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Culture - Regards croisés

Comment réagir à la « révolution » libanaise quand on est loin ?

Face au soulèvement de leurs concitoyens, portés par un élan de communion aussi surprenant qu’inattendu, quelques artistes libanais de l’étranger croisent pour « L’Orient-Le Jour » leurs perspectives et leurs émotions, leurs rêves et leurs doutes.


« Révolution ! Révolution ! L’histoire témoignera: le peuple libanais se révolte » : illustration de Raphaëlle Macaron pour « L’Orient-Le Jour ».

« Au départ, j’ai ressenti un mélange de joie intense et d’anxiété, comme un sentiment de déjà-vu, ça m’a rappelé les manifestations de 2005, et les déceptions qui les avaient suivies. C’est la première fois que je vois un mouvement d’une telle ampleur, qui rassemble toutes les classes sociales et qui ne brandit pas d’emblèmes ou de photos d’idoles politiques », raconte Sandra Ghosn, graphiste libanaise installée à Paris depuis 2008. Le réalisateur Jacques Debs partage les sentiments mêlés de la dessinatrice. « Ma crainte est que ce “mouvement populaire” ne débouche sur des combats ou soit phagocyté par nos dirigeants après des réformes cosmétiques. Je me méfie des révolutions et du “dégagisme” ambiant. » Ce qui n’exclut pas une forme d’espérance, « parce que ce mouvement a pour fond une demande pragmatique, pour une meilleure gestion du pays ». Samer al-Ameen, designer libanais établi à Milan, souligne la dimension frustrante de l’éloignement. « Toutes les communautés sont rassemblées pour défendre le même drapeau, en une seule voix, elles veulent sauver leur pays et ont atteint un point de non-retour. J’étais heureux de marquer mon soutien devant le consulat libanais de Milan, et j’espère rejoindre les manifestants au Liban la semaine prochaine. »

C’est ce qu’a fait le photographe Sabyl Ghoussoub, qui a quitté Paris pour Beyrouth, le lundi 21 octobre, pour rejoindre la rue libanaise et essayer de comprendre. « J’ai beau vivre loin du Liban, mon cœur bat la chamade depuis quelques jours. Comment réagir à ce mouvement quand on est loin ? » C’est pourtant avec humour que le romancier avait réagi au départ. « Au tout début, j’ai préféré en rire. Une taxe WhatsApp et le Liban s’enflamme… » Un élément déclencheur porteur de sens selon Sandra Ghosn, qui fait référence à l’annonce le 17 octobre d’une nouvelle taxe sur les appels effectués via les messageries instantanées, qui a déclenché le mouvement populaire : « C’est un des seuls lieux où les gens peuvent encore communiquer et échanger leurs idées gratuitement, ils ont voulu défendre aussi leur volonté de s’exprimer. Je suis émue de voir mon peuple prendre en main son destin et s’approprier l’espace public. J’espère qu’on va pouvoir penser notre histoire et panser les blessures de notre corps social. »


(Lire aussi : Sandra Kheir Sahyoun lance son « Cri du cèdre »)


La magnifique colère

« Je suis rentrée à Paris le jour des pneus enflammés et des routes coupées, en slalomant entre les braises ravivées tout au long du chemin par des dizaines de scooters qui proposaient leur business, 50 000 livres libanaises, pour te conduire jusqu’à la porte de l’aéroport. » La romancière Hoda Barakat a quitté Beyrouth pour Paris le vendredi 18 octobre, alors que le pays s’embrasait. À l’issue d’un séjour éprouvant, elle rentrait en France sans espoir. « Avant, il y avait les incendies. Mon amertume n’avait plus de mots, mais cette fois, avec un petit surplus de mépris et de haine, une petite dose supplémentaire de rancune : tant mieux s’ils m’ont foutue dehors, les mêmes qu’il y a 30 ans. Puisque comme à chaque fois je me réfugie dans le fait que moi, je ne suis de nulle part… »

