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Moyen-Orient - Éclairage

La Chine, un géant sur la pointe des pieds au Moyen-Orient

Pékin fait preuve de discrétion dans une région où elle ne peut pas s’imposer comme en Asie du Sud-Est et en Extrême-Orient.

Le président chinois, Xi Jinping, serrant la main du prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammad ben Zayed, lors d’une cérémonie à Pékin, le 22 juillet 2019. Photo Reuters

C’est l’un des grands paradoxes de la lutte de puissance qui se joue actuellement au Moyen-Orient : l’absence de la Chine, géant asiatique, qui a pourtant plus de raisons que d’autres de s’inquiéter de la stabilité du Moyen-Orient. La République populaire est – plus que les Américains ou les Russes – énergiquement dépendante de la région, qui lui fournit la moitié de son approvisionnement en pétrole. Et en règle générale, la plupart des navires qui transportent des marchandises entre la Chine et l’Europe doivent franchir le détroit de Bab el-Mandeb, entre Djibouti et le Yémen ;

tandis que les importations du pétrole vers la Chine doivent passer par le détroit d’Ormuz, au large de l’Iran et des Émirats arabes unis (EAU).

Ces deux zones étant ces dernières années en proie à des tensions régionales et/ou des actes de piraterie, Pékin garde un œil constant sur la sécurité maritime autour de ces deux points de passage. Les navires transportant des marchandises chinoises et/ou du pétrole en direction ou en partance de la Chine sont des cibles potentielles. La République populaire a ainsi renforcé sa présence militaire à proximité des points qui lui sont stratégiques, notamment via la création en 2017 de sa première base militaire à l’étranger, à Djibouti, et la militarisation (probable) du port pakistanais de Gouadar. Tout cela entre dans le cadre de sa stratégie du « collier de perles », à savoir l’installation par la marine de guerre chinoise de points d’appui (les « perles ») le long de sa principale voie d’approvisionnement maritime vers le Moyen-Orient. La marine chinoise participe également à des patrouilles – menées avec d’autres pays, comme l’Iran – dans le golfe de Oman et dans la Corne de l’Afrique pour intervenir en cas d’acte de piraterie. « La Chine considère que la stabilité dans la région est essentielle pour répondre à ses besoins énergétiques et le développement dans la région est essentiel pour débloquer une stratégie de marché des produits chinois », estime Adham Sahloul, analyste économique et politique, et spécialiste du Moyen-Orient, contacté par L’Orient-Le Jour.

Voyant par ailleurs le Moyen-Orient comme un marché avec de potentielles grosses retombées pour elle, notamment dans le cadre de la nouvelle « route de la soie » – dont les tracés maritimes et terrestres passent tous par la région –, la Chine a beaucoup investi du point de vue économique. À ce jour, Pékin a signé des accords de partenariat avec une quinzaine de pays de la région. Mais malgré son implication économique dans la région, il n’est pas encore en mesure d’imposer sa voix dans les grands dossiers.


(Lire aussi : Pékin favori malgré lui de la reconstruction syrienne)


Prudence

Pékin est en effet un acteur très nouveau au Moyen-Orient, comparé aux autres étrangers tels les Russes, les Américains ou encore les Iraniens. Il n’a pas d’attaches historiques avec la région. Et contrairement à l’Asie du Sud-Est et à l’Extrême-Orient, qui sont ses grandes zones d’influence, la Chine reste politiquement et diplomatiquement très prudente ailleurs dans le monde. Le Moyen-Orient n’y fait pas exception. « La Chine n’a pratiquement joué aucun rôle dans l’apaisement des tensions géopolitiques au Moyen-Orient (…). Pékin a pris grand soin de ne pas trop s’impliquer, persuadé que les États-Unis peuvent prendre la responsabilité de la sécurité dans la région », ont affirmé un groupe d’analystes dans un article publié en octobre 2019 sur le site de l’European Council of Foreign Relations (ECFR).

