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Moyen Orient et Monde - L’écologie dans le monde arabe

À Bassora, un paradis perdu

Alors que des jeunes du monde entier, de San Francisco jusqu’à Kuala Lumpur, en passant par Berlin, faisaient la grève de l’école vendredi dernier pour implorer les dirigeants mondiaux de faire leurs « devoirs » sur le climat, la jeunesse arabe n’a pas vraiment répondu à l’appel. Sur 150 pays représentés, seuls 7 pays arabes se sont mobilisés et de façon tout à fait marginale. Si la cause écologique progresse dans le monde arabe, elle le fait moins rapidement qu’ailleurs et n’a pas encore complètement investi le domaine public. Ici, l’écologie ne fait pas gagner des élections (lorsqu’il y en a) et ne donne pas lieu à de grands débats intellectuels pour savoir comment répondre à ce qui constitue l’un des plus grands enjeux du XXIe siècle. « L’Orient-Le Jour » a souhaité comprendre les enjeux de l’écologie dans le monde arabe à travers une série d’articles, dont nous publions aujourd’hui le quatrième volet : un reportage réalisé cet été dans le sud de l’Irak, où l’écosystème autrefois exubérant se dégrade à vue d’œil et fait fuir une partie de sa population.


Des bouteilles en plastique et des épaves de bateau sur les rives de Chatt el-Arab, à Bassora, en Irak, le 19 juillet 2019. Alaa al-Marjani/Reuters

À Bassora, les canaux de la ville qui lui valaient autrefois le nom de Venise du Moyen-Orient ne sont plus que des sillons crasseux, bordés par une accumulation d’ordures à l’odeur pestilentielle. Au cœur de l’été brûlant, rares sont les passants qui osent encore flâner le long de ces serpents d’eau. En amont, ils se raccordent à Chatt el-Arab, estuaire des deux principaux fleuves d’Irak, devenu peu à peu l’enfant malade du pays. « Il y a désormais plus de bactéries que de poissons dans ces eaux ». Installé sur les berges de cette large rivière dans l’extrême sud irakien, le docteur en sciences de l’environnement Chukri al-Hassan s’offusque. Cela fait 10 ans qu’il travaille sur la dégradation de l’environnement à Bassora. Comme beaucoup d’habitants, il se rappelle encore d’une époque où il buvait l’eau de Chatt el-Arab à pleines mains. « Il y avait une vie marine incroyable et la rive est était recouverte de palmiers », se rappelle-t-il nostalgique, fixant au loin la petite dizaine d’arbres au garde-à-vous, derniers témoins d’une époque révolue depuis qu’une pluie d’obus s’est abattue ici dans les années 1980.Bassora connaît aujourd’hui une crise environnementale latente. Son écosystème unique, fort du mélange d’eau douce et d’eau salée dans la région, s’est détérioré au fil des guerres, de l’augmentation de la pollution et de la mauvaise gestion des gouvernements successifs. « Le résultat d’une multitude de facteurs dans toute la région », résume le docteur Hassan. Cheveux poivre et sel, bras croisés sur son ventre, il montre d’un hochement de tête une dizaine de chalutiers à moitié ensevelis de l’autre côté du fleuve. « Regardez juste ces épaves qui pourrissent dans ces eaux depuis des années, vous pensez que les autorités auraient l’idée de les retirer ? »


(Le premier volet de notre série : L’écologie dans le monde arabe : une cause qui progresse... à pas de tortue)


Crise sanitaire

Ce désastre écologique a culminé en drame sanitaire l’année dernière. À l’été 2018, la grande majorité des habitants de Bassora n’a plus eu d’accès à l’eau potable. « Le réchauffement climatique et les barrages en Iran ont asséché nos fleuves. Le sel est remonté du Golfe en quantité inédite dans notre rivière, tuant la plupart des cultures alentour et intoxiquant les habitants, parfois pour une simple toilette quotidienne », explique le docteur Hassan. Près de 120 000 hospitalisations ont été enregistrées dans la ville.

Fort d’analyses réalisées en fin d’année dernière, cet expert a constaté des niveaux de sel 20 fois supérieurs aux standards enregistrés habituellement dans l’eau de Chatt el-Arab. « Plus grave encore : j’ai eu la confirmation que des dizaines de virus, de parasites et de bactéries étaient présents dans ces eaux, y compris une bactérie à l’origine du choléra. » Selon lui, les multiples conduits d’évacuation d’où se déversent les eaux usées de la ville, directement dans l’eau du fleuve, sont en grande partie responsables de cette pollution et de ces contaminants. Aujourd’hui, Chatt el-Arab est toujours puisé et distribué aux habitants de Bassora. L’eau passe par des stations d’épuration insuffisamment équipées pour l’assainir totalement. Outre les milliers de contaminations, elle a également causé la destruction ou la dégradation de près de 90 % des terres agricoles alentour, selon un récent rapport de Human Rights Watch. Un coup de grâce pour les agriculteurs, dont beaucoup ont, depuis, mis la clé sous la porte.


