derrière les longs pans de son pantalon et joue à nous regarder, puis se recache en riant aux éclats. « C’est Rania, ma petite-fille. Ses parents sont morts dans un bombardement, depuis je m’en occupe du mieux que je peux. » Au cœur de la prison, entre quatre murs hauts, la cour de la promenade des détenus est devenue la cour de récréation des enfants déplacés. Leurs rires résonnent. Du linge, de toutes les tailles et de toutes les couleurs, est suspendu sur de longues cordes et sèche au soleil. Au premier étage, les boucliers des anciens gardes qui surveillaient la prison ont été disposés les uns contre les autres. Un mur improvisé pour protéger les enfants qui se tiendraient trop proches du bord. Abandonnés à eux-mêmes, ils s’aventurent partout. Ils n’ont aucune école ni centre éducatif à proximité. De toute façon, leurs parents ont trop peur de les envoyer au loin, en dehors de ces bâtiments. « Le régime a visé les écoles avec ses avions. Je ne veux pas que mes enfants s’éloignent de moi, je suis rongée d’inquiétude dès que je ne les vois pas », explique Laïla, assise sur le rebord de sa cellule. Selon l’Unicef, depuis 2014, 478 centres scolaires ont été pris pour cibles lors d’attaques du régime ou de son allié russe. Les Nations unies estiment que 2,8 millions d’enfants ne vont plus à l’école et que 180 000 membres du corps enseignant ont dû fuir.

« Se recréer un chez-soi malgré la guerre et les déplacements »

Le soleil d’hiver est bas et peine à réchauffer ces vieux murs de pierres blanches très épais et très hauts. Elle s’abrite les yeux du soleil et désigne les autres femmes assises sur des chaises sous un arbre. « On ne se connaissait pas avant d’arriver ici, maintenant on est devenu une grande famille. » Laïla sourit. En neuf ans de guerre, c’est sa sixième maison. La plupart de ses proches ont été décimés par les violences. Au bout d’un enfilement de couloirs et de hautes grilles, elle nous emmène jusqu’au refuge de Khadija, la plus vieille habitante des lieux. Originaire de Maarret al-Naaman, une ville au sud d’Idleb ravagée par les bombardements du régime et de son allié russe en février dernier, elle a dû fuir sa maison. À 70 ans, elle explique ne plus avoir peur de mourir. « Ce qui me rend triste c’est de ne plus être chez moi. J’y ai habité toute ma vie et là, je vais mourir dans un endroit qui m’est étranger. Alors j’ai essayé de créer mon chez-moi malgré tout. » Elle se lève et montre les objets qu’elle a réussi à conserver et qu’elle a soigneusement disposés dans ce petit refuge. Quelques photos, un coussin brodé et un peu de vaisselle. Et sur l’un des murs de l’ancienne cellule toujours aussi humide, des inscriptions laissées par les anciens détenus au temps où le régime de Bachar el-Assad contrôlait encore cette prison. « Omar était là. Tenez bon ! » ou encore « Abou Souleyman, 45 jours ». Dans une pièce improvisée à côté, deux petites filles jouent de l’autre côté du rideau de plastique qui a été accroché au plafond. Khadija les écoute et répète : « Je ne sais pas où sont mes proches, tout le monde a fui quand la tempête de feu s’est abattue sur la ville. J’espère qu’ils vont bien, qu’ils sont en sécurité quelque part. » Près de 20 000 enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition. Un tiers des mères enceintes ou en situation d’allaiter sont anémiées. Les deux tiers des enfants en situation de handicap n’ont pas accès à des services adaptés.

Au bout d’un couloir à l’autre bout du bâtiment, Ahmad et sa famille partagent une cellule avec la famille de son frère et celle de son cousin. Ici, pas de décoration ni de souvenirs. Ahmad est originaire de la ville de Homs. Avant la guerre, il tenait un magasin de meubles, puis il a rejoint l’Armée syrienne libre pour protéger les premières manifestations. Quand son quartier, Bab Amr, est tombé aux mains du régime, le grand exode a commencé. Un exode sans fin. Seize maisons en huit ans. « Ici, je n’ai pas de travail, il n’y a rien à faire. Il ne nous reste plus rien. La normalité n’existe plus depuis longtemps en Syrie. Vous croyez que c’est normal pour nos enfants de vivre ici, de ne pas pouvoir aller à l’école ? On vit dans la peur. » Son frère arrive, une petite fille dans les bras, une autre qui se tient contre lui et ne le lâche pas. « Mes filles n’ont connu que la guerre. J’espère qu’un jour on pourra rentrer chez nous à Homs, mais je n’y crois pas trop. Si le régime reprend la ville d’Idleb, je ne sais pas où on ira. Il ne nous reste plus rien. »


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