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Culture - Festival al-Bustan

« La musique est le seul remède au Liban »

Le violoniste anglais Charlie Siem, épaulé par le chef d’orchestre Jérémie Rhorer et la Camerata de Salzbourg, a offert un concert inoubliable à la découverte de deux chefs-d’œuvre beethoveniens aussi protéiformes que prométhéens.

Le violoniste Charlie Siem, le maestro Jérémie Rhorer et la Camerata de Salzbourg réunis sur la scène du Festival al-Bustan. Photo Christopher Baaklini

Le Festival al-Bustan ne cesse de ravir le public d’un pays du Cèdre englué dans sa plus grave crise socio-économique depuis trente ans et qu’effleure l’épidémie du nouveau coronavirus qui se répand, d’une façon alarmante, dans le monde. Pour poser, malgré tous ces obstacles, les jalons d’une réussite assurée, le festival de renom a fait appel, mardi soir, à trois grands noms de la scène musicale classique du XXIe siècle : le violoniste britannique Charlie Siem, soliste de la soirée, dont la sensibilité raffinée et la technique sans faille font l’unanimité des critiques ; la Camerata de Salzbourg, acclamée sur toutes les grandes scènes mondiales, et le chef d’orchestre Jérémie Rhorer, qui combine à la fois la rigueur intellectuelle et la clarté absolue d’une vision musicale où prime d’abord l’émotion, pour engendrer des joyaux passionnants d’ordre lyrique et symphonique. Au programme, deux « soleils » créés par Beethoven : la huitième symphonie –

« ma petite symphonie en fa » – comme le grand compositeur aimait la surnommer pour la distinguer de sa monumentale sixième symphonie, la Pastorale, également en fa majeur, et le majestueux concerto pour violon, le plus grandiose des concertos jamais écrits pour cet instrument. Neuf symphonies, cinq (en plus d’un triple) concertos pour piano, seize quatuors à cordes, trente-deux sonates pour piano, une grande quantité de musique de chambre et des centaines d’autres pièces. Il est évident que la jubilation du maestro allemand s’est traduite, d’une manière prolifique, dans des œuvres de circonstance absolument irrésistibles et dans presque tous les genres musicaux à l’exception d’un seul : l’unique concerto pour violon en ré majeur, débutant par le fameux motif rythmique de quatre coups aux timbales, et quel concerto ! À travers ce dernier, Beethoven tend à élever le genre au rang d’une œuvre symphonique majeure. Par son caractère iconoclaste, il brise toutes les idées reçues sur ce qui pourrait être un premier concerto romantique. Le jeune violoniste d’outre-Manche à l’archet sautillant Charlie Siem a su ingénieusement déployer, ce soir-là, ses précieuses facultés de virtuose pour faire vibrer ses cordes aux mélodies débordantes de lyrisme et de dynamisme du « fils unique » de Beethoven, ornées par les délicates arabesques, tellement bien exécutées qu’elles semblaient être improvisées. Ne se contentant pas de donner la réplique au soliste britannique, l’orchestre de chambre de Salzbourg, sous la houlette du talentueux chef français, suivant un tempo fluctuant dans le cadre équilibré et symétrique d’un concerto classique typique, devenait un acteur à part entière.Le Concerto pour violon de Beethoven est typique de par sa forme mais sûrement atypique de par les émotions qui en émanent à travers les tonalités majeures et mineures qui s’entremêlent dans un chromatisme prédominant où « la mélodie se déroule sous une forme divinement paisible imprégnée de la pure harmonie de ré majeur », selon le musicologue allemand Walter Riezler, tout en créant à divers moments des effets de surprise, dont les motifs fortissimo (surtout au premier mouvement) suggérant le côté imprévisible et puissant de la personnalité de Beethoven. Cette nouvelle forme révolutionnaire donne au soliste l’occasion de déployer ses talents avec une musique pleine de profondeur et d’innovation. Charlie Siem n’y a pas manqué surtout en optant, par la suite, pour la plus célèbre cadence composée par Fritz Kreisler, qui est de loin la plus lyrique et en accord avec la nature douce de l’œuvre. En guise de bis, Charlie Siem a voulu rendre hommage à Kreisler considéré comme l’un des meilleurs violonistes de tous les temps, surtout connu pour sa douce intonation caractéristique, son charme et son phrasé expressif, en interprétant sa plus célèbre pièce solo pour violon.



