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Société - Fête des Mères

Au Liban, la solitude et le courage des mères célibataires

Outre la pression sociale, il faut aussi affronter les problèmes légaux qui se posent pour les enfants nés de père inconnu.

Une mère se promène dans un parc avec sa petite fille. Photo Bigstock

Souad* est aujourd’hui une mère comblée et fière de Rana, une jeune fille de 24 ans. Sa vie n’a pourtant pas été facile : elle est ce qu’on appelle une mère célibataire. Souad ne regrette pas sa décision de garder et d’élever sa fille malgré toutes les difficultés qu’elle a encourues. Pour elle, sa fille est le fruit de l’amour, malgré le fait que son amant ait fui devant ses responsabilités de père.

Au Liban, le drame des mères célibataires reste sous silence. Elles subissent parfois le refus des parents, souvent le regard inquisiteur de la société et toujours les problèmes légaux relatifs à la situation du père inconnu. « Ma décision de garder l’enfant a été pour moi un défi. D’abord un défi à moi-même », explique Souad. « Pour moi, cet enfant me donnait une raison de vivre alors que j’ai eu beaucoup de problèmes dans ma jeunesse. Et ma fille m’a aidée à surmonter ma solitude. Elle a rempli ma vie », ajoute-t-elle. C’est aussi pour elle un défi à la société qui n’accepte pas les mères célibataires. « J’ai pu ainsi prouver au monde que je peux élever dans l’amour et la dignité ma fille dont je suis très fière aujourd’hui », poursuit-elle.

Jamilé* est elle aussi mère célibataire de Jad, un petit garçon de 3 ans. « J’ai eu beaucoup de problèmes avec mes parents qui n’ont pas accepté ma décision. Depuis trois ans, ils ne me parlent plus », se désole cette jeune maman. Contrairement à Souad qui n’a pas de problème d’évoquer son amant, Jamilé refuse catégoriquement de parler du père de son fils.

Joanna a également souffert de l’incompréhension de son père. C’est d’ailleurs d’un voisin et ami de ce dernier qu’elle est tombée enceinte. Elle a dû quitter la maison familiale et louer un petit studio durant sa grossesse. Une fois qu’elle a donné naissance à sa petite fille, elle a vécu une année complète dans sa voiture garée dans un parking. Elle allait souvent prendre une douche chez une amie. Elle multipliait les petits jobs d’une manière très instable pour subvenir à ses besoins. Après cette véritable année d’enfer, elle a commencé à travailler comme vendeuse dans un magasin, ce qui lui a finalement permis de louer un petit studio et d’y vivre décemment.

Jamilé a eu plus de chance. Elle s’est réfugiée dans la communauté de « Maryam et Martha », à Ajaltoun. Depuis une vingtaine d’années, cette association accueille sans distinction de religion les exclues de la société patriarcale dans laquelle nous vivons : femmes battues, victimes de viol, prostituées ou mères célibataires y trouvent refuge. Toutefois, ce soutien vise uniquement les femmes qui ont décidé d’avoir leur enfant. L’association aide ces femmes aux niveaux psychologique, social, juridique et médical.

« Bien que j’aie reçu un soutien psychologique et financier au centre de Maryam et Martha, et que j’aurais pu continuer d’y vivre sereinement, j’ai décidé de m’installer seule. Mon but est d’être indépendante », explique Jamilé, toujours le sourire aux lèvres : « J’ai pris ma décision de garder mon enfant et j’en suis totalement responsable. Et j’assume cette responsabilité avec courage et obstination. Pour moi, c’est un grand défi que j’ai dû affronter toute seule malgré mon jeune âge. Je suis à la fois la mère et le père. »


(Lire aussi : Une marche à Beyrouth, envers et contre tout, pour les droits des femmes)

