En attendant l’annonce du plan de redressement économique et financier du gouvernement, sur la base duquel il devrait rassurer ses créanciers et éviter qu’ils n’aient recours à la justice internationale, une nouvelle polémique pointe à l’horizon.
Cette polémique, qui vise essentiellement à meubler le temps mort en attendant les grandes décisions, a pour point de départ la fameuse phrase du président du Conseil Hassane Diab dans son discours solennel de samedi, lorsqu’il a dit que nous payons le prix d’une politique économique inadaptée qui a privilégié l’économie de rentes à celle basée sur la production.
Le courant du Futur et son chef, l’ancien Premier ministre Saad Hariri, se sont sentis clairement visés et ils sont passés à la contre-attaque, rejetant ainsi toutes les critiques adressées à ce qu’on appelle « l’ère Hariri » qui avait commencé au début des années 90 avec l’adoption de l’accord de Taëf et l’arrivée à la présidence du Conseil de Rafic Hariri. Il faut préciser qu’un certain nombre d’économistes et d’experts financiers, dont certains ont occupé des postes ministériels comme Charbel Nahas et Georges Corm, avaient depuis quelque temps déjà dénoncé la politique économique et financière adoptée par le Premier ministre assassiné en 2005. Celle-ci était basée, selon eux, sur deux points essentiels : miser sur les services au détriment des secteurs industriel et agricole et lier l’économie du Liban à celle des pays du Golfe, en raison de la demande d’une main-d’œuvre libanaise dans ces États et de la tendance des citoyens de ces pays à vouloir passer leurs vacances au Liban. L’économie libanaise était ainsi devenue tributaire des sommes envoyées au Liban par ceux qui travaillaient dans le Golfe ainsi que des dépenses des touristes venus du Golfe. Mais pour satisfaire ces derniers, il a fallu construire une infrastructure particulière destinée à rendre leur séjour agréable, au prix d’un endettement intensif. Le schéma était certes simplifié, mais l’essentiel est là. Aucun effort n’était donc fait en direction des secteurs de production et les banques en donnant des taux d’intérêt élevés encourageaient les gens à devenir des rentiers au lieu d’être des investisseurs.
Toutefois, les développements des dernières années n’ont pas favorisé cette approche. Au contraire, l’exacerbation des tensions régionales, les guerres du Yémen et de Syrie, ainsi que les divisions entre sunnites et chiites dans la région ont provoqué une crise avec l’Iran et au sein des pays du Golfe eux-mêmes, sans parler des considérations politiques qui les empêchaient désormais de venir au Liban. Le seul élément qui restait solide était le secteur bancaire... Jusqu’à récemment lorsqu’il a fallu rembourser les dettes accumulées.
Mauvais calcul, développements imprévus, peu importe, cette nouvelle situation a porté un coup terrible à l’économie libanaise, qui n’était pas préparée à des solutions alternatives. Les quelques tentatives de modifier les orientations économiques du pays se sont heurtées à des critiques féroces et à des accusations de vouloir détruire « l’ère Hariri ».
Face à cette remise en cause d’une époque que les Libanais ont tendance à qualifier de prospère, les ténors du courant du Futur ont lancé une contre-attaque, en rendant le Hezbollah responsable de la crise actuelle. Selon eux, après avoir été un mouvement de résistance qui a libéré le territoire de l’occupation israélienne, le Hezbollah s’est développé au détriment des institutions libanaises et il est carrément devenu un instrument de la politique expansionniste iranienne. Il a ainsi participé aux combats en Syrie et en Irak, et même au Yémen, sans même en avertir l’État libanais. C’est aussi sa politique dans la région qui a poussé les États du Golfe, qui traditionnellement n’ont jamais hésité à aider le Liban, à ne plus s’intéresser à ce pays. C’est encore à cause de sa participation à des guerres dans lesquelles le Liban n’a strictement rien à voir et de son implication dans ce qu’il appelle « l’axe de la résistance » que les États-Unis sont aujourd’hui en train de punir le Liban, par des sanctions très dures qui touchent le secteur bancaire et les institutions de l’État. Ceux qui défendent cette thèse affirment aussi que le Hezbollah a la haute main sur la décision politique au Liban. C’est sous sa houlette que le gouvernement de Hassane Diab a été formé et c’est aujourd’hui lui qui veut imposer sa vision de la solution en interdisant au gouvernement de solliciter l’aide du Fonds monétaire international. Les parties politiques hostiles au Hezbollah ont immédiatement pris le relais, faisant assumer à ce dernier la responsabilité de la crise actuelle et de ses conséquences sur l’État et sur les citoyens.
Dans cette période d’inquiétude, cette polémique pourrait avoir des conséquences désastreuses sur la situation interne, en réveillant les peurs et les haines. Conscient de la gravité de la situation, le courant du Futur préfère désormais cibler essentiellement le Premier ministre, alors que le Hezbollah cherche à nuancer sa position à l’égard du FMI. Par la voix du député Ibrahim Moussaoui, il a déclaré hier que le problème avec le FMI, c’est qu’il a des programmes de redressement standards, alors que le Liban est un cas particulier. De plus, pour le Hezbollah, c’est vrai que le FMI est une institution monétaire, mais les États-Unis en possèdent 29 % et ils sont influents dans ses décisions. Mais M. Moussaoui a ajouté qu’il n’y a aucun problème à écouter ses propositions, quitte à ce que le Liban puisse choisir ce qui peut lui convenir.
Les deux camps principalement concernés sont donc soucieux de ne pas laisser la polémique aller trop loin, car en ces temps lourds, l’heure n’est pas aux règlements de comptes politiques. Mais c’est Hassane Diab qui est en première ligne.
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Faudrait peut-être qu’on arrête de se blâmer les uns les autres de la situation dans laquelle on est et qu’on essaye de sauver ce qui peut l’être du mieux que l’on peut. Certes on ne pourra pas bénéficier des mêmes aides qu’un Liban sans Hezbollah aurait pu avoir, mais il faut faire avec. D’autres pourraient répondre, et c’est leur avis et il faut le respecter au vu de ce qui s’est passé en Syrie et en Iraq et meme dans une moindre mesure au Liban, qu’on ne bénéficierait pas du meme niveau de sécurité sans le Hezbollah. Bref la réalité est ce qu’elle est, en ces temps critiques il faut se serrer les coudes et essayer de sauver les pots cassés. Sachez que ces messieurs du FMI ne sont pas plus intelligents que nous, et qu’économiquement parlant leurs plans de sauvetage sont extrêmement douloureux et ce n’est pas forcement ce qu’il y a de meilleur pour nous. Si on peut faire sans eux, avec l’aide des pays européens, peut être de la Russie, et même de l’Iran, pourquoi pas ya3ne, il faut le faire. S’il n’y a pas d’autre moyen, alors il faudra se résoudre à se fier au FMI. Dans tous les cas, nous citoyens avons pour devoir d’être constructifs dans la critique, de se tenir les uns a côté des autres (mais pas trop a cause de corona), et de laisser les vieilles rancœurs de côté. A bon entendeur... salut
Chady
18 h 42, le 12 mars 2020