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Culture - Théâtre

« Avoir un petit espace de parole libre, c’est déjà une révolution dans ce pays »

Zoukak Studio accueille un one-woman-show* subversif et intelligent de Dima Mikhael Matta, mis en scène par Yara Bou Nassar, dans lequel l’artiste s’attaque aux tabous les plus délicats de la société libanaise contemporaine.

Dima Matta dans « This is not a memorized script, this is a well-rehearsed story ». Photo DR

This is not a memorized script, this is a well-rehearsed story (Ceci n’est pas un script mémorisé, ceci est une histoire bien répétée), spectacle solo écrit et joué par Dima Mikhael Matta, mis en scène par Yara Bou Nassar, occupe les planches du Zoukak Studio depuis jeudi et continue ce soir et demain.Voici une pièce – en anglais avec surtitrage arabe – dont la dimension politique est clairement assumée : revaloriser la place d’une minorité déclassée dans une société qui l’opprime. Car force est de constater, sans même mentionner le fameux article 534 du code pénal, que tout ce qui touche à la question des identités et des sexualités « non normatives » au Liban (et dans de nombreux pays dans le monde) est encore aujourd’hui sujet à une certaine forme de censure. Tant et si bien qu’on peut se demander si, après la lutte des classes qui fut l’un des combats du XXe siècle, le XXIe siècle n’est-il pas celui de la lutte des genres ?

Forcément, pour ce genre de problématique, le théâtre Zoukak, un espace alternatif engagé sur le plan politique et social, apparaît comme l’endroit idéal pour recevoir un spectacle d’une heure soulevant des thèmes tels que l’anxiété sociale, la santé mentale, l’amour homosexuel, le genre, ou encore la sexualité. « Toutes nos conceptions préconçues, faisons-les tomber », résume Dima Mikhael Matta. Unique actrice de la scène et habituée au format du Storytelling via le collectif Cliffhangers qu’elle a fondé en 2014, elle se fait courageusement exemple du combat qu’elle mène : « Toute l’équipe est composée de femmes, depuis les portiers jusqu’aux rédactrices de sous-titres, en passant par l’éclairage… C’était important pour moi de travailler avec des femmes, pour qu’elles aient plus de visibilité. Ça faisait plus de sens aussi, puisque This is not a memorized script, this is a well-rehearsed story est une pièce qui parle d’elles, des queers, du sexe, de l’identité, du genre… » On le comprend, c’est de la communauté LGBT dont il est question et de tout ce qui est de l’ordre du « queer », dont se réclame par ailleurs Dima Mikhael Matta. Pour elle, réside dans cette notion complexe l’idée de la transgression des normes, de la subversion généralisée, ainsi qu’un concept mouvant « qui change constamment en se redéfinissant et qui concerne ceux qui ne se conforment pas à l’idée de la construction sociale des genres ». Plus important peut-être pour elle, c’est aussi un terme par lequel on se définit soi-même, et non pas les autres. Bref, « c’est une révolution qui ne s’arrête jamais », poétise-t-elle. Et de poursuivre : « D’ailleurs, pour moi, l’art est révolutionnaire. C’est pour cela que j’ai voulu maintenir la représentation de la pièce, dans les temps actuels. Le fait que cette pièce soit autobiographique et qu’elle attaque énormément de tabous de notre société, constitue en quelque sorte ma révolution personnelle. »



Attaques et métathéâtralité
S’il arrive parfois qu’un certain malaise se mette en place, à force de mots crus, de flagellations, ou d’un surplus d’exhibition de soi dans ses coutures les plus intimes, This is not a memorized script, this is a well-rehearsed story impressionne in fine par sa subtilité et sa philosophie esthétique. D’abord, par ce jeu permanent qui consiste à briser le quatrième mur, à exhiber les rouages de l’illusoire, Dima Mikhael Matta parvient à instaurer une réflexivité particulièrement significative. « Je montre les faux-semblants et la construction interne de la pièce », affirme-t-elle. Ensuite, de nombreuses réminiscences aux accents structuralistes confèrent à la pièce une réelle intellectualité : si nous avons affaire à une autobiographie, cette autobiographie est belle et bien une construction de l’auteure, et si tragédie il y a, celle-ci est ficelée dans ses moindres recoins et jetée en pâture au spectateur. Un choix pour le moins cohérent, quand on défend l’idée que le genre est une construction sociale… Faisant conjoindre forme et fond, Dima Matta dévoile les limites de la création en pleine performativité au fur et à mesure que le texte est récité : « Finalement, les histoires qu’on raconte ne sont jamais tout à fait les mêmes, à cause des défaillances de la mémoire et des pièges du langage. C’est quelque chose que j’ai voulu mettre en lumière. Mémoire et langage ne sont jamais que des constructions, ils ne sont pas fiables. »

Rien n’est laissé pour compte : ni la ville de Beyrouth, oppressante et tentaculaire, ni les médias occidentaux et « leur tendance à la généralisation, à l’exotisme et à l’orientalisme dès qu’ils couvrent les mouvements LGBTQ au Liban et qui imaginent que quelques personnalités représentent l’ensemble de cette communauté ».

Pour s’attaquer à tant de sujets à la fois, Dima choisit pour la mise en scène de la pièce son amie Yara Bou Nassar. « Je ne pouvais pas trouver une meilleure metteuse en scène : d’abord parce que c’est une femme et qu’il y en a peu dans ce domaine, et puis parce que je voulais avoir quelqu’un qui soit dans le milieu et qui comprenne profondément la notion de “Queer”. Surtout, j’adore son travail, toujours expérimental, jamais conventionnel, qui attaque et repousse les limites », explique-t-elle.

Finalement, cette pièce militante, qui sera représentée en avril à New York au théâtre Mitu, concrétise d’une certaine manière le combat de Dima Mikhael Matta pour cette communauté à laquelle elle s’identifie. Elle qui s’est rendue à New York, à Londres et à Belfast entre avril et novembre 2019 pour donner des lectures de la pièce, au nom de « Queer arab voices », elle revient toutefois toujours dans son pays d’origine où elle dénonce, entre souffrance et espoir : « Notre liberté d’expression est si opprimée dans ce pays, où la censure est forte, qu’il n’y a pas d’espaces publics pour se réunir et discuter. Avoir un petit espace de parole libre, c’est déjà une révolution. »


*Zoukak Studio

« This is not a memorized script, this is a well-rehearsed story », écrit et joué par Dima Mikhael Matta, mis en scène par Yara Bou Nassar. En anglais avec sous-titres en arabe. Ce soir, samedi 8, et demain dimanche 9 février, à 20h30. Billets chez Ihjoz.com

This is not a memorized script, this is a well-rehearsed story (Ceci n’est pas un script mémorisé, ceci est une histoire bien répétée), spectacle solo écrit et joué par Dima Mikhael Matta, mis en scène par Yara Bou Nassar, occupe les planches du Zoukak Studio depuis jeudi et continue ce soir et demain.Voici une pièce – en anglais avec surtitrage arabe – dont la dimension politique...

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