Le poids de la société

Le point commun entre toutes ces mères, c’est le poids de la société. Pour Jamilé, « le combat quotidien contre la société est éreintant. Cela me fatigue beaucoup. Ça prend trop d’énergie, alors que je dois concentrer cette énergie à élever mon fils ». Le seul souhait de cette jeune mère est d’être autonome et de vivre une vie normale : « Je veux prouver aux autres que je peux le faire. Que je mérite de vivre ma vie. Avec le temps, je ne fais plus attention aux moqueries des autres. Même si eux ne peuvent pas m’accepter comme je suis, moi je les accepte comme ils sont. »

Même combat pour Souad : le plus difficile est le regard des autres. « En tant que mère célibataire, j’ai subi pendant longtemps leurs questions indiscrètes, leurs sous-entendus hypocrites, les cadeaux malintentionnés que je refusais. Mais j’ai su mettre des limites à ceux qui me faisaient des propositions indécentes. Ils se disaient sûrement : elle a succombé une fois, elle le fera encore. Mais moi, je n’ai rien fait de mal. J’ai simplement aimé le père de ma fille. »

Pour la société, c’est presque un crime d’être une mère célibataire. Mais pour Souad, « le crime aurait été d’avorter ou d’abandonner ma fille ». « Avec le temps, mes voisins ont compris qui je suis et, depuis, je suis en bons termes avec eux. Ils m’apprécient et me respectent », précise-t-elle.

La vie quotidienne

Dans son petit appartement, Souad prépare le déjeuner, aidée par sa fille qui fait la salade. Aujourd’hui, Rana est à la maison, confinée comme la plupart des Libanais à cause de l’épidémie du coronavirus. Mais elle a terminé brillamment ses études universitaires et a commencé à travailler.

« J’ai eu beaucoup de difficultés à élever ma fille toute seule, explique Souad. Certains matins, je n’avais plus envie de me réveiller. Mais il fallait me lever, préparer le petit déjeuner de ma fille, l’habiller. Il fallait arranger la maison. Aller au travail. Ce n’est pas évident du tout. »

Au niveau financier, elle a été soutenue par plusieurs personnes à qui elle est toujours reconnaissante. Mais la vie n’a pas été facile, entre la cherté de vie, l’école, l’université. Mais pour elle, le vrai problème reste toutefois psychologique. « J’ai été hyperprotectrice de ma fille. Elle est tout ce que j’ai au monde. J’avais très peur pour elle. Cette angoisse me tuait. »

Pour Jamilé, « il est très difficile de trouver un équilibre entre le boulot, la maison, l’éducation de mon enfant et ma vie personnelle. Parfois, je pleure, je crie, je m’énerve contre mon fils », têtu et turbulent, selon elle. « Ce qui me tient à cœur, toujours maintenant, c’est la solitude, le délaissement. » Toutefois, « je me regarde maintenant et comment j’étais il y a 3 ans. J’ai en fin de compte réussi à parcourir un long chemin difficile », affirme fièrement Jamilé.

Au boulot, elle a été ridiculisée, harcelée, presque humiliée… « J’ai fait des pieds et des mains pour garder mon poste de travail. Je suis fière de ce que j’ai accompli. Je ne regrette pas ma décision. »

Joanna aussi a galéré pendant longtemps pour prendre soin de sa fille. Cette dernière a aujourd’hui 26 ans, a terminé ses études et travaille. Depuis, Joanna s’est réconciliée avec son père, mort récemment. Ce dernier l’a toutefois aidée financièrement durant les dernières années. Joanna et sa fille habitent désormais la maison paternelle.


Discriminations légales

Mais outre la pression sociale, les mères célibataires sont confrontées à des difficultés légales à n’en plus finir. Les problèmes commencent dès la naissance du bébé, affirme Nelly Sfeir Mecherkani, assistante médico-sociale au sein de l’association Maryam et Martha. En effet, certains hôpitaux demandent un certificat de mariage pour donner à la mère le certificat de naissance. Un obstacle vite résolu généralement, affirme Mme Sfeir Mecherkani. La deuxième étape à surmonter, c’est chez le moukhtar. « D’habitude, c’est le père qui vient enregistrer le certificat de naissance. Donc certains se raidissent quand ils voient la mère faire la démarche. Actuellement, le moukhtar met un prénom fictif pour le père. Le reste de la procédure se fait au ministère de l’Intérieur. On convoque la mère qui subit un interrogatoire. Le processus prend généralement beaucoup de temps avant l’obtention des papiers pour le nouveau-né. Ce dernier est inscrit sur le casier parental de son grand-père maternel. L’important est que la procédure soit entamée avant un an à partir de la naissance. Sinon, il y aura un procès encore plus lourd et compliqué à faire.

