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Culture - Parution

Le noir de Pierre Soulages devenu verbe lumineux sous la plume de Christian Bobin...

Sous prétexte de parler du soleil noir dans la peinture de Soulages, le plus éthéré des écrivains poètes français offre ce superbe chant intérieur, ce regard plein de chaleur humaine et d’une intense amitié. « Pierre, » est un moment de méditation d’une immatérielle beauté.

Christian Bobin. Photo Catherine Hélie ©Éditions Gallimard

Chaque parution d’un nouveau livre (plus de soixante déjà) de Christian Bobin est un événement. Lui qui est pourtant si discret, si pudique dans sa vie et ses écrits. Pour cette voix singulière et concise dans ses textes d’une suprême et frémissante poésie, ciselés comme un diamant pur, aujourd’hui, avec Pierre, (Gallimard, 104 pages), le miracle de cette littérature qui ne cède jamais, ni aux modes ni aux tendances faciles, se renouvelle.

Pour parler du noir de Pierre Soulages dans le cadre de ses toiles, il fallait la plume lumineuse de Christian Bobin. Rencontre de deux poètes, dans des expressions différentes, l’un avec ses pinceaux, l’autre avec son clavier d’ordinateur, l’un avec des couleurs, l’autre avec le verbe. La fusion est éblouissante. À 68 ans, l’auteur de L’éloge du rien (1990) ne déroge pas à son engagement d’homme de lettres contre le consumérisme, l’accumulation, la cupidité, la voracité, la violence, le bruit, la stridence, l’hystérique modernité. Homme de foi (il a obtenu le Prix du livre de spiritualité en 2010), ce moraliste, essayiste et poète chrétien est le fer de lance d’une œuvre fragmentaire à travers les diaprures d’une langue française qui va à l’essentiel. Sans jamais renoncer à la beauté de l’émotivité, au rayonnement de la poésie, aux murmures, aux cris et à la générosité du cœur…

Le titre du dernier livre de Christian Bobin, Pierre,, un prénom commun et célèbre suivi d’une virgule bien visible sur la page de couverture… Indice du propos qu’on va poursuivre. Comme le début d’une lettre qu’on adresse à un ami. Longue lettre faite de confidences, de réflexions, de chuchotements, de rêveries entre le train pris la nuit par un soir de la fête de la Nativité et la silhouette de l’abbatiale de Conques avec ses vitraux étranges. Mais aussi lettre d’amour, d’explication (sans rien de savant, de pompeux ou de précieux) et d’admiration pour une peinture placée au sommet de l’art de créer. Une sorte de récit à la fois intime et bref.


(Pour mémoire : À 99 ans, Pierre Soulages peint toujours)



Essai, introspection et journal

En préambule, dès la première page de ce nouvel opus, voilà les lignes de conduite du récit, qui tient à la fois de l’essai, de l’introspection et du journal. Pour ce Creusois originaire de Saône-et-Loire, le thème est vite cerné. C’est la confrontation à la mort et à l’absence. En substance, Bobin écrit, comme pour secouer son lecteur : « Je me moque de la peinture. Je me moque de la musique. Je me moque de la poésie. Je me moque de tout ce qui appartient à un genre et lentement s’étiole dans cette appartenance. Il m’aura fallu plus de soixante ans pour savoir ce que je cherchais en écrivant, en lisant, en tombant amoureux, en m’arrêtant net devant un liseron, un escargot ou un soleil couchant. Je cherche le surgissement d’une présence, l’excès du réel qui ruine toutes les définitions. Je cherche cette présence, l’excès du réel qui ruine toutes les définitions. Je cherche cette présence qui a traversé les enfers avant de nous atteindre pour nous combler en nous tuant. »

Et c’est cette obsession de la mort qu’évoque l’auteur de la biographie de saint François d’Assise (Le Très-Bas, 1992, prix des Deux Magots) à travers sa missive d’amitié à Pierre Soulages. Il y a l’écrivain, le peintre et, au milieu, comme entre deux écrans, le lecteur ! Le lecteur qui ne lâche pas une bribe des deux bouts…

Les mots prennent le large et l’imaginaire du lecteur entre deux sources de lumière : le questionnement de Christian Bobin et l’œuvre picturale de Pierre Soulages. Par petits traits, comme les touches d’un pinceau sur une toile, se révèle le profil, la personnalité, le parcours de l’artiste né à Rodez dans l’Aveyron avant d’occuper son atelier à Sète. Cette ville où sont enterrés Paul Valéry et Georges Brassens, proches passants que nous sommes tous…

Pas de détails croustillants et encore moins spectaculaires, mais une simple visite d’amitié. Sur un tempo doux. Un train file la nuit vers la demeure du peintre centenaire. L’écrivain ramène cette rencontre à travers son texte non laconique mais qui vise l’explication solaire de ce noir de Soulages. Sans fioriture aucune. Sur un ton de noblesse du cœur et du sentiment, mais en toute humilité et simplicité. Termes qui estampillent l’œuvre de l’auteur des Ruines du ciel.

Comme d’habitude, Bobin ne s’attarde pas sur cet homme qui a atteint déjà cent ans (en décembre dernier !), mais il lui déclare son admiration pour sa longévité, sa peinture, ce noir, brusquement multilingue dans sa palette, qui fascine public et collectionneurs. Ce noir si éloquent, plus fort que la réverbération de la lumière sur la neige, cette page noircie par les mots et qui au départ était blanche ! Il compare le maître des lieux à Blaise Pascal pour ses alertes de l’ultime moment.

Par-delà les ténèbres, les griffures, l’invitation à la nuit, l’appel du feu, l’appel au soleil, l’œuvre de Soulages interpelle et n’a pas besoin de lumière. Elle renvoie à la solitude, à la paix. Ce noir radical montre les chemins du cœur. Et c’est ce que suggère le verbe de Christian Bobin, lui qui avait écrit : « Qui n’a pas connu l’absence ne sait rien de l’amour. »

Pierre, n’est certainement pas un livre banal. Entamé en un soir de Noël, quand certaines âmes sont plombées, comme on dit, il dégage des effluves de sincérité, d’enthousiasme, de grâce, de mysticisme et d’élévation, à travers une écriture qui a les reflets, la fluidité et la transparence de l’eau. Si belle est cette rencontre des mots et de « l’outrenoir » (terme utilisé par l’artiste) du peintre, si prenant est ce voyage vers Pierre Soulages qu’on n’a pas envie de finir ce livre et encore moins de le refermer…

« Pierre, » de Christian Bobin (Gallimard, 104 pages)


Pour mémoire

Pierre Soulages, un maître en son musée

Chaque parution d’un nouveau livre (plus de soixante déjà) de Christian Bobin est un événement. Lui qui est pourtant si discret, si pudique dans sa vie et ses écrits. Pour cette voix singulière et concise dans ses textes d’une suprême et frémissante poésie, ciselés comme un diamant pur, aujourd’hui, avec Pierre, (Gallimard, 104 pages), le miracle de cette littérature qui ne cède...

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