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Moyen-Orient - Éclairage

Accord États-Unis/talibans : enjeux et inquiétudes

Washington et les islamistes doivent signer demain un accord visant à préparer une sortie des troupes américaines d’Afghanistan et lancer des pourparlers interafghans.

De jeunes Afghans dansent de joie à l’approche de la signature du traité de paix entre les talibans et les Américains. Parwiz/Reuters

Le président américain Donald Trump devrait signer demain un accord de paix avec les talibans, espérant ainsi mettre fin à l’enlisement américain en Afghanistan. Ce conflit est en effet le plus long de l’histoire des États-Unis, et Barack Obama promettait déjà en octobre 2011 d’y mettre un terme. Donald Trump plaide quant à lui pour un retrait depuis des années, bien que le sujet n’ait pas été une priorité durant la campagne présidentielle de 2016. Où en est le conflit aujourd’hui, quels sont donc les enjeux d’un retrait et pourquoi est-il si difficile à organiser ?


Une solution politique créative
Alors que le conflit afghan s’est révélé être un casse-tête pour l’administration précédente, « celle de Donald Trump a été capable de faire des progrès dans les négociations car elle a accepté de négocier directement avec les talibans », explique Joshua White, professeur à l’Université Johns Hopkins. La tactique était de trouver un accord préalable entre les deux parties et d’impliquer ensuite le gouvernement afghan dans le reste des négociations. « Cette solution politique difficile mais créative a permis au processus d’aller de l’avant. Cela avait été considéré au temps de l’administration Obama, quand je travaillais à la Maison-Blanche, mais la peur était que cela délégitimerait le gouvernement afghan », ajoute l’expert. L’accord qui sera signé le 29 février s’inscrit dans la continuité des négociations entamées à l’automne 2019. En septembre, Zalmay Khalilzad, désigné par le président américain comme responsable pour la réconciliation afghane, annonçait le retrait en seize mois des 14 000 militaires encore sur place. Quelques jours plus tard, le processus de paix était interrompu par Donald Trump, après la mort d’un soldat américain, alors que les insurgés ont revendiqué plusieurs attentats meurtriers durant cette période.

Depuis des années, les négociations passent par des hauts et des bas. En avril 2019 par exemple, les négociations qui avaient lieu à Doha ont ainsi été suspendues officiellement pour un différend sur la composition de la délégation afghane qui avoisinait les 250 membres.

« Depuis l’automne, les deux parties ont travaillé à une réduction de la violence, ce qui constitue essentiellement une mesure pour sauver la face et rebâtir la confiance, poursuit M. White. Et cela permettait également aux États-Unis de vérifier que le leadership taliban avait un contrôle solide sur son commandement militaire. » La trêve partielle a jusqu’ici été globalement respectée, malgré quelques incidents épars.



(Lire aussi : "Si la paix revient": les Afghans rêvent d'une vie après la guerre)



Obstacles à l’accord
Il faut cependant nuancer l’optimisme que pourrait engendrer la signature de l’accord. Ce, d’abord, parce que la situation politique reste très instable. Malgré la victoire du président sortant Achraf Ghani, les résultats de l’élection présidentielle en Afghanistan sont contestés par le candidat de l’opposition Abdullah Abdullah. « Les Américains ont obtenu qu’ils repoussent leur investiture », analyse Karim Pakzad, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), mais « on ne sait pas comment les Afghans, avec ce conflit interne, pourront mettre en place un gouvernement crédible et légitime ». Il faudra donc attendre les négociations inter-afghanes, qui « en principe débuteront dix jours après l’accord entre les talibans et les Américains », poursuit le chercheur.

