En silence, des manifestants ont allumé hier soir des bougies devant le tribunal jaafarite de Beyrouth à la mémoire de Nadine Jouni, la jeune maman chiite de 29 ans, tragiquement décédée dimanche alors qu’elle militait pour la garde de son enfant Karam, âgé de neuf ans.
« Nadine n’est pas morte dans un accident ! Ce sont vos lois qui l’ont tuée », pouvait-on lire sur les pancartes brandies par les manifestants, ou encore « Nous voulons que nos enfants grandissent avec nous, et non qu’ils prient pour notre âme. Vos lois tuent chaque jour une maman » ; « Nadine, repose en paix. Nous mènerons la révolution ! » avec pour mot-dièse (hashtag) « la garde de mes enfants contre le tribunal jaafarite ».
Divorcée et fervente militante des droits de la femme, Nadine Jouni a trouvé la mort sur l’autoroute Damour-Saïda, alors qu’elle se dirigeait vers Beyrouth pour y participer aux manifestations contre la situation économique. Hier, son village de Bint Jbeil au Liban-Sud lui a rendu un dernier hommage, mais aussi ses amis, ses collègues (la jeune femme était responsable des campagnes médiatiques et des relations de presse à l’association Abaad) et des représentants des différentes ONG féministes. Son fils a été conduit par la famille de son père, quelques minutes durant, pour jeter un dernier regard sur le cercueil de sa mère.
(Lire aussi : Décès tragique de Nadine Jouni, militante pour les droits de la femme)
« La prison… pour garder mon enfant »
L’histoire de Nadine Jouni est celle de toute maman chiite divorcée qui milite pour la garde de ses enfants, « alors que les tribunaux religieux privilégient des coutumes machistes qui servent l’intérêt des hommes », s’insurge Rita Choucair, 26 ans, divorcée et mère d’un garçon. Son calvaire a commencé juste après son divorce en 2015, la communauté chiite fixant l’âge de la garde des enfants par la mère à deux ans pour les garçons et sept ans pour les filles. « Ces lois ne prennent en considération ni l’état psychologique ni l’état social de l’enfant, déplore-t-elle. Leur but est de garder la mainmise de l’homme sur la femme. Dans ce cadre, l’enfant sert d’outil auquel a recours le père pour faire pression sur la femme afin qu’elle se désiste de ses droits que l’islam lui a conférés, comme le fait de pouvoir divorcer sans même l’approbation de l’homme ou encore d’inclure dans le contrat de mariage un article concernant la garde des enfants. Sans oublier le harcèlement qu’elle subit de la part de cheikhs ou de juges qui lui promettent de lui accorder des droits en retour de faveurs sexuelles. »
Rita confie avoir subi toutes ces atrocités. Après avoir obtenu le divorce, « j’ai déposé une plainte pour protection contre la violence domestique qui engloberait aussi mon fils, suivie d’un procès pour obtenir la garde de mon enfant, d’autant que les parents de mon ex m’ont battue lorsque je me suis rendue à leur domicile pour voir mon fils », raconte-t-elle. L’ex de Rita vivait à Beyrouth, alors que son enfant était avec ses grands-parents paternels au Liban-Sud.
Le tribunal a publié une décision temporaire lui accordant un droit de visite de vingt-quatre heures par semaine, alors que conformément à la décision de protection, elle était autorisée à le voir seulement trois heures par semaine. « Le tribunal tardait à examiner mon dossier, ajoute Rita. Entre-temps, mon fils subissait une violence morale. De plus, il avait des troubles psychiques essentiellement dus à son éloignement de moi. »
Ne pouvant plus le voir dans cet état, elle a décidé de le garder chez elle. « J’étais prête à être emprisonnée pendant six mois, quitte à garder mon fils avec moi », martèle-t-elle, notant qu’en raison de cette décision, « j’ai été traînée dans les postes de gendarmerie, jusqu’au jour où la décision d’incarcération a été émise ». Rita, dont l’histoire avait éclaté au grand jour et qui bénéficiait du soutien du peuple, a entre-temps créé une page Facebook « المرأة والقضاء اللبناني » (la femme et la justice libanaise). « La pression des gens a fait que le juge a décidé de revenir sur sa décision », se félicite-t-elle. Il y a quelques mois, elle a obtenu la garde de son enfant. « Mais nous continuons la lutte sur notre page pour venir en aide à de nombreuses mamans qui militent pour leurs droits », assure-t-elle.
