Jeffrey Feltman craint un agenda anticorruption sélectif. Photo d’archives « L’Orient-Le Jour »
Les États-Unis suivront de près l’action du nouveau gouvernement, notamment en matière de lutte contre la corruption. Aussi bien le secrétaire d’État adjoint américain aux Affaires du Proche-Orient, David Schenker, que l’ancien ambassadeur américain au Liban, Jeffrey Feltman, l’ont affirmé au cours du week-end écoulé.
Dans une interview à la chaîne arabophone al-Hurra, M. Schenker a indiqué que Washington, qui a réservé un accueil très tiède au cabinet de Hassane Diab, « veut déterminer si celui-ci compte combattre sérieusement la corruption ». M. Feltman a été plus loin en expliquant les raisons qui, entre autres, pourraient motiver cette attention. Il a fait état d’une éventuelle « chasse aux sorcières » qui pourrait être lancée, sous prétexte de lutter contre la corruption, contre les adversaires politiques des parrains du nouveau gouvernement. Dans une tribune publiée sur le site du think tank américain, The Brookings Institution, M. Feltman a souligné d’emblée un « problème lié au gouvernement libanais », qui s’exprime selon lui par le fait qu’il représente « aux yeux des formations politiques qui l’ont formé une opportunité pour lâcher les forces de l’État contre leurs rivaux prooccidentaux ». « Une des premières actions du cabinet sera d’annoncer une campagne agressive anticorruption afin de calmer la rue (….) sauf qu’en pratique, celle-ci devra masquer une hideuse chasse aux sorcières. (…) L’agenda anticorruption du nouveau gouvernement sera sélectif et servira de châtiment vindicatif infligé aux personnalités politiques libanaises qui ont eu la témérité de s’opposer à la vision que Aoun-Hezbollah-Damas ont du Liban et d’en proposer une autre », a écrit M. Feltman, estimant que « les deux anciens Premiers ministres Saad Hariri et Fouad Siniora, le leader druze Walid Joumblatt et leurs alliés seront visés ».
« Un vide US sera comblé par Moscou, Téhéran et Damas »
« L’ancien ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil et ses amis parmi les alliés de l’axe Aoun-Hezbollah-Damas – qui méritent tout de même d’être mis en examen – seront épargnés. Personne ne se penchera sérieusement sur les accords obscurs relatifs aux carburants et à l’électricité négociés par les ministres du CPL. Le Hezbollah ne sera pas non plus contraint de payer des impôts sur ses vastes activités économiques ni de rendre compte de son système de télécommunications parallèle secret et de ses opérations de contrebande », a-t-il affirmé.
Toujours samedi, M. Feltman avait indiqué, dans une interview à la chaîne al-Hurra, qu’il comprenait le débat sur d’éventuelles sanctions américaines contre M. Bassil, qu’il a désigné comme étant « responsable de l’extension de l’influence du Hezbollah au Liban », précisant que Washington avait « plusieurs moyens à sa disposition » sur ce plan. Il avait souligné qu’il était important de voir comment le gouvernement, « le plus proche du Hezbollah, de la Syrie et de l’Iran depuis 2005 », allait répondre aux revendications des contestataires et s’est dit hostile à « une rupture ou une suspension des relations avec le Liban et de l’aide qu’on lui apporte ». Il a expliqué dans sa tribune les raisons pour lesquelles il ne veut pas que l’administration américaine lâche le Liban.
« La dégradation des relations avec le Liban pour le moment servirait les intérêts du Hezbollah et de Damas qui, en poussant les États-Unis hors du Liban, permettront à la Russie, à l’Iran et à la Syrie de remplir le vide. L’axe Aoun-Hezbollah-Damas souhaite que le partenariat américain avec les forces armées libanaises cesse car les capacités renforcées de l’armée, grâce à la formation et à l’assistance fournies par Washington, restent l’instrument le plus efficace pour ébranler le discours sinistre du Hezbollah sur la protection du Liban grâce aux armes iraniennes qui mettent en fait le Liban en danger. Il est aussi dans l’intérêt des Américains de ne pas laisser les Russes contrôler trois ports du bassin est de la Méditerranée orientale. Leurs intérêts au Liban se rapportent aussi au contre-terrorisme et aux hydrocarbures, et vont au-delà ». M. Feltman a jugé nécessaire pour Washington de ne pas livrer le Liban à cet axe, « surtout que la population libanaise est favorable à une orientation occidentale et non pas syro-iranienne ».
commentaires (8)
Si on est pour le moins sensé, on ne peut pas contredire les analyses de feltman qui met le doigt sur la plaie. Mais cependant une question reste en suspens. Pourquoi les Americains tardent à renforcer l'armée libanaise? On peut supposer que la peur de retrouver les armes offertes finissent dans de mauvaises mains comme dans les années précédentes les en empêche, mais pourquoi ne pas exiger avec l'aide de tous les autres pays que le HB soit traduit en justice et désarmé pour tous les crimes qu'il a commis dans le monde et surtout au Liban pour les assassinats politiques qui ne souffrent d'aucun doute quant à leurs donneurs d'ordre que de leurs exécutants? Tous ces pays demandent aux libanais de faire le travail alors que depuis 15 ans ils ont été incapables d'exiger la remise à la justice des assassins de notre ex premier ministre Hariri. C'est à cause de leur lâcheté que ce parti s'est renforcé de jour en jour et continue de le faire sans être inquiété. C'est à croire que cela arrange Israël et tous les autres pays qui prétendre vouloir sauver le Liban alors qu'en fait ils ont un accord tacite avec leurs soit-disant ennemis pour conserver l'instabilité et fragiliser tous les jours un peu plus le Liban.
Sissi zayyat
11 h 26, le 15 février 2020