Face à un gouvernement déjà en position de faiblesse, les talibans sont, eux, en position de force. Selon M. Pakzad, « dans un pays où les talibans sont présents en force, même dans l’accord avec les Américains ces derniers ont imposé leurs revendications ». Avec le retrait américain, les risques que les islamistes prennent vite le dessus est réel. Il n’est pas certain que « les talibans renonceront à leur objectif, à savoir un gouvernement dirigé par eux, même s’ils ont accepté de donner une place au gouvernement actuel », précise M. Pakzad, estimant qu’une fois les Américains partis, il sera très difficile pour les Afghans de se mettre d’accord entre eux pour trouver une solution politique. « Les Afghans antitalibans pourront-ils surmonter leurs divisions et mettre en place un gouvernement d’union nationale ? », se demande ainsi le chercheur.

Au pouvoir de 1996 à décembre 2001, les talibans avaient instauré un régime ultrarépressif basé sur une interprétation stricte de la charia. Or depuis 2001, une nouvelle génération d’Afghans semble avoir émergé, une génération éduquée, formée dans des universités et empreinte de liberté. Cette génération a peur d’un retour des talibans, explique M. Pakzad. « Malheureusement, les Américains n’ont pas inclus cet aspect dans l’accord de paix, alors que la question de l’avenir de l’Afghanistan doit être l’affaire des Afghans », ajoute le chercheur.

Autre obstacle majeur que plusieurs observateurs ont noté, celui de la sincérité des talibans à appliquer les termes de l’accord, une fois les Américains partis. Une reprise des violences n’est donc pas exclue, ce qui augmentera l’instabilité et la précarité non seulement en Afghanistan, mais aussi dans la région qui est victime des ambitions des pays voisins, mais aussi celles de groupes radicaux comme el-Qaëda et l’organisation de l’État islamique.



(Lire aussi : États-Unis et talibans prêts à signer un accord le 29 février)



Évolution de l’opinion publique américaine
Une fois n’est pas coutume, démocrates et républicains souhaitent aujourd’hui une réduction des effectifs déployés en Afghanistan. « Même si le deal avec les talibans n’est pas particulièrement favorable aux États-Unis, il reste préférable à une poursuite du conflit », estime Joshua White. Cette volonté politique fait écho à l’appréciation du conflit par l’opinion publique américaine. En 2001, 87 % de la population, selon les sondages de l’époque, soutenaient l’offensive militaire menée par les États-Unis et l’OTAN contre les talibans suite aux attentats du 11-septembre. En 19 ans, près de 776 milliards de dollars ont été engloutis dans ce conflit, selon une estimation récente du Pentagone, 2 400 soldats américains ont été tués et 20 431 autres ont été blessés. Et les Américains ont largement révisé leur jugement. Les enquêtes d’opinion montrent que ce changement s’est effectué de façon graduelle, avec un tournant symbolique en 2011, année depuis laquelle plus de la moitié de la population affirme souhaiter le retour immédiat des troupes. Le point de vue des décideurs militaires a également évolué durant cette période. « Tous les efforts entrepris au cours des dernières années en vue de donner un avantage à l’armée afghane ont été vains. Pour cette raison, je pense qu’au sein des forces armées, on en est arrivé à reconnaître que continuer dans la même voie serait infructueux », précise M. White.

Région sous tension
Du point de vue stratégique global dans la région, même si « la Russie comme l’Iran aimeraient voir les États-Unis quitter l’Afghanistan (…), ces acteurs ont cependant beaucoup en jeu dans le pays, particulièrement l’Iran, et ils ont donc tout intérêt à ce qu’il y ait une certaine stabilité plutôt qu’un chaos ambiant », décrypte Joshua White. « Un retrait américain », estime-t-il, ne constituera pas une victoire « pour l’Iran ou la Russie ». Les deux pays seront toujours confrontés aux mêmes problèmes dans la région, notamment « l’infiltration de l’islamisme radical dans le Caucase » pour la Russie, et pour l’Iran, le maintien de « sa sphère d’influence dans l’ouest de l’Afghanistan » ainsi que, globalement, le contrôle de la drogue.

En somme, conclure un accord et réussir à rapatrier les troupes constituerait ainsi une victoire en matière de politique étrangère pour Donald Trump, qui tomberait à point nommé pour la campagne présidentielle à venir.



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