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Moyen Orient et Monde - éclairage

Vers un point de rupture entre Téhéran et l’Europe ?

Jugeant que Téhéran a dépassé les limites, les Européens pourraient être tentés de ne plus soutenir l’accord sur le nucléaire de 2015.

Le président Hassan Rohani s’exprimant lors de l’ouverture d’une usine à Téhéran, le 5 novembre 2019. Iranian Presidency/HO/AFP

Téhéran a une fois de plus accentué la pression sur les Européens en entrant hier officiellement dans sa « quatrième phase » de retrait de ses engagements pris dans le cadre de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 (ou JCPOA, Joint Comprehensive Plan of Action). Le délai de soixante jours que le président iranien Hassan Rohani avait accordé en septembre aux autres parties prenantes du marché, à savoir les Européens, la Chine et la Russie, pour tenter de contourner les sanctions américaines – qui étouffent durement l’économie iranienne depuis un an et demi – est arrivé à terme. « L’Iran va enfreindre une nouvelle disposition de l’accord de 2015 sur son programme nucléaire en injectant du gaz dans 1 044 centrifugeuses du centre d’enrichissement d’uranium de Fordo (à quelque 180 km au sud de Téhéran) », a annoncé hier le président Rohani dans un discours retransmis en direct à la télévision iranienne, expliquant toutefois que toutes les mesures contraires à l’accord de Vienne prises jusqu’ici par la République islamique sont réversibles et qu’elle respectera tous ses engagements quand les autres signataires de l’accord feront de même. « Il n’est pas question de respecter unilatéralement nos engagements s’ils ne respectent pas les leurs », a insisté Hassan Rohani. Le directeur de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique (OIEA), Ali Akbar Salehi, avait annoncé la veille la mise en service d’un type de centrifugeuse dont l’accord de 2015 interdit l’usage, afin d’accélérer l’enrichissement d’uranium. Devant cette situation, Moscou a exprimé hier sa « préoccupation », expliquant que « la rupture de l’accord sur le nucléaire iranien ne présage, bien sûr, rien de bon », selon les propos du porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. Ce dernier affirme toutefois « comprendre les inquiétudes » iraniennes face aux sanctions américaines « sans précédent et illégales » prises à l’encontre de Téhéran.De leur côté, les Européens, jusque-là les plus ardents défenseurs du JCPOA, tapent du poing sur la table. Prenant « note des annonces faites par Téhéran », ils ont réagi lundi en avertissant que le soutien de l’Europe à l’accord de Vienne était lié au « plein respect des engagement pris par l’Iran ». Autrement dit : si les Iraniens continuent de se désengager de l’accord, les Européens cesseront de le soutenir.


(Pour mémoire : Khamenei appelle à déroger encore à l’accord de 2015)


La clause spéciale du « snap back »

Depuis la sortie des États-Unis de l’accord sur le nucléaire le 8 mai 2018, l’Union européenne a tenté à maintes reprises – peut-être plus que les Russes et les Chinois – de sauver ce marché qu’elle considère comme la meilleure garantie pour empêcher la République islamique d’acquérir la bombe atomique. Pour ce faire, les Européens ont essayé de mettre au point un système permettant de contourner les sanctions américaines et de fournir les garanties économiques promises à Téhéran, notamment en ce qui concerne la vente de pétrole. Ces garanties n’arrivant jamais, les Iraniens ont initié le 8 mai dernier une procédure de réduction progressive de leurs obligations vis-à-vis de l’accord pour faire pression sur les Européens afin qu’ils respectent leurs promesses. Mais avec l’entrée en jeu de la quatrième phase iranienne de rejet de ses obligations, le compte à rebours pour la fin de l’accord pourrait avoir débuté. « Même si ce n’est pas la première fois que les Européens mettent en garde l’Iran, la dernière mesure prise par Téhéran va amener l’Europe à se reposer la question du soutien à l’accord sur le nucléaire », estime François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran (2001-2005) contacté par L’Orient-Le Jour, tout en spécifiant que l’Iran n’en est pas encore à son infraction maximale à l’égard de l’Europe. « Les provocations maximales seraient la réduction des capacités d’inspection des inspecteurs de l’AIEA ou encore l’enrichissement à 20 % de l’uranium », explique l’ancien diplomate. Ce seuil de 20 % représente, selon la réglementation internationale, l’application militaire de l’uranium enrichi.

S’ils estiment que les Iraniens sont allés trop loin dans leur politique de désengagement progressif de l’accord, trois possibilités sont offertes aux Européens. La première, c’est ne rien faire, ce qui n’arrangerait rien à la situation. La deuxième, c’est quitter l’accord, comme les Américains l’ont fait en mai 2018, ce qui laisserait la Chine et la Russie seules face aux Iraniens. Cela reviendrait à quasiment enterrer le JCPOA. Et la troisième, qui est la plus « subtile », consisterait pour les Européens à rester dans l’accord, provoquer une réunion du Conseil de sécurité et appliquer l’une des clauses spéciales du document : le « snap back ». « Un mécanisme de retour automatique de toutes les sanctions de l’ONU en cas de violation par l’Iran de ses obligations permettra de s’assurer que Téhéran respectera ses engagements pendant toute la durée de l’accord », stipule le texte. Cette clause n’est toutefois applicable que par les parties prenantes à l’accord. Si les Européens en sortent, ils ne pourront pas l’activer. Ces sanctions, si elles sont rétablies, symboliseraient également la fin pure et simple du JCPOA. « Le point-clé de la survie de l’accord, c’est la sortie ou non des Européens », poursuit M. Nicoullaud. L’Europe est ainsi confrontée à un dilemme de poids : soutenir ou ne plus soutenir. Reste maintenant à savoir si les Russes et les Chinois vont suivre ou non les Européens dans leur décision.


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