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Culture - Événement

À Beyrouth, Picasso déploie son esprit de famille

« La culture, c’est ce qui reste quand on a tout perdu ». Sans doute est-ce pourquoi le légendaire dynamisme libanais se manifeste, en ces jours de crise, avec une amplitude renouvelée dans le domaine culturel et artistique. Preuve en est, cette exceptionnelle exposition d’une vingtaine d’œuvres du maître universellement reconnu de l’art moderne, qui se tient à Beyrouth, au musée Sursock, jusqu’au 6 janvier 2020. Petite visite guidée.

Une exceptionnelle exposition d’une vingtaine d’œuvres du maître universellement reconnu de l’art moderne se tient à Beyrouth, au musée Sursock, jusqu’au 6 janvier 2020. Petite visite guidée. Photo Michel Sayegh

Février 1917. Pablo Picasso entame son grand tour d’Italie. « Ce périple sera très important pour le peintre espagnol exilé en France depuis le début du XXe siècle. Il a alors 36 ans. Il a déjà mené sa révolution cubiste, mais il va profondément s’imprégner de l’art italien et de celui des rives de la Méditerranée », indique l’historienne de l’art, chargée de mission au Musée national Picasso, Camille Frasca.

Janvier 2017. Pour marquer le centenaire de ce fameux voyage en Italie, le Musée national Picasso-Paris initie un réseau de programmations pluridisciplinaires et multiformes, avec 70 institutions culturelles de 10 pays du pourtour de la Grande Bleue, visant à offrir un parcours voyageur dans la création de l’artiste et dans les lieux qui l’ont inspiré.

C’est dans le cadre de cette manifestation culturelle internationale que s’inscrit l’exposition Picasso et la famille qui se tient au musée Sursock jusqu’au 6 janvier 2020.

Organisée par les équipes du musée beyrouthin en collaboration avec celles du musée parisien, cette escale libanaise d’une vingtaine de pièces du maître universel de l’art moderne est, comme l’assure le président du Musée Picasso-Paris Laurent Le Bon, présent à Beyrouth pour l’inauguration jeudi 26 septembre, « l’un des temps forts de Picasso-Méditerranée. Et cela non seulement parce qu’elle clôture le cycle des 47 expositions qui ont exploré de manière renouvelée les différentes facettes de l’œuvre du maître espagnol ainsi que la richesse de son lien avec la Méditerranée, mais parce que le thème choisi ici, Picasso et la famille, correspond bien à l’esprit libanais ». Et d’ajouter : « Cette escale libanaise est aussi, sans doute, l’une des plus symboliques car s’il y a un endroit au monde où les échanges et les croisements nourrissent le quotidien de nos vies, c’est bien ici, à Beyrouth. »

L’événement est inédit à plus d’un titre. Par son ampleur artistique sans précédent au pays du Cèdre (mis à part une exposition Rodin accueillie par le même musée en 1964), par les moyens et collaborations qui ont été nécessaires à sa mise sur pied (mécénat et soutien actif de la part de Danielle Edgar de Picciotto, de Cyril Karaoglan ainsi que du Musée Picasso-Paris) et par les œuvres choisies qui, « pour la plupart, sortent pour la première fois des réserves du Musée Picasso-Paris et n’ont pas été montrées auparavant, même en France », signale Camille Frasca, cocuratrice avec Yasmine Chemali (responsable des collections au musée Sursock) de cette exposition.


(Lire aussi : Picasso enfin à Beyrouth !)

Ni rose, ni bleu, ni cubiste

De l’œuvre de Picasso, tout le monde connaît les périodes rose, bleue et le cubisme. De la vie personnelle de l’artiste, nombreux sont ceux qui ne retiennent que l’image d’un homme égocentrique, d’un amant destructeur, voire même d’une sorte de minotaure toujours à la recherche de chair fraîche.

Des clichés sans doute dus aux nombreuses expositions articulées autour des différentes périodes qui ont jalonné sa carrière, et qui ont souvent été présentées en lien avec les femmes qui se sont succédé dans sa vie.

En ne rentrant pas dans ces schémas classiques, Picasso et la famille –

« qui ne comporte aucune toile de ces périodes spécifiques, mis à part un dessin de la bleue », indique Yasmine Chemali – met en lumière un aspect intimiste et surtout profondément humaniste, plus ignoré, du célébrissime artiste.

Et cela dès la première œuvre qui ouvre le parcours chronologique de l’exposition. Un portrait à l’huile plein de mélancolie et de sensibilité d’une Fillette aux pieds nus signé Pablo Ruis (son patronyme paternel, avant qu’il ne choisisse pour signature celui de sa mère) et daté de 1895. Picasso a alors 14 ans et il vient de perdre l’une de ses sœurs, emportée par la diphtérie. Cette jeune indigente au regard triste qu’il peint alors est, semble-t-il, une subtile incarnation du sentiment de chagrin et de perte familiale qu’il éprouve.


