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Moyen Orient et Monde - L’écologie dans le monde arabe

I- L’écologie dans le monde arabe : une cause qui progresse... à pas de tortue

Alors que des jeunes du monde entier, de San Francisco jusqu’à Kuala Lumpur, en passant par Berlin, faisaient la grève de l’école vendredi dernier pour implorer les dirigeants mondiaux de faire leurs « devoirs » sur le climat, la jeunesse arabe n’a pas vraiment répondu à l’appel. Sur 150 pays représentés, seuls 7 pays arabes se sont mobilisés et de façon tout à fait marginale. Si la cause écologique progresse dans le monde arabe, elle le fait moins rapidement qu’ailleurs et n’a pas encore complètement investi le domaine public. Ici, l’écologie ne fait pas gagner des élections (lorsqu’il y en a) et ne donne pas lieu à de grands débats intellectuels pour savoir comment répondre à ce qui constitue l’un des plus grands enjeux du XXIe siècle. Le sommet pour le climat réunit aujourd’hui une soixantaine de chefs d’État à New York à l’Assemblée générale de l’ONU. L’occasion pour « L’Orient-Le Jour » de lancer une série d’articles sur la thématique de l’écologie dans le monde arabe, dont nous publions aujourd’hui le premier volet.


Des jeunes se sont réunis vendredi sur la place des Martyrs, à Beyrouth, en réponse à l’appel pour l’écologie lancé par l’activiste suédoise Greta Thunberg. Photo Nabil Ismael

« Le changement climatique ? C’est entre les mains de Dieu, que peut-on y faire ? » Cette phrase, Nouhad Awwad, activiste libanaise pour le climat, l’entend très souvent dans le monde arabe. Ici plus qu’ailleurs, la thématique écologique a du mal à s’imposer comme une priorité. « En Europe ou en Amérique du Nord, les gens sont beaucoup plus sensibilisés, ils font déjà des marches pour le climat, des manifestations. Ils connaissent l’impact de nos comportements, mais aussi celui des gouvernements et des grandes compagnies. Dans le monde arabe, on n’en est clairement pas là », résume à L’OLJ Julien Jreissati, chargé de campagne chez Greenpeace. « La culture de protection de l’environnement et de la rationalisation de l’utilisation des ressources qu’il y a dans certains pays européens n’existe pas encore dans le monde arabe. Il y a des volontés gouvernementales qui essayent de transformer les comportements, mais c’est difficile, c’est un processus de longue haleine », renchérit Camille Ammoun, consultant en politiques publiques.

Dans une région où la guerre est dans tous les esprits, où les libertés individuelles font défaut, où les perspectives d’emploi se font de plus en rares et où les gouvernements ne parviennent pas toujours à assurer le minimum à leurs citoyens, l’écologie apparaît souvent comme un luxe occidental, une problématique de « riches ». « Les gens sont de plus en plus avertis sur les questions écologiques, mais ils disent qu’ils ont d’autres priorités, comme la sécurité », rappelle Nouhad Awwad, qui fait partie de la branche libanaise du Arab Youth Climate Movement (AYCM).

Les pays du monde arabe sont pourtant particulièrement affectés par les bouleversements climatiques actuels et à venir. Le MENA (Middle East & North Africa) fait partie des régions du monde qui devraient être les plus touchées par une hausse de la température. « Les températures devraient augmenter dans la région deux fois plus que la moyenne mondiale, ce qui aura pour conséquence de rendre des zones inhabitables et réduira les ressources déjà limitées en eau et en agriculture », explique Sagatom Saha, un analyste indépendant en politique énergétique, également contacté par L’OLJ. Selon les statistiques de l’ONU, d’ici à 2025, l’approvisionnement en eau dans la région arabe ne représentera plus que 15 % de son niveau en 1960. Des données alarmantes qui devraient interpeller, questionner, faire réagir et même inquiéter.

L’écologie et le changement climatique sont toutefois loin de figurer en tête de la liste dans les agendas des différents pays de la région. La grande part des discours des gouvernements et des partis politiques continue de se focaliser sur la sécurité des territoires et sur les enjeux économiques. « Le Moyen-Orient est confronté à de nombreux problèmes urgents, notamment des crises de stabilité politique et de sécurité fondamentale, mais le changement climatique est sans doute la préoccupation la plus grave », argue Sagatom Taha. Les médias arabes, qui restent pour leur grande majorité contrôlés par les autorités, ne traitent la question que sous le prisme des grandes négociations internationales en faveur du changement climatique. « Les articles locaux se font rares, notamment du fait du manque de journalistes spécialisés sur la question environnementale », estime Nouhad Awwad. « Le fait d’ignorer le changement climatique dans la région a pourtant pour conséquence d’exacerber les problèmes existants », rappelle Sagatom Taha. « Les flux migratoires pourraient augmenter, l’agriculture deviendra plus difficile et il y aura des luttes pour l’eau », poursuit l’expert.


