C’est de nouveau la foire d’empoigne entre le président de la République, Michel Aoun, et le chef du Parlement, Nabih Berry, qui s’affrontent depuis un moment autour d’un certain nombre de dossiers, dont la réforme du secteur de l’électricité et les nominations judiciaires. Bien que l’alchimie personnelle n’ait jamais véritablement joué entre les deux hommes, qui entretiennent des rapports en dents de scie depuis des années, il n’en reste pas moins que le conflit reste éminemment politique, à l’heure où l’un et l’autre tentent de regagner en crédibilité aux yeux d’une opinion publique devenue impitoyable à l’égard de la classe politique. C’est dans cette optique que l’on peut placer la série d’accrochages qui se sont produits récemment entre les deux dirigeants.
La querelle avait commencé à s’envenimer du fait du bras de fer autour du dossier de l’électricité et les solutions à mettre en place, l’avis de M. Berry à ce sujet étant aux antipodes du plan de réforme soutenu par le Courant patriotique libre et naturellement défendu par le président. Le CPL est attaché, sur le court terme, à la solution des navires-centrales, mais aussi à la construction, pour le long terme, d’une usine en bord de mer à Selaata, deux initiatives largement critiquées par une grande partie de l’opinion publique et par plusieurs formations politiques, à leur tête le mouvement Amal de M. Berry, mais aussi le PSP et les FL.
Pour M. Berry la solution, pour le long terme du moins, résiderait plutôt dans une formule qui tablerait sur la réhabilitation des usines déjà existantes, à savoir celles de Zahrani, de Zouk et de Deir Ammar, quitte à en créer de nouvelles si cela s’avère nécessaire, comme le confirme un responsable d’Amal.
L’antagonisme entre MM. Aoun et Berry ne s’est pas limité à ce dossier, mais a fini par s’étendre à un autre secteur, celui du pétrole. Selon une source informée, le chef du législatif a vu d’un très mauvais œil le fait d’avoir été écarté de la cérémonie officielle du coup d’envoi des premières explorations d’hydrocarbures en Méditerranée menées par Total, le 27 février dernier, un jour qualifié d’« historique » par le chef de l’État.
Pourtant, M. Berry avait pris soin d’envoyer peu de temps avant la cérémonie un message au président pour lui signifier que cet événement devrait inéluctablement prendre une envergure nationale et non partisane. Un message qui a été vraisemblablement ignoré par le président, accusé d’avoir cherché à récupérer le crédit de cette opération, principalement attribué au CPL.
Dans les milieux aounistes, on ne cherche d’ailleurs pas à démentir les faits, et l’on soutient que le crédit est en quelque sorte mérité. « Cela fait des années que nous sommes la cible d’attaques en ce qui concerne l’électricité. Je ne vois pas pourquoi nous devons renoncer à engranger le crédit de cette cérémonie », dit Eddy Maalouf, député du Metn (CPL) à L’OLJ, avant d’ajouter : « Les friandises ont enfin été bien méritées après toutes les gifles qu’on nous a assenées. »
(Lire aussi : L’électricité risque de malmener les rapports au sein du 8 Mars)
Guerre des responsabilités
Une source informée indique que lors de ses entretiens privés, le chef de l’État aurait affirmé à ses interlocuteurs que la relation qui liait le trio Walid Joumblatt, Nabih Berry et Saad Hariri par une convergence d’intérêts, est en voie de démantèlement. M. Aoun aurait ajouté que le pouvoir est désormais déterminé à en découdre avec ses deux autres détracteurs, maintenant que Saad Hariri est sorti.
Un récit que deux députes d’Amal ainsi que M. Maalouf disent « ignorer ». « Tout le monde sait pertinemment qu’au Liban, aucune partie ne peut éliminer l’autre sur la scène politique. J’ai l’impression que cette histoire est simplement destinée à susciter des provocations », commente Eddy Maalouf.
Du côté d’Amal, on tient à maintenir un langage courtois à l’égard du président sans nier toutefois la présence de divergences qui « ne doivent en aucun cas primer sur les échéances les plus urgentes », comme le relève un député de la formation chiite. « Les Libanais n’en ont cure de nos querelles politiques. Ils ont d’autres soucis et les défis sont monstres », commente un autre responsable du mouvement.
(Lire aussi : Dette publique : une intervention des politiques fait craindre le pire)
Ingérences politiques
Dernière source de conflit entre les deux hommes enfin, la question des nominations judiciaires qui, selon des sources proches du dossier, a achevé d’approfondir le fossé entre les deux camps. D’une part, le chef de l’État affiche son soutien à Ghada Aoun, procureure d’appel du Mont-Liban, qu’il voudrait voir promue ou du moins maintenue à un poste qu’elle a mérité, selon lui, notamment pour avoir œuvré à combattre la corruption. En même temps, M. Aoun insiste pour que soit écarté le procureur général du Liban-Sud, Rahif Ramadan, que M. Berry, dont il est proche, voudrait maintenir coûte que coûte en poste, dit-on.Cette épreuve de force tend à montrer une ingérence des deux parties dans le train des nominations, démentie aussi bien dans les milieux d’Amal que du CPL, qui, d’une même voix, réaffirment leur credo en faveur de l’indépendance de la justice.
Interrogé, un juge ayant requis l’anonymat confirme toutefois l’instrumentalisation de ce processus par les politiques et les multiples interférences qui ont lieu pour pourvoir notamment aux postes dits sensibles, comme les ministères publics.
« En dépit des engagements sérieux et sincères faits par le président du Conseil supérieur de la magistrature, Souheil Abboud, et la ministre de la Justice, Marie-Claude Najm, les politiques ont quand même mis la main à la pâte », confie le magistrat qui dit s’attendre toutefois à ce que les prochaines nominations soient « moins désastreuses que les dernières en date ».
commentaires (18)
pfff...dégoutants ...beurk... Cette classe politique sans exception est la honte du pays...
LE FRANCOPHONE
00 h 16, le 06 mars 2020