(Lire aussi : Garde des enfants : au Liban, ces lois communautaires qui favorisent le père)
« Les voir revenir »
R., également chiite ayant voulu garder l’anonymat, n’a pas eu la même chance que Rita. Divorcée à deux reprises et mère de cinq enfants (dont trois du premier mariage), elle note que son histoire est celle « de toute mère chiite qui subit la terreur exercée par le tribunal jaafarite, qui fait preuve d’un abus de droit, en accordant systématiquement la garde de l’enfant au père, même si celui-ci est alcoolique, violent… ». « Elle ne peut avoir la garde de ses enfants que si le père en décide autrement, explique-t-elle. Mais là encore, il pose ses conditions au risque de lui reprendre les enfants. Tous les juges soutiennent l’homme sans aucune considération pour la femme ou les enfants. Souvent, le père refuse de laisser la mère voir ses enfants, qui se voit contrainte de s’adresser aux gendarmes à chaque visite. » R. raconte avoir subi toutes ces humiliations durant le procès qui l’opposait à son premier mari. « J’ai dû passer dix ans dans les tribunaux pour enfin pouvoir jouir de la garde de mes enfants, mais je me suis désistée de tous mes droits, avance-t-elle. Il a toutefois gardé le droit de tutelle. Lorsque mes enfants ont eu 18 ans, ils l’ont chassé. Ils ne le voient plus. »
Le second mariage de R. a été tout aussi malheureux. Son mari l’a quittée il y a onze ans, alors qu’elle était enceinte de son deuxième fils, pour se remarier. « Je n’ai jamais revu mes enfants, s’insurge-t-elle. J’ai de leurs nouvelles à travers des amis qui m’envoient leurs photos. Mes enfants me haïssent. Ils pensent que je les ai abandonnés. Mon fils aîné, qui a 15 ans, a commencé à accepter l’idée d’avoir une mère. Cela grâce à ses copains de classe qui lui montrent mes écrits que je poste sur ma page Facebook. »
R., qui vit au Liban-Sud, raconte que tous les jours, à l’heure de la sortie des écoles, elle se met devant l’établissement que fréquente son fils aîné pour le voir. « Je ne peux pas voir mon benjamin, parce que c’est son père qui l’accompagne, déplore-t-elle. Ils ne sont pas dans la même école. »
Malgré son calvaire, R. garde le sourire et l’espoir. « Je suis certaine que viendra le jour où mes enfants, par curiosité, me chercheront. Peut-être aussi pour me demander des comptes. Je vis dans l’espoir de les voir revenir. »
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commentaires (9)
CE SONT LES MERES QUI DOIVENT AVOIR LA GARDE DE LEURS ENFANTS EN BAS AGE PAS LES PERES MAIS NOUS VIVONS DANS UN PAYS OU LA RELIGION PRIME TOUT ET LES TRIBUNAUX RELIGIEUX SONT PROBABLEMENT LA PLUS GRANDE SOURCE D'ARGENT ET DE CORRUPTION DANS CE PAYS, TOUS CONFONDUS , ET MALGRE PLUSIEURS PERSONNES QUI EN ONT PARLE RIEN N'A JAMAIS ETE FAIT PAR LA JUSTICE CONCLUSION : ON A LA JUSTICE QUE NOUS MERITONS et les religieux que nous meritons en ajoutant les politiciens que nous meritons ,malheureusement
LA VERITE
00 h 22, le 10 octobre 2019