(Pour mémoire : « Picasso et la famille » bientôt au musée Sursock)

Humaniste et intime

Certes, le thème de la famille fait sens dans l’œuvre de Picasso. Et l’on retrouve dans cette exposition de nombreuses représentations du cercle restreint et intime que ce mot désigne. À l’instar de cette petite ébauche à l’encre et gouache sur papier montrant sa mère et sa sœur brodant (1896). « Sauf que nous n’avons pas voulu nous limiter au nucléus familial en tant que tel, mais montrer plutôt le lien que la famille représentait à ses yeux. Qu’il s’agisse de paternité, de maternité et d’amour fraternel ou de lien sensuel, amical et plus largement affectif », affirment d’une même voix les cocuratrices de l’exposition beyrouthine.

À travers la vingtaine d’œuvres exposées, allant de ce portrait de facture classique précité – œuvre de jeunesse mais déjà d’une impressionnante maîtrise, peint à Barcelone – jusqu’à une grande huile sur toile composée à Mougins quelques mois avant son décès le 8 avril 1973, la sélection présentée au premier étage du musée Sursock offre aux visiteurs une sorte de survol des 77 ans de création de cet artiste majeur, initiateur de tant de courants dans l’art du XXe siècle.

Une petite rétrospective en somme construite en une succession d’œuvres jalons dans la vie personnelle de Pablo Picasso ainsi que dans son parcours marqué par la réinvention constante de son vocabulaire artistique.

Scénographie classique et épurée (signée Jacques Aboukhaled) pour un parcours divisé en 4 temps. Une première partie intitulée « Sources » introduit le visiteur dans l’univers familial du jeune Picasso jusqu’à celui de son premier mariage avec Olga et la naissance de son premier fils Paulo. Cette première expérience de la paternité va développer chez l’artiste un puissant intérêt pour les thèmes et les formes interrogeant la maternité. Une exploration des références sculpturales primitives du corps féminin, en tant qu’objet de fécondité et de plaisir, qui va se poursuivre et s’accentuer dans la section suivante. Dans cette deuxième partie, intitulée « Tumultes », ce sont en effet les sculptures qui dominent. Inspirées par sa maîtresse Marie-Thérèse Walter et mère de son deuxième enfant Maya, elles déclinent un ensemble de variantes, des plus crues aux plus délicates, autour de cette obsession des rondeurs du corps féminin et du désir qu’il suscite chez l’artiste. On en retient notamment un minuscule chef-d’œuvre gravé dans le bois représentant merveilleusement la fusion charnelle d’un Couple (1930). Mais, préoccupé par ailleurs par les événements en Espagne et la guerre en Europe, Picasso exprime aussi, dans ses créations des années 1930 et 1940, ses angoisses au moyen d’œuvres parfois surprenantes. À l’instar de ce terrible Baiser, tout petit collage de papier journal rehaussé à l’encre (1943) montrant une figure d’homme monstrueux enlaçant un nouveau-né apeuré.


(Pour mémoire : Quand Picasso s’arrête au musée Sursock)


Jeux de peintre et d’enfant(s)

Après ce passage sombre, le parcours débouche sur une salle où l’art de l’artiste se fait plus ludique. Intitulée « Jeux », cette troisième partie rassemble des toiles et sculptures des années 1940 et 1950, où la figure de la femme enceinte, de la mère jouant avec ses enfants prédomine. Et en particulier cette Femme à l’enfant en tôle découpée, pliée, assemblée et peinte (de 1961) d’une extraordinaire « chaleureuse » expressivité. Dans ces représentations d’une cellule familiale heureuse, l’influence de l’univers enfantin se ressent au niveau de la spontanéité de création de celui qui a dit « à 12 ans, je dessinais comme Raphaël. Il m’a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant ». Une belle formule à laquelle l’on ne peut s’empêcher de penser en parcourant les œuvres de la dernière section. Dans ce volet titré « Familles romanesques », les curatrices ont présenté un grand nombre d’œuvres tardives du grand maître. À Mougins où il se retire à la fin des années 1960, Picasso continue de s’atteler à la figuration des couples, des maternités, de la sexualité… Tous ces thèmes en lien avec l’affect et la filiation qu’il n’a cessé de décliner tout au long de sa vie… Sauf que son art se détache de tous les courants qu’il a créés. Ses maternités prennent l’aspect de madones païennes ; ses portraits de couple oscillent entre crudité absolue et tendre empreinte du temps (L’Étreinte et Homme et femme), et ses représentations familiales s’ouvrent vers des imaginaires renouvelés. À la fois tirés de ses lectures (un tableau, intitulé Famille, aux personnages étonnamment balzaciens) et de ses rêveries d’éternel peintre et enfant. C’est la période du Picasso lâché qui trace ses impressions sur toile avec l’assurance et la liberté d’un mousquetaire sortant son épée. C’est ce que laisse imaginer l’observation des deux dernières toiles de cette exposition : Le peintre et l’enfant (1969) et Mousquetaire et enfant (1972). Évidemment à ne pas rater !



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IL A CERTES DES OEUVRES VALABLES MAIS CELLES QUI DEVRAIENT ETRE EXPLIQUEES AU PUBLIC... JE LAISSE DEVINER...

LA LIBRE EXPRESSION

11 h 01, le 01 octobre 2019

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Commentaires (1)

  • IL A CERTES DES OEUVRES VALABLES MAIS CELLES QUI DEVRAIENT ETRE EXPLIQUEES AU PUBLIC... JE LAISSE DEVINER...

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 01, le 01 octobre 2019

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