(Le deuxième volet de notre série : Dans les pays du Golfe, l'écologie est une question plus existentielle qu’ailleurs)


Vers un exode de la population ?

Cet environnement insalubre fait fuir les habitants. Sadeq Yassine et Hamdia Ibrahim sont installés dans le quartier d’al-Baradiyah depuis plus de trente ans. Ils ont la soixantaine et élèvent trois jeunes enfants en bas âge. Originaires de la région, ils n’auraient jamais pensé vouloir un jour quitter leur domicile. « On réfléchit à aller à Bagdad depuis l’année dernière, c’est devenu trop difficile de vivre ici », déplore Hamdia, le visage fermé. Leur petit jardin ne forme plus qu’une triste étendue terreuse, où l’herbe jaunit et les plantes desséchées donnent déjà à leur habitation des airs d’abandon. « Tout est mort à cause de l’eau gouvernementale que j’ai utilisée récemment pour arroser », se désole Sadeq, les épaules basses. Impuissant face à la crise hydrique de l’année dernière, il s’est décidé à installer quatre imposants réservoirs d’eau à la place de ses plantations il y a quelques mois. « Chaque semaine, on achète de l’eau à des compagnies privées pour qu’elles remplissent ces citernes », explique-t-il. Elle sert à cette famille à se laver uniquement. Pour boire, Sadeq, Hamdia et leurs enfants ne consomment que des bouteilles d’eau. Dans la cuisine, un frigidaire est ainsi réservé à cet effet. Une organisation éprouvante et surtout coûteuse. « C’est un gros trou dans notre budget, mais on essaie de ne pas se plaindre car beaucoup d’habitants ne peuvent pas se le permettre ici », admet Hamdia.

Derrière son bureau, dans le souffle puissant et bruyant de son climatiseur, le directeur du département de l’eau à Bassora balaie de la main ces critiques. « Grâce aux fortes pluies, la situation s’est largement améliorée », déclare Zuhair Jawad Hashim derrière de fines lunettes rectangulaires qui viennent masquer ses cernes bien dessinés. Les pluies ont en effet été abondantes cette année, remplissant deux fois plus qu’en 2018 les réservoirs du pays. Mais pour les habitants de la région et les organisations internationales, cela n’endigue pas les problèmes liés au service d’approvisionnement, de traitement des eaux et des nouvelles sécheresses à prévoir. « Certains responsables politiques se contentent de mentionner les fortes pluies pour éviter d’aborder la crise de l’eau persistante de Bassora », écrit ainsi Human Rights Watch dans son dernier rapport. « Mais dans les années à venir, Bassora continuera de faire face à d’importantes pénuries d’eau et à la pollution, avec de graves conséquences si le gouvernement ne commence pas à investir dans des solutions durables ». Cette province riche en pétrole ne manque pourtant pas de moyens pour amorcer ces projets. « Ils sont en cours et ont été retardés par l’effort de guerre fourni au cours des années précédentes », se dédouane Zouhair Jawad Hachem. Dans cette région extrêmement corrompue de l’Irak, peu d’habitants comptent encore toutefois sur l’aide des autorités pour améliorer la situation. « Tout le monde sait ici que les pluies ne sont qu’un sursis et qu’il y a peu de chances pour que la situation s’améliore », affirme le docteur Hassan. Pour lui, une partie de la richesse de Bassora a déjà « en grande partie disparu l’été dernier ».



Le troisième volet de notre série 

La question de l’eau : source de conflits, pas de guerre


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À Bassora, les canaux de la ville qui lui valaient autrefois le nom de Venise du Moyen-Orient ne sont plus que des sillons crasseux, bordés par une accumulation d’ordures à l’odeur pestilentielle. Au cœur de l’été brûlant, rares sont les passants qui osent encore flâner le long de ces serpents d’eau. En amont, ils se raccordent à Chatt el-Arab, estuaire des deux principaux...

commentaires (1)

C'est une photo bien triste de ce delta 'Chatt el-Arab' c'est d'apres wikipedia le nom arabe de ce qui est en iranien (perse) Arvandroud le principal chenal du delta commun du Tigre et de l'Euphrate.

Stes David

18 h 43, le 26 septembre 2019

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Commentaires (1)

  • C'est une photo bien triste de ce delta 'Chatt el-Arab' c'est d'apres wikipedia le nom arabe de ce qui est en iranien (perse) Arvandroud le principal chenal du delta commun du Tigre et de l'Euphrate.

    Stes David

    18 h 43, le 26 septembre 2019

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