Au palais de Baabda, il y a les rencontres officielles... et les autres, celles qui se déroulent loin des caméras, dans la plus grande discrétion. Selon des sources bien informées, une réunion discrète se serait tenue samedi après-midi entre des représentants du mouvement de protestation et le président de la République, dans une amorce de dialogue entre les deux parties. En fait, depuis le déclenchement du mouvement de protestation le 17 octobre, des contacts indirects ont été établis entre la présidence et certains activistes, sans se concrétiser par une rencontre face à face. Celle-ci a donc eu lieu il y a deux jours, mais selon les sources précitées, le chemin est encore long, car le mouvement est multiple et le dialogue amorcé en est encore à ses débuts.
Selon les sources précitées, le chef de l’État était depuis le début soucieux d’établir ce dialogue et il en a parlé ouvertement dans ses quatre apparitions télévisées depuis le déclenchement du mouvement. Au point qu’il aurait déclaré à ses visiteurs : « J’ai parfois le sentiment d’être moi-même à l’origine de ce mouvement, tant ce qu’il réclame correspond à tout ce que je dis depuis des années. » Toujours selon les mêmes sources, le chef de l’État n’aurait pas caché sa déception devant les rejets répétés de la part du mouvement de sa main tendue et de son appel au dialogue. Mais il n’a pas renoncé à ses efforts, et selon les mêmes sources, il ne le fera pas, considérant qu’il est le président de tous les Libanais et que le dialogue reste la seule possibilité de sortir de la crise actuelle.
Dans l’optique de Michel Aoun, le mouvement de protestation s’inscrit donc dans le sens de ce qu’il réclame et il pourrait ainsi y avoir une complémentarité entre lui et les protestataires de manière à exercer des pressions efficaces pour l’accélération de l’examen des dossiers de la corruption. Le problème, c’est qu’à l’heure actuelle, la plupart des manifestants ne veulent rien entendre et maintiennent leurs revendications, sans vouloir en discuter. C’est pourquoi la réunion de samedi après-midi peut être considérée comme une première approche.
À cet égard, le chef de l’État aurait expliqué à ses visiteurs qu’il n’est pas hostile dans l’absolu à un gouvernement de technocrates, mais, à ce moment-là, cela signifierait qu’il faudrait une personnalité elle-même technocrate pour le présider. De plus, comment assurer une couverture politique à un tel gouvernement, sachant que les blocs parlementaires qui doivent lui accorder leur confiance sont essentiellement politiques ? Dans un tel contexte, on peut s’attendre à ce que la majorité d’entre eux refusent de le faire.
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C’est pourquoi, selon lui, l’idée la plus réalisable est celle d’un gouvernement mixte, avec une majorité de technocrates et quelques figures politiques pour lui assurer la couverture nécessaire. Après avoir exigé un gouvernement formé de figures politiques, le tandem chiite (Amal et le Hezbollah) a accepté l’idée d’un tel gouvernement, tout en déclarant ouvertement leur appui au Premier ministre démissionnaire pour le former. Cet attachement à désigner Saad Hariri a été publiquement annoncé par le président de la Chambre Nabih Berry, et la raison évidente de cette position est le souci de ce tandem de ne pas provoquer la colère de la rue sunnite, et donc de se laisser entraîner dans une discorde confessionnelle. De son côté, toujours selon les sources précitées, le chef de l’État n’est absolument pas hostile à M. Hariri, mais s’il a retardé les consultations parlementaires (qui ne sont pas limitées par un délai précis, selon la Constitution), c’est pour éviter de se retrouver dans la situation suivante : les consultations nomment Saad Hariri pour former le gouvernement. Ce dernier propose une formule de technocrates inacceptable pour les deux formations chiites. Le président se retrouve ainsi face à un dilemme : 1- Signer le décret et envoyer devant le Parlement un nouveau gouvernement qui n’obtiendra pas la confiance de la majorité des députés, ou en tout cas celle des parlementaires chiites, ce qui pourrait provoquer une crise plus grave que l’actuelle ; 2- Ne pas signer le décret et dans ce cas, le problème restera le même, mais en plus compliqué avec une équipe gouvernementale qui n’a pas de statut légal.
Toutefois, depuis la séance parlementaire annulée de mardi dernier et le fait que le président de la Chambre se soit senti dupé par des composantes politiques et sécuritaires dont le courant du Futur, le tandem chiite n’est plus attaché à la candidature exclusive du Premier ministre démissionnaire pour former le nouveau gouvernement. De fait, les sources bien informées révèlent que des négociations discrètes sont actuellement menées au sujet de deux personnalités qui pourraient être choisies pour former le prochain gouvernement. Leurs noms sont gardés secrets, pour ne pas que ces personnalités soient grillées, comme ce fut le cas avec l’ancien ministre Mohammad Safadi. Ces personnalités seraient proches de Saad Hariri car il n’est pas question, selon les sources précitées, de former un gouvernement à coloration unique, c’est-à-dire composé du 8 Mars et alliés, pour ne pas provoquer un surplus de division et compliquer encore plus la situation. En principe, Saad Hariri devrait donner une réponse claire à ce sujet dans le courant de la semaine. Il pourrait alors soit accepter l’un des deux noms qui lui sont soumis, soit les rejeter et en proposer d’autres, soit revenir sur sa décision de ne pas former lui-même le gouvernement, soit encore rejeter les noms sans rien proposer en contrepartie. Ce qui devrait pousser les parties qui négocient avec lui à faire de nouvelles propositions.
Pour les sources précitées, l’horizon n’est donc pas totalement bouché, comme le disent certains. De toute façon, la seule option possible reste encore et toujours le dialogue...
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commentaires (19)
Est-ce que Mme Haddad pourrait nous donner un brin d’infos sur les coulisses de Ain el Tineh?
Cedrus Fidelis
11 h 01, le 27 novembre 2019