La musique rassemble
Durant l’entracte du concert, Siem a répondu aux questions de L’Orient-Le Jour. « Avant de venir au Liban, j’avais peur que mon concert soit annulé à cause des turbulences que traverse le pays et le coronavirus qui se propage partout dans le monde mais laissez-moi vous dire que le fait que la salle soit comble et que le public soit enthousiaste fait chaud au cœur. Malgré tout ce que le Liban encourt depuis un certain temps, cela est la preuve que la musique rassemble », affirme le violoniste trentenaire en soulignant l’aspect révolutionnaire du génie allemand qui a transcendé tout genre d’obstacles. Et de poursuivre : « Je pense que le seul remède pour tous les problèmes au Liban, c’est de jouer encore plus de musique car sa finalité n’est autre que l’esprit humain. » Le virtuose anglais, reconnu pour sa façon spéciale de tenir son violon, indique que « chaque musicien a sa façon qui reflète, après tout, sa personnalité. Je me suis moi-même appris à chercher la meilleure sonorité et cette position m’a permis de créer le son spécial que je veux ». Un son spécial sur un violon spécial ! En effet, Charlie Siem n’a pas joué sur n’importe quel violon mais sur un « d’Egville », datant de 1735 et qui a servi au légendaire Yehudi Menuhin. Depuis sa plus tendre enfance, la mère du virtuose lui faisait écouter le célèbre Concerto pour violon de Beethoven, joué par Menuhin, sur cassette, en voiture : « C’est un concerto que j’admire depuis que je suis tout petit et c’est justement grâce à cette pièce que j’ai décidé de devenir violoniste concertiste. J’ai commencé à la jouer il y a un an et c’est la troisième fois que je l’interprète. »L’artiste, qui est par ailleurs mannequin vedette de quelques grandes maisons de couture (Dior, Armani, Hugo Boss), souligne que son travail dans le domaine de la mode est « toujours rattaché au fait qu’il est violoniste ». Daltonien, incapable de faire la différence entre les couleurs, préfère « toujours porter des couleurs privilégiées comme le mauve ou le bleu mais jamais du noir », qu’il juge trop sombre et sinistre.

Quant à la huitième symphonie, elle est moins populaire que les huit autres symphonies de Beethoven du fait que les éléments esthétiques qu’elle renferme sont plutôt d’un genre calme, naïf et d’une extrême délicatesse, ce qui est différent de ce que le public attendait d’une symphonie beethovenienne. En effet, lorsqu’elle fut jouée la première fois, en 1814, on ne lui accorda pas le même accueil tumultueux que la précédente. Lorsque le célèbre compositeur Carl Czerny demanda à son maître Beethoven pourquoi la huitième était moins populaire que la septième, Beethoven aurait répondu : « Parce que la huitième est tellement meilleure. » Jérémie Rhorer avec la Camerata de Salzbourg sont parvenus à prouver que celle-ci n’est pas moins importante que la majestueuse septième symphonie et après tout, pas si « petite » que ça, en brisant le paradoxe d’une symphonie à « esprit léger » car au cœur même de celle-ci, Beethoven réformait tout genre juste devant les tympans de son auditoire. Le chef d’orchestre français, comme on aurait espéré avoir à la tête de l’Orchestre libanais, réussit à reproduire les intentions de Beethoven en interprétant ce monument dans laquelle les inventions texturale, rythmique, orchestrale et harmonique prennent la place de l’intensité expressive, à tel point que la pièce peut se passer d’un mouvement lent conventionnel.

Le Festival al-Bustan ne cesse de ravir le public d’un pays du Cèdre englué dans sa plus grave crise socio-économique depuis trente ans et qu’effleure l’épidémie du nouveau coronavirus qui se répand, d’une façon alarmante, dans le monde. Pour poser, malgré tous ces obstacles, les jalons d’une réussite assurée, le festival de renom a fait appel, mardi soir, à trois grands noms...

commentaires (1)

"deux chefs-d’œuvre beethoveniens aussi protéiformes que prométhéens" Il ne manque que "Les précieuses ridicules"!

Frédéric Husseini

21 h 20, le 06 mars 2020

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Commentaires (1)

  • "deux chefs-d’œuvre beethoveniens aussi protéiformes que prométhéens" Il ne manque que "Les précieuses ridicules"!

    Frédéric Husseini

    21 h 20, le 06 mars 2020

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