Tandis que le mouvement de contestation qui traverse le Liban depuis le 17 octobre dernier multiplie les accusations de corruption de la classe politique, les Forces libanaises (FL) ont fait état hier, documents à l’appui, de gaspillage de fonds publics au ministère de l’Énergie, mais aussi au ministère des Télécommunications.
Soulignant lors d’une conférence de presse au Club de la presse que les informations qu’il allait livrer s’adressent à l’opinion publique pour la pousser à faire pression en vue de satisfaire ses revendications d’une action administrative saine, Antoine Habchi, député FL, entouré de trois de ses confrères au sein du groupe parlementaire de la République forte, Georges Okaïs, Chawki Daccache et Imad Wakim, a ainsi présenté divers éléments témoignant de vol et de mauvaise gestion des fonds publics, dans lesquels seraient impliqués selon lui de hauts responsables au sein des deux ministères.Affirmant lors de son intervention que des fonctionnaires souffrant de cette situation délétère sont sortis de leur mutisme depuis le mouvement du 17 octobre, M. Habchi a indiqué que leurs informations ont contribué à l’établissement des dossiers sur lesquels les FL travaillent depuis plusieurs mois et qui mettent en cause la corruption. Le parlementaire n’a pas manqué de souligner que nombre de services administratifs, auxquels lui-même et d’autres députés de son parti ont adressé des demandes d’informations sur les dépenses dans les deux ministères, n’ont répondu que partiellement, voire pas répondu du tout. Le député Imad Wakim notera à ce propos, en réponse à une question de L’Orient-Le Jour, qu’un parlementaire devrait pourtant avoir accès d’office à ces informations, d’autant qu’il est mandaté par le peuple pour exercer un rôle de surveillance du pouvoir exécutif, cela sans même l’application de la loi sur le droit à l’accès à l’information (2017).
Sollicité pour obtenir des informations sur les dépenses d’Électricité de Qadicha, le ministère de l’Énergie a, selon M. Habchi, fourni des informations incomplètes. « Nous avons réclamé les budgets, mais ils ne nous ont été communiqués que pour les années 2010 à 2016, alors que les doutes les plus forts pèsent sur les années 2017 à 2019 », a-t-il déploré, précisant que le « prétexte avancé est que ces budgets n’ont pas encore été vérifiés ». Selon le député, Électricité de Qadicha a été utilisée « pour des recrutements illégaux durant la période précédant les échéances législatives de mai 2018, dans la circonscription où Gebran Bassil (chef du Courant patriotique libre) s’était porté candidat ».
Ayant probablement suivi en direct la conférence de presse, l’ancien ministre de l’Énergie César Abi Khalil a réagi avant la fin, ironisant sur Twitter : « Si nous avions alors accepté de recruter des fonctionnaires pour le compte de (la députée FL) Sethrida Geagea, elle aurait certes considéré que ces embauches ne sont pas politiques. »
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Assurance médicale et achats personnels
M. Habchi a en outre indiqué avoir demandé des copies de tous les contrats conclus entre EDL et les différentes sociétés, mais un seul contrat lui est parvenu. Il a ensuite exhibé un plan de Gebran Bassil établi pour réhabiliter les usines de production d’électricité à Jiyé et Zouk, qui étaient supposées fonctionner jusqu’en 2027. Or en avril 2019, la ministre de l’Énergie Nada Boustany avait annoncé que ces usines ne fonctionneraient que jusqu’à fin 2021, au motif qu’une nouvelle usine serait bientôt construite, a précisé le député. « Les Libanais auront ainsi payé pour la réhabilitation des usines des centaines de millions de dollars qui seront partis en fumée », a regretté M. Habchi, évoquant sur un autre plan le gaspillage de fonds publics dû à de nombreux contrats de gré à gré et dont seraient responsables « tous les ministres et directeurs généraux qui se sont succédé au ministère depuis 2008 ».
En réponse à toutes ces accusations, Ziad Assouad, député CPL, a écrit sur Twitter que « les allégations de corruption visant une seule partie sont des signes de faiblesse ». « Racontez-nous vos exploits dans vos ministères plutôt que de distraire les gens avec des mensonges pour couvrir votre échec », a-t-il ajouté.
Au cours du point de presse, Antoine Habchi s’est pourtant attaqué au ministère des Télécoms, dirigé ces dernières années tour à tour par deux ministres appartenant au courant du Futur, Jamal Jarrah et Mohammad Choucair. « Nous avons adressé deux requêtes auprès du ministère des Télécoms, sans obtenir de réponse », a-t-il déclaré, estimant qu’il s’agit d’un « refus implicite ».
« Voici pourtant des documents montrant que la société Ogero a conclu un contrat avec une société pour la somme de 20 millions de dollars, avant de le rompre pour le remplacer par un contrat avec une autre compagnie pour un montant de 60 millions de dollars », a-t-il affirmé, exhibant les pièces devant l’assistance, avant d’indiquer qu’elles seront diffusées sur les réseaux sociaux. Ces documents ont d’ailleurs été distribués dans la salle. Et M. Habchi d’afficher ensuite une facture montrant qu’Ogero paie l’assurance médicale personnelle de son directeur général (6 725 dollars), et une autre signalant des achats personnels de Bassel Ayoubi, directeur du département de l’exploitation et de la maintenance au sein du ministère (28 millions de livres).
Le député a également affirmé que dans une prochaine étape, son parti présentera à la justice une note d’information concernant ces dossiers de corruption et de dilapidation des fonds publics. À une question de L’OLJ sur le point de savoir s’il est confiant que sa démarche aboutira à des résultats, il a affirmé qu’en dépit « d’un système de nominations judiciaires qui pousse des magistrats à se soumettre aux ingérences politiques, il y a des juges intègres et courageux ».M. Habchi a afin lancé un appel à son collègue du Hezbollah Hassan Fadlallah, pour une collaboration au niveau de la lutte contre la corruption. « Je l’ai souvent entendu évoquer des dossiers de corruption. S’il a des documents précis et s’il a vraiment l’intention de lutter contre ce fléau, nous pouvons collaborer ensemble dans ce même but, mais s’il ne veut pas dévoiler les informations en sa possession, c’est qu’il y a connivence et c’est là quelque chose que nous ne souhaitons pas », a conclu le député.
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commentaires (17)
“et une autre signalant des achats personnels de Bassel Ayoubi, directeur du département de l’exploitation et de la maintenance au sein du ministère (28 millions de livres).” Les chiffres sont inexacts. Ils sont presque dix fois moins élevés. Les montants en question sont pour de l’eau minérale (fontaine) et achats du supermarché, sur une période de six mois. Consommés sur place? Frais de représentation? Se référer à la mise à jour du député, qui corrige son erreur sans présenter des excuses pour avoir commis cette “broutille”...?
Evariste
17 h 00, le 31 janvier 2020