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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Comment Ankara et Moscou vont-ils cohabiter en Libye ?

La présence accrue des forces turques et russes fait craindre un risque de confrontation, mais ouvre en même temps la voie à une coopération approfondie entre elles.

Le Premier ministre du gouvernement libyen reconnu par la communauté internationale, Fayez el-Sarraj (g), et le président turc, Recep Tayyip Erdogan, le 27 novembre à Istanbul. Presidential Press Office/Handout via Reuters

La relation turco-russe en Syrie pourrait-elle s’étendre à la Libye ? Le renforcement de la présence de ces deux puissances dans ce pays au cours de ces derniers mois fait craindre un risque de confrontation, mais ouvre en même temps la voie à une coopération approfondie entre elles. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé hier « l’accélération du processus entre la Turquie et la Libye ». « Nous leur avons dit que nous étions prêts à aider s’ils en ont besoin. D’une coopération militaire et sécuritaire à la prise de mesures en lien avec nos droits maritimes – nous sommes prêts », a-t-il déclaré, cité par la chaîne turque NTV. Ankara soutient activement avec le Qatar le gouvernement d’union nationale (GNA) à Tripoli, reconnu par la communauté internationale et dirigé par Fayez el-Sarraj, contre l’Armée nationale libyenne menée par le maréchal Khalifa Haftar, soutenu par la Russie, les Émirats arabes unis, l’Égypte et, dans une certaine mesure, la France.

Faisant l’objet d’une sanglante bataille de pouvoirs entre les différents acteurs locaux depuis la chute du « guide » libyen Mouammar Kadhafi en 2011, le terrain libyen est donc au cœur des velléités des puissances régionales. Et les déclarations du président turc pourraient ajouter un peu plus d’huile sur le feu. « Le fait nouveau est qu›Erdogan, pour des raisons nationalistes, idéologiques, militaires, a dit ouvertement qu’il allait peut-être envoyer des troupes officiellement en Libye », relève pour L’Orient-Le Jour Jalel Harchaoui, chercheur à Clingendael, un think tank indépendant basé aux Pays-Bas. « Les tensions seraient déjà élevées entre Ankara et Moscou. Le récent appel entre Erdogan et (le président russe Vladimir) Poutine ne s’était pas bien passé », rappelle pour sa part Mohammad Eljarh, analyste et directeur général de Libya Outlook. Les deux hommes ont discuté mardi de la situation en Libye lors d’une conversation téléphonique au cours de laquelle ils se sont déclarés prêts à aider à établir des contacts entre les parties belligérantes et ont exprimé leur soutien aux efforts de médiation des Nations unies et de l’Allemagne, a rapporté un communiqué cité par l’Associated Press.



(Lire aussi : La Turquie se rapproche d’une intervention militaire en Libye)



Faire pencher la balance
Si l’approche d’Ankara n’est pas nouvelle, « la Turquie s’est certainement impliquée davantage dans le dossier libyen au cours de ces derniers mois », note Claudia Gazzani, analyste sur la Libye à l’International Crisis Group, contactée par L’OLJ. La Turquie et le GNA ont signé deux mémorandums à la fin du mois de novembre, l’un portant sur une « coopération militaire et sécuritaire » plus approfondie entre eux et l’autre traitant des frontières maritimes en mer Méditerranée. Cette dernière initiative a notamment suscité une levée de boucliers du côté de la Grèce qui considérait qu’elle viole le droit international maritime. Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, a indiqué lundi que cet accord bilatéral a été soumis au Parlement, pavant la voie à une possible intervention turque en Libye et appuyant les déclarations du président Erdogan selon lesquelles la Turquie était prête à envoyer ses troupes dans le cadre de l’accord militaire récemment conclu. Le président Erdogan a par ailleurs reçu Fayez el-Sarraj au palais de Dolmabahçe à Istanbul dimanche dernier pour une rencontre à huis clos – sans que plus de détails ne soient fournis par la présidence turque. « Si la Turquie réussit à déployer ses troupes sur le terrain avec succès, à la lumière du mémorandum récemment signé, il est très possible que les Turcs fassent pencher la balance des pouvoirs en faveur du GNA, à moins que les soutiens étrangers de Haftar, dont la Russie, n’augmentent leur soutien à ce dernier en réponse », souligne Mohammad Eljarh. Bien qu’Ankara multiplie les gestes en vue d’intensifier sa présence en Libye, Moscou n’est pas en reste. Selon des officiels libyens et des diplomates occidentaux, la Russie y a renforcé sa présence à travers des snipers en faisant appel au Groupe Wagner, a rapporté le New York Times au début du mois de novembre. Les mercenaires de cette société privée russe, qui entretient des liens étroits avec le Kremlin, ont également fourni leurs services sur différents terrains à l’instar de l’Ukraine et de la Syrie. Selon le journal américain, ces snipers feraient partie d’une troupe de 200 combattants russes arrivés entre octobre et novembre derniers pour prêter main forte aux hommes du maréchal Haftar. « Les mercenaires russes sont sur le sol libyen depuis 2017, sauf que la différence est qu’ils étaient plutôt discrets et concentrés dans l’Est libyen », rapporte Jalal Harchaoui. « Ce qu’il s’est passé de vraiment nouveau est le fait que Haftar ait décidé, une décision d’ailleurs douloureuse, d’autoriser le passage des combattants russes aux alentours de Tripoli », précise-t-il.