La République populaire reste néanmoins l’une des signataires de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 (JCPOA), aujourd’hui en voie d’extinction, et reste très attentive à la situation en Syrie. Pékin considère le JCPOA, au même titre d’ailleurs que les Européens ou les Russes (qui sont les autres signataires), comme le meilleur moyen pour éviter que l’Iran n’obtienne la bombe nucléaire. Il a néanmoins regretté que les pays du Vieux Continent ont déclenché en janvier dernier le mécanisme de règlement des différends inclus dans le marché suite aux violations successives par Téhéran d’un grand nombre de ses engagements nucléaires. Concernant la situation en Syrie, la République populaire n’a pas hésité à défendre le régime de Damas contre les pressions des pays occidentaux, par le biais de son droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies, et l’a financièrement assisté en 2017. Il a également fait savoir qu’il était prêt à participer à la reconstruction du pays (voir par ailleurs).


Mais tout cela peut-il changer ?

La Chine peut-elle être, au-delà du domaine économique, un acteur politique dans la région ? Ses intérêts à avoir un Moyen-Orient stable peuvent-ils la pousser à aller plus loin sachant qu’elle est très prudente à sortir de ses bases ? « Au Moyen-Orient, les stratégies d’investissement de Pékin sont des stratégies d’influence à long terme », estime M. Sahloul. La Chine cherche avant tout à stabiliser les points de la région qu’elle juge stratégiques pour satisfaire ses propres intérêts économiques. Cette sécurité lui permettrait ensuite de consolider son rôle politique dans la région. « Le rôle politique de la Chine se développera lentement, beaucoup de choses devront changer, y compris un nouveau retrait du leadership américain dans la région », note l’expert.


(Pour mémoire : Pourquoi le Moyen-Orient parie sur la Chine)


Dans l’ombre

Les États du Moyen-Orient pourraient trouver en Pékin une alternative à Washington dans le cas où les intérêts de ce dernier déclinent et s’il se désengage de la région. « Il y a un appétit au Moyen-Orient pour un plus grand rôle politique de la Chine et de nombreux gouvernements tentent de développer davantage cet angle de la relation », explique Jonathan Fulton, chercheur au sein de l’Atlantic Council et professeur adjoint de sciences politiques à l’Université Zayed, à Abou Dhabi. « Les États-Unis restent la puissance extérieure la plus importante, mais tout le monde reconnaît les dangers de trop s’appuyer sur Washington », ajoute M. Fulton, estimant ainsi que dans cette situation, il est « logique de développer des liens plus étroits avec la Chine dans l’espoir qu’elle sera prête à combler une partie du vide laissé par la baisse de l’influence américaine ».

D’autant que la Chine a tout pour plaire aux pays de la région : une croissante économique fulgurante et un système politique prônant la stabilité plutôt que la liberté et la démocratie, dont on retrouve une partie des ingrédients dans certains des pays de la région, arabes ou non. Il s’agit d’un pouvoir très centralisé qui refuse toute alternance au régime en place, une absence de droits politiques, une forte contrainte sociale, une surveillance intense. Mais cela ne s’accompagne pas forcément de l’ingrédient-clé, celui qui fait que la recette fonctionne : la croissance économique. « Environ 70 % de la population du monde arabe sera composée de jeunes d’ici à 2030, tandis que la Chine, en tant qu’économie de premier plan, peut fournir de nombreuses possibilités d’emploi qui contribueront à la sécurité et à la stabilité au Moyen-Orient », expliquait en novembre 2019 Jawad Anani, ancien vice-Premier ministre de Jordanie et ministre de l’Industrie et du Commerce, interviewé avec l’agence chinoise Xinhua.

La Chine attend donc pour l’instant dans l’ombre des autres grands acteurs.



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commentaires (2)

MAIS UN GEANT AUX PIEDS D,ARGILE.

LA LIBRE EXPRESSION

09 h 46, le 19 février 2020

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Commentaires (2)

  • MAIS UN GEANT AUX PIEDS D,ARGILE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 46, le 19 février 2020

  • Excellent article qui présage +a moyen terme un bouleversement de nos alliances qui devraient plutôt ne pas trop tarder à se tourner vers la Russie et la Chine , là où l'avenir est plus fiable

    Chucri Abboud

    02 h 44, le 19 février 2020

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