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Liban - Enquête

Les pique-assiettes, toute une histoire

Ils se font passer pour des journalistes et se pointent aux événements en ville sans y être invités.


Les pique-assiettes font le tour des réceptions sans y être invités.

À la villa Linda Sursock, louée l’espace d’un dîner, un homme en chemise de soie rose remplit son assiette, malgré les remarques répétées de l’hôte : « Monsieur, vous n’êtes pas invité. » Il l’ignore complètement et s’installe, son assiette bien pleine, à une table de plusieurs convives qu’il ne connaît pas.

Lors d’un dîner de gala au Casino du Liban, à la demande de l’attaché de presse de l’association qui organise l’événement, deux serveurs poussent vers la porte la première femme attablée. « Vous n’êtes pas invitée, Madame », disent-ils. Dans sa surprise, la femme, âgée d’une quarantaine d’années, fait tomber tous les hors- d’œuvres qu’elle avait cachés sous son pull. Elle ne partira pas avant d’avoir ramassé et emporté la nourriture.

Ils viennent aux soirées et réceptions sans être invités. Habillés sobrement ou sur leur trente-et-un, ils se mêlent à la foule, engagent la conversation, distribuent des cartes de visite et se servent gloutonnement au buffet. On les appelle des pique-assiettes. Les attachés de presse des ambassades et des festivals et les services de sécurité des grands hôtels les connaissent bien. D’ailleurs, les grands hôtels de Beyrouth filment les réceptions pour les identifier. Ils ont des fichiers avec des photos et des informations concernant les pique-assiettes qui tournent en ville et cela pour les empêcher de mettre les pieds dans un endroit où ils ne sont pas invités.

« Ce qui est sûr, c’est que ce ne sont pas des personnes dans le besoin. Ils viennent pour dire plus tard qu’ils ont pris part à tel ou tel événement, réception, spectacle, grande conférence de presse, et surtout pour (bien) manger », explique la responsable presse d’un grand festival organisé chaque année en montagne. « Au début cela me choquait, mais aujourd’hui, ils font tellement partie du paysage que je les place à la même table chaque année au déjeuner qui suit la conférence annonçant le programme du festival », poursuit-elle.


Excursion gratuite

Pour l’agenda des événements en ville, ils consultent surtout l’Agence nationale d’information (ANI) qui annonce la plupart des congrès, conférences et même réceptions, au point que beaucoup d’attachés de presse n’informent plus l’ANI des activités à venir.

« Nous avons annoncé la réception de la fête nationale à travers l’ANI et nous avons reçu des coups de téléphone de personnes que nous n’avions pas invitées, mais qui confirmaient leur présence », déclare l’attachée de presse d’une ambassade européenne.

Une autre parle de sa première expérience avec les pique-assiettes. « Nous avions organisé une sortie sur le terrain pour les journalistes afin qu’ils visitent les projets mis en place par les donateurs. Nous avions loué un grand bus pour aller à la Békaa. Cinq personnes que je n’avais jamais vues et qui ne faisaient pas partie des journalistes que j’avais invités étaient déjà dans le bus à mon arrivée. Quand j’ai voulu vérifier leur identité, elles m’ont montré des cartes de presse fictives assurant qu’elles travaillaient pour un site web dont je n’avais jamais entendu parler. Je n’ai pas pu les chasser et j’ai voulu aussi éviter un scandale. Elles sont restées avec nous et ont ainsi effectué une journée d’excursion gratuite… Elles ont fini trois jours plus tard par m’envoyer un lien à un site internet, lu probablement par une dizaine de personnes », ironise-t-elle.

De nombreux pique-assiettes se font ainsi passer pour des journalistes. Il est facile de produire une carte de presse fictive, d’expliquer qu’on est le correspondant d’un média arabe ou occidental ou encore d’ouvrir un site web bidon.

« À chaque grand événement organisé, des pique-assiettes se pointent. Ce sont toujours les mêmes, ils viennent parfois ensemble et franchement je n’ai jamais compris pour quels médias ils travaillaient », raconte Bassem el-Hage, responsable presse de nombreuses institutions et festivals à Beyrouth. Comme d’autres personnes interrogées, M. Hage regarde les pique-assiettes d’un œil amusé. « Au début on s’énerve, mais à la longue on finit par s’habituer à leur présence. Généralement, je ne chasse jamais personne. À un buffet, il y a de la nourriture pour tout le monde. Ça se complique quand il s’agit de la première d’un film attendu en salle, de l’ouverture d’un festival où les places sont limitées et numérotées ou encore d’un dîner assis », explique-t-il.