« Au Liban, il n’y a malheureusement pas de loi qui réglemente cette situation, précise le professeur Ibrahim Traboulsi, juriste spécialiste du statut personnel. Il n’y a donc aucun régime juridique pour traiter des mères célibataires et surtout des droits des enfants, qu’il s’agisse de la pension alimentaire, de l’héritage ou autre. »

Selon lui, la procédure était très compliquée il y a une vingtaine d’années. Aujourd’hui, grâce à l’action de certaines ONG et de la pression de la société civile, la procédure devient plus souple. Ainsi, on ne mentionne plus sur la carte d’identité ou le casier personnel de l’enfant qu’il est illégitime, ou adultérin au cas où un des deux parents serait marié.

Me Traboulsi précise en outre qu’il y a deux chemins à suivre. Le premier étant la reconnaissance de l’enfant par la mère uniquement. Toutefois, cette dernière peut demander à travers la justice que le père présumé reconnaisse son enfant. « Et il faut que les mères sachent qu’elles ont cette possibilité à travers le système judiciaire libanais. La mère peut intenter une action en justice devant un tribunal civil contre le père présumé pour qu’il reconnaisse la paternité de l’enfant. Dans ce cas, on fait un test ADN pour les trois », précise le juriste.

« J’ai eu beaucoup de difficultés pour enregistrer ma fille », explique Souad. Malgré le soutien du clergé et d’avocats amis, la procédure a été une tragédie pour elle. « Je revenais les yeux rouges tellement je pleurais. J’ai dû subir mille humiliations et insultes. L’important pour moi, c’est que sur sa carte d’identité et sur son passeport, il n’est pas mentionné qu’elle est un enfant illégitime », poursuit-elle. Des médiateurs avaient même proposé qu’elle se marie civilement à Chypre avec le père puis qu’elle divorce, juste pour ne pas avoir des problèmes pour enregistrer le futur enfant dans le registre civil au Liban. Malheureusement, le père avait refusé net.

*Les prénoms ont été modifiés


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Souad* est aujourd’hui une mère comblée et fière de Rana, une jeune fille de 24 ans. Sa vie n’a pourtant pas été facile : elle est ce qu’on appelle une mère célibataire. Souad ne regrette pas sa décision de garder et d’élever sa fille malgré toutes les difficultés qu’elle a encourues. Pour elle, sa fille est le fruit de l’amour, malgré le fait que son amant ait fui...

commentaires (4)

Cette question ne se pose pas en terme de courage mais de DROIT fondamental.La libanaise doit automatiquement transmettre sa nationalité et son nom à son enfant.Ensuite, il faudra traiter la question du droit à l' avortement.

youssef barada

12 h 15, le 22 mars 2020

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Commentaires (4)

  • Cette question ne se pose pas en terme de courage mais de DROIT fondamental.La libanaise doit automatiquement transmettre sa nationalité et son nom à son enfant.Ensuite, il faudra traiter la question du droit à l' avortement.

    youssef barada

    12 h 15, le 22 mars 2020

  • la femme esclave (double peine) de l homme et de la société libanaise du moyen age. quand les femmes auront les meme droits que les hommes ? C est vrai ce n est pas le moment ce n est jamais le moment;;;;;;;;;;;;;;;

    youssef barada

    11 h 36, le 22 mars 2020

  • Terrible !! Etre né de père inconnu...C'est n'être jamais né.

    LeRougeEtLeNoir

    15 h 18, le 21 mars 2020

  • Des femmes bien courageuses!

    NAUFAL SORAYA

    07 h 51, le 21 mars 2020

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