Et puis les manifestations ont commencé. « Clouée devant ma télé, je me répétais que c’était incroyable. Comme ça, du jour au lendemain, la magnifique, la divine colère. Je ne suis pas une bonne “expectationniste”. Entre angoisse, euphorie, incrédulité et peur panique, j’essaie d’écouter ce que ces Libanais disent. Je tends l’oreille à ce qu’ils scandent, je regarde comment ils sont habillés, ce qu’ils écoutent sur les haut-parleurs, combien ils se ressemblent, sur toute la terre de mon pays. Toute mon énergie, je l’emploie à y croire. Leur soulèvement a un seul devoir: celui de se soulever. Et de dire : c’est fini. Bien fini. »


(Lire aussi : La « révolution » libanaise en six illustrations chocs)


L’espoir d’un retour

Le musicien électronique Hadi Zeidan est rêveur devant les images de la rue libanaise, vivante, chatoyante et vibrante. « Aujourd’hui, pour la première fois depuis mon arrivée en France il y a dix ans, j’ai l’envie, sinon l’espoir, de retourner au Liban, grâce au courage de mes compatriotes libanais, Peut-être que nous sommes en train de conclure le chapitre du communautarisme et de la guerre civile. » Samer al-Ameen ne se lasse pas de la beauté des images d’unité, qui lui inspirent « de la fierté et de l’amour, et surtout l’espoir d’un futur lumineux ». La lecture de Jacques Debs est religieuse. « Ce qui me paraît certain, c’est que dans la région nous traversons une crise spirituelle, et elle est la matrice de toutes les autres. J’espère que ce mouvement sera le premier pas vers une réelle réconciliation entre toutes les religions de la région, alors la paix pourra voir le jour. »

Si les plus jeunes, comme Sandra Ghosn ou Hadi Zeidan, revendiquent la suppression du système confessionnel et plébiscitent la laïcité comme valeur essentielle, ce n’est pas ce que préconise le scénariste. « Je me méfie de tous les slogans qui réclament la suppression du confessionnalisme. Nos identités hybrides sont organisées autour de nos appartenances religieuses et je crois que les Libanais ont donné la preuve qu’ils voulaient vivre ensemble tout le long de cette très longue crise, qui a commencé avec le funeste accord du Caire de 1969. Le mariage civil facultatif permettrait une déconfessionnalisation de la société civile, tout en gardant la répartition confessionnelle des grands postes, qui rassure les Libanais. L’autre volet des réformes doit être d’ordre économique car le peuple souffre. » Hoda Barakat prône avant tout la prudence. « Je ne fais pas confiance aux mouvements de foule. L’héritage des “pères de la nation” est trop lourd, et demain guettent la fatigue, la faillite et la discorde, puisqu’une grande partie de nos dirigeants s’agrippent à leur butin et lèvent le doigt de menace. On s’y attend et on a peur. La mission des manifestants est de nettoyer au Kärcher, de décrasser des décennies de honte, de décomposition et de mort clinique de la conscience, et c’est déjà énorme. Après, viendront les solutions. Juste jetez-les dehors. Juste tournez définitivement la page de la guerre civile ! »

Raphaëlle Macaron avait 15 ans en 2005, et cette fois, elle en a 30. « C’est émouvant de penser que maintenant nous sommes adultes, nous n’avons plus à subir et nous sommes en mesure de reprendre le pays qu’on nous a volé. » Et c’est par une affiche et des slogans esthétisés (voir ci-contre) que l’illustratrice a choisi de s’exprimer dans L’Orient-Le Jour.


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commentaires (1)

un seul mot l'espoir. nous avons besoin d'un pays moderne où la citoyenneté remplace le clientélisme.et pour nos enfants (nés et grandis dans des pays de la sorte)une motivation réelle en dehors du récit mythologique bombant du "pays du miel et l'encens".

Abbas Mroue

10 h 01, le 28 octobre 2019

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Commentaires (1)

  • un seul mot l'espoir. nous avons besoin d'un pays moderne où la citoyenneté remplace le clientélisme.et pour nos enfants (nés et grandis dans des pays de la sorte)une motivation réelle en dehors du récit mythologique bombant du "pays du miel et l'encens".

    Abbas Mroue

    10 h 01, le 28 octobre 2019

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