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Culture - L’artiste de la semaine

Edgard Mazigi, conquérant des émotions

Depuis qu’il a ouvert la porte de sa vie pour faire pénétrer la peinture à grands flots, l’artiste a établi un dialogue avec la toile, mais aussi avec lui-même, comme une introspection révélatrice. Résultat : un monde de compositions, de couleurs, de noir et blanc, et d’émotions profondes, sous-cutanées, qu’il traduit en toute liberté.

Edgard Mazigi : « L’essentiel c’est d’être sincère avec soi-même. » Photo DR

Il est né certainement un crayon ou un pinceau à la main, mais ce n’est que bien plus tard qu’il commencera à mettre de l’ordre dans les images de sa vie. Car lorsqu’il annonce à sa mère et à son frère aîné qu’il a décidé de faire les beaux-arts, « la réponse sera plus que décourageante », dit-il.

Edgard Mazigi quitte alors le Liban avant la guerre de 1975. Son oncle maternel, qui possède une usine de textiles en Turquie, l’invite à travailler pour lui. Aussitôt, le jeune homme abandonne les inscriptions déjà entamées pour l’École de médecine à Louvain (Belgique) et s’envole pour Lyon. Il y fera quatre ans de génie textile. À la fin de ses études, pourtant, il ne rejoint pas l’usine de son oncle, mais son frère en Arabie saoudite qui travaillait pour une société d’équipements d’air conditionné. Il s’établit deux ans à Khobar avant de fonder avec ses deux frères leur propre société. Mazigi restera neuf ans en Arabie saoudite avant de repartir au Connecticut. Au fil de ses voyages, il n’a jamais abandonné le dessin. « J’ai toujours dessiné en parallèle sans avoir pris de cours. »


Des allers…
C’est l’Amérique et ses larges horizons qui lui offre sa première opportunité. Il prend des cours du soir de dessin, puis s’inscrit à l’école des beaux-arts à West Con (Western Connecticut University). Avec d’excellentes notes à son actif, et l’encouragement de sa prof, Barbara Grossman, Edgard Mazigi décide d’aller à New York et de participer à un marathon de peinture durant deux semaines. « Deux semaines entières, dit-il, avec des étoiles plein les yeux, deux semaines de montée d’adrénaline, de recherche de soi et de dialogue avec la toile. Toutes mes peurs et hésitations se sont évanouies durant ces deux semaines, où je me suis enfin retrouvé. »

Edgard Mazigi se rend compte qu’il ne voulait rien faire d’autre. « C’est difficile à décrire, j’étais dans un autre monde. Je voyais même ce monde autrement. C’était une plongée en moi-même. » Il fréquente par la suite le New York Studio School for Drawing durant 4 ans et acquiert des bases solides de dessin et de peinture. L’acte de peindre et de dessiner d’après le motif, d’après observation directe, qu’il va s’approprier et faire sien. « Le studio à New York m’a inculqué l’éthique et une certaine manière de regarder le monde et de le comprendre. J’ai compris que si l’on voulait faire de l’abstrait, il faut à tout prix connaître le dessin. »


... et le retour
Il rentre au Liban après 25 ans d’absence. Parti à l’âge de 18 ans, Edgard Mazigi a déjà la quarantaine entamée. Il a soif de se faire connaître, de s’enraciner.

Il est déterminé à devenir le conquérant de ses émotions. Et c’est par la peinture qu’il achève de le faire. Il y a des saveurs, des odeurs, des repères qui lui ont manqué, qu’il a hâte de retrouver. Il ne craint pas les risques et même si ses premières approches picturales étaient insatisfaisantes, il continue sa quête. « Jusqu’au jour où je commençais à faire des choses qui m’étonnaient moi-même. » Des allers-retours entre le fusain et la peinture, comme des vases communicants. « Il n’y a pas de peinture sans dessin et pas de dessin sans peinture, dit-il. Je ne dessine pas, mais je peins avec le fusain. C’est à partir de touches intuitives et souvent accidentelles que quelque chose a lieu. »

Et de poursuivre : « En peinture, tout comme en musique, il y a des forces, du rythme, des harmonies, des compositions sous-jacentes, sous-cutanées que nous établissons et que l’auditeur ou l’observateur ne voient pas nécessairement. Tout le monde est d’abord attiré par l’image. Avant l’image, moi je veux l’autre chose. L’image vient en second lieu. Elle apparaît comme par magie. Elle est un bonus pour moi. » Mazigi s’amuse à faire de la structure abstraite, du flou, des teintes qui prennent soudain forme. L’artiste a tellement voyagé, tellement vu, tellement exercé son œil et s’est rempli au fil des années d’émotions et de rencontres que le passé se connecte souvent avec le présent sur la toile et sa mémoire visuelle qui a tout enregistré fait jaillir l’image. « Je ne regrette aucune étape de ma vie. J’ai été bien partout, même quand j’étais envahi par le doute. Un artiste doit toujours être en perpétuel questionnement. Il n’y a pas un jour où je ne me demande pas si je vais finir la toile ou non. J’ai d’ailleurs un cimetière de toiles que je retourne et que je ne veux pas voir. Mais j’ai appris à faire confiance à mon intuition. Je suis à son écoute et je suis la fantaisie de mon imagination. » Edgard Mazigi n’a jamais fait de dessin préalable.

Il parle avec la toile et réagit avec elle. Elle lui réclame de la lumière ou de l’ombre et il les lui donne. Et si parfois il essaye d’accompagner l’actualité, comme la toile illustrant le mouvement de la Thaoura, exposée à Art on 56th, ou de faire de la peinture message, c’est simplement un exercice de plus pour cet artiste infatigable. Il retourne pourtant par la suite au processus qu’il a suivi depuis ses débuts. « Tout ce qui m’importe, c’est d’être sincère et authentique avec moi-même, confie-t-il.

Je ne veux pas être quelqu’un d’autre. Les gens aujourd’hui sont désespérés de faire quelque chose de différent. Or si tu fais quelque chose d’authentique, qui est toi et qui a de la fraîcheur, c’est déjà énorme. »


1955

Naissance à Beyrouth.

1974

Départ du Liban pour Lyon, pour faire des études d’ingénierie textile.

1989

Départ de l’Arabie saoudite pour le Connecticut (USA), poursuivant une carrière qui n’a rien à voir avec la peinture.

1994

Arrivée à New York où il passe quatre ans à la NYSS of Drawing, Painting and Sculpture.

1999

Départ pour Beyrouth, où il s’installe pour de bon après 25 ans d’absence.

2006

Deuxième exposition solo à Beyrouth, une quarantaine de dessins au fusain, à la galerie Janine Rubeiz.

2017

« Untold Stories », sixième exposition solo à Beyrouth, à la galerie Art on 56th.



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