Critiques littéraires Essai

Révolutions en réflexion

D.R.Claude Mazauric

Qui ne connaît pas les grandes lignes de la Révolution française sortira désemparé de ce court essai de Claude Mazauric, entre deux grandes parties intitulées « Avant-propos » (une cinquantaine de pages), puis « Journées révolutionnaires et mouvements rebellionnaires » (près de quarante pages), et des annexes où l’historien chevronné salue ses maîtres. Il y a quelque chose de touchant dans cette liste de grands historiens disparus. On sent quelque part que Mazauric s’y retrouve déjà.

On en sort quand même très enrichi par une érudition qui paraît de suite dans les premières pages, lorsque Mazauric se penche sur le concept d’« Ancien Régime ». Dans l’histoire des révolutions, la naissance de concepts est importante, parce que d’elle dépend la perception globale d’une série d’événements que nous concevons comme un phénomène discret. Il suffit de voir le flottement qui accompagne notre Révolution libanaise, appelée tour à tour thawra, intifada, et hirak. Thawra, en partie grâce au poing levé, brûlé, restauré, et répété, domine avec son espoir d’un changement réel. Dans le cas de la Révolution française, le concept apparaît tôt, au soir du 14 juillet. Lorsque Louis XVI demande « Mais c’est une révolte ? », « Non, Sire, c’est une révolution ! », lui répond La Rochefoucauld. Le temps aidant, cette appellation demeure unique et majestueuse. Cette histoire est trop connue pour que Mazauric la rapporte.

Pour ce qui est de l’« Ancien Régime », par contre, Mazauric rappelle que le concept naît dès le 1er septembre 1789, donc quelques semaines seulement après la prise de la Bastille, dans un discours du duc de Liancourt, membre aristocratique élu aux États généraux devenus Assemblée nationale, qui défend le veto royal parce que constitutif du « gouvernement monarchique », c’est-à-dire de l’« Ancien Régime ». Voici donc la première trace d’un concept qui nous sera très utile au Liban si la Révolution réussit à nous débarrasser de notre système confessionnel. Le concept sera repris par le Dictionnaire de Pierre-Nicolas Chantreau paru début 1790 : « À l’entrée ‘Régime’, on lit. ‘En politique il équivaut à l’administration, à gouvernement’ : l’ancien régime, c’est donc ‘l’ancienne administration, celle qui existait avant la Révolution’ ; et le nouveau régime, ‘celle qui a été adoptée depuis cette époque’. » Le champ sémantique « Ancien Régime » sera repris par Talleyrand, Marat, jusqu’à s’inscrire dans le titre phare d’Alexis de Tocqueville en 1856.

Vu l’effondrement du Liban, il sera utile de concevoir un équivalent arabe à cet Ancien Régime : nazam ba’ed, ou nazam qadim si on veut être plus littéral. En cette période révolutionnaire, la lecture des antécédents de la Grande Révolution française est éclairante. On trouve chez Mazauric des thèmes très riches, pas tous neufs, mais quand même édifiants : par exemple sur la temporalité de la Révolution, qu’il considère incarnée dans son histoire politique et scandée par une série de journées révolutionnaires, une vingtaine depuis le printemps secoué de 89 jusqu’au coup d’État de Bonaparte.

Autre thème important, celui des campagnes et des villes, et la diffusion des nouvelles. Ce que nous vivons en whatsapps, tweets et télévision est transmis dans la France révolutionnaire lentement dans le colportage des imprimés…, complété par la parole vive des colporteurs qui portent les « nouvelles » de ville en ville et de ville en campagne, alors que la parole officielle est, avant la Révolution, principalement « transmise par les prêtres en chaire ». Ou encore la guerre et son effet tragique sur les idéaux révolutionnaires, ou la place des femmes dans la Révolution, thème que nous vivons aussi au Liban, mais avec une intensité différente et bien plus prometteuse.

Un grand sujet manque toutefois dans l’ouvrage, celui de la Terreur, qui n’y est mentionné que rarement. Pour un historien de l’école marxiste la plus traditionnelle, cette absence est étrange. Là aussi, nous devrions, au Liban et dans un monde soulevé par des mouvements sociaux « révolutionnaires », réfléchir à la dimension non-violente de Beyrouth, de Santiago, de Mumbai. L’opposé de la Terreur, maléfice de la Révolution que l’on considérait jusqu’à très récemment comme ‘inévitable’, c’est la non-violence comme attribut volontaire de nos actions dans la rue. Même s’il n’en traite pas, peut-être même parce qu’il n’en traite pas, ce remarquable petit essai dans les bibliothèques surchargées d’histoires de la Révolution française se distingue par une synthèse un peu lâche, mais provocante à l’esprit, d’un des grands noms de l’historiographie française.

La Révolution de France de Claude Mazauric, H Diffusion, 2019, 103 p.

Qui ne connaît pas les grandes lignes de la Révolution française sortira désemparé de ce court essai de Claude Mazauric, entre deux grandes parties intitulées « Avant-propos » (une cinquantaine de pages), puis « Journées révolutionnaires et mouvements rebellionnaires » (près de quarante pages), et des annexes où l’historien chevronné salue ses maîtres. Il y a quelque...

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