« Un petit casse-croûte »

Il y a les journalistes fictifs, mais aussi des personnes qui affichent leur vraie identité sans être le moins du monde gênées. « Je me souviens d’un homme qui s’était présenté comme un officier de l’armée à la retraite, arrivé en complet-veston en retard à un événement auquel il n’était pas invité. Il a fait un scandale parce que nous ne l’avions pas attendu pour le déjeuner… Nous avons fini par lui servir à manger alors que l’événement était fini », se souvient, presque attendrie, la responsable presse du festival en montagne.

Bassem el-Hage, de son côté, est intrigué par un homme assez connu, de bonne famille, généralement discret et qui se pointe à plusieurs réceptions sans être invité.

Une journaliste interrogée n’a pas compris au début le manège d’un homme de son entourage. « Il travaillait dans une institution internationale au Liban. Une fois, avant une réception organisée par une ambassade, il m’a téléphoné pour voir si j’étais invitée. Il prétendait que les organisateurs avaient probablement oublié de l’inviter. Je l’ai amené avec moi. Cela s’est répété à deux reprises avant que je ne comprenne qu’en fait il n’était jamais invité à ces réceptions », raconte-t-elle.

Il y a aussi ceux qui vont aux réceptions en s’informant auprès de personnes mondaines de leur entourage ou de riverains d’espaces loués pour les événements. C’est le cas pour la rue Sursock où des activités sont organisées régulièrement, que ce soit au musée ou dans les deux villas qui portent le nom de la rue. « Je pense que ce sont des gens qui n’habitent pas trop loin. Ils voient la villa ouverte ou une foule sur le parvis du musée et ils entrent, tentent leur chance, pensant que personne ne les remarquerait. Au début, j’étais furieuse contre eux, là ils me font pitié », souligne une femme qui organise deux fois par an un dîner à la villa Linda Sursock.

« Les gens qui ont faim n’iront pas manger dans des réceptions. (Les pique-assiettes) sont bien habillés, parlent français et sont vraiment très tenaces », dit-elle, se souvenant d’une jeune femme très bien habillée qui s’était pointée au buffet. Quand je l’ai priée de partir, elle m’a répondu : “Je veux juste goûter, juste un petit casse-croûte” ».Il y a ceux qui scrutent les réseaux sociaux à la recherche d’événements qui pourraient les intéresser. C’est le cas d’Ayman, la quarantaine, qui avoue avoir plusieurs comptes Facebook sur lesquels il a ajouté toutes les ONG pour être informé de leurs activités. Interrogé par L’OLJ, il affirme être tellement connu par tout le monde. « Il m’arrive même de décliner des invitations dans des grands hôtels. Je vais juste aux réceptions qui m’intéressent », affirme-t-il. Mais pourquoi veut-il s’imposer dans ces réceptions sans y être invité ? « J’aime être au courant de tout ce qui se passe dans le pays, pour ne pas être pris au dépourvu quand les gens parlent d’un événement », affirme-t-il simplement.Il y a enfin les gens qui épluchent les nécrologies pour se pointer aux condoléances à l’heure du déjeuner, sans pour autant connaître le défunt ou ses proches, mais ça c’est une autre histoire…

À la villa Linda Sursock, louée l’espace d’un dîner, un homme en chemise de soie rose remplit son assiette, malgré les remarques répétées de l’hôte : « Monsieur, vous n’êtes pas invité. » Il l’ignore complètement et s’installe, son assiette bien pleine, à une table de plusieurs convives qu’il ne connaît pas.Lors d’un dîner de gala au Casino du Liban,...

commentaires (5)

La plupart des "personalités" politiques font ça, et personne n'en parle. Pourquoi?

Gros Gnon

15 h 06, le 03 octobre 2019

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • La plupart des "personalités" politiques font ça, et personne n'en parle. Pourquoi?

    Gros Gnon

    15 h 06, le 03 octobre 2019

  • Mmmmm, serait-ce une parabole sur ceux qui s'invitent, dans nos vies et gouvernement, prétendant tout connaître et se servant, sans vergogne, de tout les biens du pays et de son avenir. Hanna el-nabaa à la libanaise! Merci

    Wlek Sanferlou

    13 h 03, le 03 octobre 2019

  • UN ARTICLE PIQUE-(NIQUE) , JE VOUS LE JURE ON SE FAIT AVOIR .

    FRIK-A-FRAK

    11 h 27, le 03 octobre 2019

  • Je qualifierai ce papier de pique-temps. Aucun intérêt!

    Tina Chamoun

    09 h 49, le 03 octobre 2019

  • C'est comique.... Allez savoir ce qui se passent dans leur tête!

    NAUFAL SORAYA

    07 h 41, le 03 octobre 2019

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