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À La Une - Entretien express

"La violence du régime Sissi n’empêchera pas la population de manifester"

Amr Magdi, chercheur pour l’ONG Human Rights Watch, répond aux questions de l’OLJ concernant la situation en Egypte.

Les forces de sécurité égyptiennes bloquant vendredi la route permettant d'accéder à la place Tahrir en Egypte. Photo AFP / Khaled DESOUKI

Vendredi dernier, des centaines d’Égyptiens ont bravé l’interdiction de manifester contre le pouvoir, réclamant à l’unisson la démission du président Abdel Fattah al-Sissi. A l’origine de ce mouvement, des accusations lancées par Mohammad Aly, homme d’affaires exilé en Espagne, qui accuse le régime de corruption. Depuis, la tension monte dans un pays gangrené par le chômage, la corruption et la violence d’État. Le régime s’est livré à plus de 2 000 arrestations depuis vendredi, selon l’ONG Human Rights Watch, faisant de cette vague d’arrestations la plus importante depuis le coup d’État militaire de 2013.

Le président Sissi a déclaré vendredi qu’il n’y avait "pas de raison de s’inquiéter". Amr Magdi, chercheur pour l’ONG Human Rights Watch, répond aux questions de l’OLJ concernant la situation en Égypte.

Quelles ont été les méthodes utilisées par le régime Sissi pour réprimer les manifestations ?

Tout d’abord, la répression consiste en des arrestations de masse. Les forces de police s’emparent des téléphones des personnes qu’elles interpellent et fouillent leur contenu multimédia ainsi que leurs comptes sur les réseaux sociaux. S’il y figure une quelconque image ou vidéo de la manifestation, ces personnes sont systématiquement arrêtées puis placées en détention. Nous suspectons que les détenus soient ensuite emmenés dans des lieux d’incarcération illégaux et dans les camps des forces de sécurité. Là, ils n’ont droit à aucun contact avec le monde extérieur. Quand ils sont enfin transférés vers les services de la sûreté de l'État égyptien, leurs droits ne sont pas respectés et ils ne peuvent pas communiquer avec leurs familles. Le régime censure tout moyen pouvant propager les images des manifestations. Nous avons déjà constaté plusieurs interruptions de l’accès à Internet au cours des derniers jours, notamment concernant l’utilisation de Twitter, de Messenger et de Facebook live. Il est donc probable que l’accès aux moyens de communication se détériore à nouveau dans les prochains jours. L’État a aussi lancé une importante campagne de désinformation visant à condamner les manifestations. Il y accuse les manifestants d’être des terroristes, des agents étrangers et des ennemis de la nation. Le gouvernement essaie d’effrayer les personnes qui hésitent à manifester ce vendredi. Cependant, s’il faut espérer qu’il n’y ait pas d’escalade lors des manifestations d’aujourd’hui, le régime de Sissi a déjà derrière lui une histoire sanglante concernant les moyens de répression contre ceux qui lui tiennent tête.

Parmi les nombreuses personnes arrêtées, on compte aussi des professeurs universitaires, des avocats et des personnalités politiques qui n’ont pas pris part aux manifestations, pourquoi ?

Nous parlons, selon les derniers recensements, de près de 2 000 arrestations. Cette vague d’incarcérations est la plus importante en Égypte depuis le coup d’État militaire de Sissi fin 2013. Les forces de l’ordre n’y arrêtent pas seulement les personnes ayant participé activement à des manifestations. Des Égyptiens, présents en marge de celles-ci, ou qui résident dans les rues où les manifestations ont pris place, sont aussi interpellés s’ils ont eu le malheur de prendre une simple photo du rassemblement. Des personnalités très respectées de la société égyptienne tels que Khaled Dawoud, ancien responsable du parti libéral d'opposition Al-Dostour, les professeurs universitaires Hazem Hosni et Hassan Nafaa ainsi que des avocats et des journalistes se sont aussi retrouvés incarcérés. Le régime agit de manière hystérique et ordonne l’interpellation de toute personne ayant voulu communiquer la moindre analyse ou soutien aux manifestations, que ce soit à la télévision ou sur les réseaux sociaux. Il tente par tous les moyens d’empêcher les manifestations d’avoir lieu et ne tolère plus la plus infime remise en cause de sa légitimité. Human Rights Watch est très inquiet quant à la possibilité que le régime utilise des armes létales pour réprimer les manifestations d’aujourd’hui. Certaines sources nous confient que le gouvernement aurait fait appel à des groupes potentiellement armés, fidèles au régime, pour disperser les manifestations.

Pensez-vous que les Égyptiens se rendront dans les rues aujourd’hui pour manifester, malgré la stratégie d’intimidation du régime ?

Sous couvert de la lutte contre les factions islamiques, le président Sissi a soutiré aux Égyptiens tous leurs droits fondamentaux depuis qu’il est au pouvoir. Cependant, malgré la dureté du régime, les mouvements de protestation continuent. L’usage de la violence n’empêchera pas la population de manifester, il serait contre-productif pour le régime et menacerait la stabilité du pays. Les Égyptiens n’ont pas abandonné leur rêve de vivre librement et de défendre leurs droits. Même si une violente répression armée stoppe les manifestations demain, de nouveaux mouvements protestataires réapparaîtront dans les semaines qui suivront. Les Égyptiens se rendront dans les rues aujourd’hui comme ils l’ont déjà fait par le passé. Ils iront manifester parce qu’ils ne peuvent plus supporter la situation désastreuse de l’Égypte au niveau politique comme sur le plan économique. Ils voient l’opportunité actuelle qu’ils ont de changer la situation et ils veulent la saisir.

Vendredi dernier, des centaines d’Égyptiens ont bravé l’interdiction de manifester contre le pouvoir, réclamant à l’unisson la démission du président Abdel Fattah al-Sissi. A l’origine de ce mouvement, des accusations lancées par Mohammad Aly, homme d’affaires exilé en Espagne, qui accuse le régime de corruption. Depuis, la tension monte dans un pays gangrené par le...

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