(Lire aussi : La Méditerranée orientale, terrain de lutte entre Ankara et Riyad)



Étincelles
En novembre dernier, le secrétaire d’État adjoint américain pour le Moyen-Orient, David Schenker, a dénoncé « l’ingérence militaire de la Russie », l’accusant d’« exploiter le conflit au détriment du peuple libyen ». « Les autorités russes nient leur présence en Libye, balayent (les accusations) en les qualifiant de bêtises médiatiques ou disent que c’est une exagération des Américains », observe Claudia Gazzani. « Mais l’on sait qu’il y a un certain nombre d’experts militaires » sur place, nuance-t-elle.

Des conditions propices à provoquer des étincelles sur le terrain et qui pourraient être alimentées par l’annonce jeudi dernier du maréchal Haftar du lancement d’une nouvelle « bataille décisive » sur Tripoli. Les forces du gouvernement dit de Tobrouk mènent les combats pour la prise de la capitale libyenne depuis avril dernier, qui sont désormais dans l’impasse. Une nouvelle offensive rendrait donc possible une confrontation en toile de fond entre les forces turques et russes qui se retrouveraient seulement à quelques kilomètres les unes des autres.

Toutefois, « il est peu probable que les deux cherchent une confrontation sur le sol libyen » pour soutenir leurs alliés respectifs, indique Claudia Gazzani. « Je crois qu’Erdogan et Poutine ont intérêt à régler les choses en Libye comme ils l’ont fait en Syrie », estime pour sa part Mohammad Eljarh. En ce sens, la scène libyenne présente de fortes ressemblances avec la Syrie où Moscou et Ankara disposent d’une présence physique et diplomatique. Leur partenariat en Syrie, malgré leurs divergences d’intérêts, devraient les amener à reproduire le même modèle en Libye, pour ne pas risquer de mettre en péril leur « amitié » qui dépend notamment de leur hostilité commune à l’égard des États-Unis.

Ce scénario est d’autant plus envisageable que les Américains sont justement très en retrait de la scène libyenne, qu’ils délèguent à leurs alliés régionaux, Émirats arabes unis en tête. La présence des autres acteurs régionaux dans l’équation, à savoir l’Égypte, les Émirats arabes unis, le Qatar ou encore l’Arabie saoudite, pourrait toutefois compliquer la donne, même si la Russie excelle à se positionner en tant qu’arbitre entre les puissances régionales. « La question demeure de savoir ce qu’il va se passer si la Turquie accroît son implication et si l’on assiste à une réponse de l’Égypte », note Claudia Gazzani. « Pour l’instant, cela reste hors de question, mais l’on va continuer de voir Le Caire se positionner fermement pour fournir une couverture militaire et un soutien aux forces de Haftar, surtout maintenant que la Turquie semble être plus proche du gouvernement basé à Tripoli », conclut-elle.



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commentaires (3)

Ils feront comme au nord de la Syrie. La véritable question est comment feront les français et consorts occidentaux face à la présence russo turc. À voir où en sont ces prédateurs d'occidentaux en Syrie donne une idée de ce qui va se passer en lybie.

FRIK-A-FRAK

11 h 55, le 19 décembre 2019

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Commentaires (3)

  • Ils feront comme au nord de la Syrie. La véritable question est comment feront les français et consorts occidentaux face à la présence russo turc. À voir où en sont ces prédateurs d'occidentaux en Syrie donne une idée de ce qui va se passer en lybie.

    FRIK-A-FRAK

    11 h 55, le 19 décembre 2019

  • En fait ce qui se passe sur le terrain c'est le partage de pays problématiques en plusieurs petits états corrigeant les erreurs du colonialisme. A un moment donne, les intérêts des deux larrons, Russe et Turc, finiront par s'opposer sérieusement et la guerre s'imposera. Marquez mes mots: La Turquie finira comme la Syrie ou la Libye... Pas un seul état qui s'en ai pris au Liban, directement ou indirectement, n’échappera a son châtiment... L'Iran et ses sbires du Hezbollah itou et avant tous! S'ils ne s’étaient pas sentis menacé par les frondeurs, jamais ils n'auraient lâché leurs chiens enragés pour casser du peuple... Ces derniers ferais mieux de réfléchir a leur avenir... Ils le veulent dans la dignité, dans leur pays avec leurs amis et concitoyens ou sous une tente a Qoussair? Il y a de quoi réfléchir et vite!

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 38, le 19 décembre 2019

  • JE SOUHAITE QUE CE COMMENCEMENT DE L,OTTOMAN ERDO EN LYBIE SOIT LE COMMENCEMENT DE LA FIN DE SES REVES STUPIDES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    06 h 05, le 19 décembre 2019

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