(Lire aussi : 2015-2019 devrait être la période la plus chaude enregistrée depuis 1850)



Priorité à la pédagogie
Pour pallier à ce qui, dans la majorité des cas, s’apparente à une absence de politique publique en matière d’environnement, les ONG et les sociétés civiles se mobilisent. L’association Arab Youth Climate Movement (AYCM) est née au Caire, avant la tenue de la COP18 à Doha en 2012, et aurait fait depuis plusieurs petits, comme au Qatar et en Arabie saoudite. Ces jeunes activistes de la région sont souvent invités à s’exprimer à l’ONU et espèrent infléchir les politiques environnementales régionales. « Le rôle de la société civile est très important. Ils sont plus percutants que les organes d’État au niveau de la sensibilisation car ils sont plus proches des citoyens », dit Mohammad Sefiani, maire de Chefchaouen, ville touristique, mais surtout écologique, située au nord du Maroc. « Il y a beaucoup d’association, dont Greenpeace, qui travaillent dans les pays arabes. On constate un progrès, certes assez lent et modeste, mais un progrès quand même », soutient Julien Jreissati. « Il y a des initiatives brillantes de la part des sociétés civiles de la région qui travaillent au niveau international », relève pour sa part Nouhad Awwad.

Tous les activistes interrogés insistent sur la nécessité de faire de la pédagogie. « Il y a beaucoup plus de sensibilisation, de projets, de rapports, et ça s’active sur les réseaux sociaux, mais ce n’est pas encore “main stream”. Il faut que l’écologie soit un sujet plus traité par les médias, qu’il soit discuté dans les cafés… » estime Julien Jreissati.

Les effets du dérèglement climatique se ressentent déjà au quotidien, mais beaucoup ne parviennent pas à en définir les causes ni à entrevoir des solutions. « Les gens n’arrivent pas à mettre des mots dessus. Un agriculteur nous dit par exemple que ses vaches ou ses champs sont moins fertiles, mais il n’est pas conscient de ce qui arrive réellement », confie Nouhad Awwad. Amener les populations à s’intéresser à la question écologique doit se faire en vulgarisant le langage employé pour la traiter, selon les activistes. « Quand on parle de changement climatique et de son impact, tels que la désertification, les tempêtes, le stress hydrique, on emmène les gens vers quelque chose de plus élitiste, plus scientifique. Or, il faut simplifier le plus possible afin qu’ils s’aperçoivent qu’ils peuvent agir directement », poursuit Julien Jreissati. La lutte contre le plastique par exemple est un thème tangible, donc porteur. « La thématique du plastique, c’est simple, plus populaire », dit l’activiste de Greenpeace. En témoignent les nombreuses campagnes et initiatives en ce sens qui fleurissent à travers la région, notamment au Liban, confronté à une grave crise des déchets depuis 2015. « Le Maroc, en revanche, est en avance sur ce sujet et a interdit les sacs plastiques », ajoute Julien Jreissati. La loi « zéro mika » (zéro déchet), qui interdit l’utilisation et la production des sacs en plastique, a été votée quelques semaines avant la tenue de la COP22 qui a eu lieu à Marrakech en novembre 2016.



Le chef de l'ONU dans la lumière pour le climat, dans l'ombre pour les conflits



Passer à l’acte
Le tableau général n’est pas rose, mais les motifs d’espoirs existent. La cause écologique semble en effet progresser plus vite depuis quelques années, du fait notamment de plusieurs initiatives locales mais aussi gouvernementales. « Il ne suffit pas d’envoyer des messages, il faut passer à l’acte pour inciter les gens à nous suivre », explique Mohammad Sefiani, expliquant que les bâtiments municipaux de la ville marocaine dont il est maire se sont dotés de panneaux solaires et que les fonctionnaires roulent à présent à vélo électrique. La ville bleue à flanc de montagne, du nom de ses murs peints, est située dans le rif marocain et fait montre d’exemple. C’est en 2010 que le conseil municipal et la société civile s’engagent de manière concrète afin que la ville devienne écologique. « Nous sommes convaincus que l’écologie et le développement durable sont des thèmes importants aux niveaux local, national et international », martèle Mohammad Sefiani, joint par téléphone par L’OLJ. Sa détermination et ses actions en faveur de l’environnement l’ont propulsé cette année dans le top 100 des personnalités les plus influentes dans le monde pour le climat.

À 7 500 km de là, aux Émirats arabes unis, le programme national Vision 2021 est axé sur l’amélioration de la qualité de l’air, la préservation des ressources en eau, l’augmentation de la contribution de l’énergie propre et la mise en œuvre de plans de croissance verte. Cet État du Golfe est leader arabe sur la question environnementale, dont sa survie dépend. « Il y a un travail incroyable effectué par le gouvernement émirati, notamment au niveau des programmes scolaires, et une sensibilisation accrue de la jeunesse », explique Nouhad Awwad. Les dirigeants émiratis essaient de transformer les comportements. Par exemple, jeter des détritus par les fenêtres des voitures est passible d’une amende de 1 000 dirhams (272 dollars) et de 6 points noirs sur son permis de conduire. En 2016, les Émirats arabes unis ont rebaptisé leur ministère de l’Environnement et de l’Eau en ministère du Changement climatique et de l’Environnement. « Les pays arabes du Golfe veulent participer aux enjeux de l’agenda international pour des questions de perception. Il leur fallait améliorer leur image qui n’est pas des plus vertes », nuance Camille Ammoun. D’autant que, parmi tous les pays arabes, ceux-ci sont les plus pollueurs...


Les 5 dernières années devraient être les plus chaudes jamais enregistrées

Les cinq années 2015 à 2019 devraient constituer la période la plus chaude jamais enregistrée, après un été 2019 caniculaire, a rapporté hier l’ONU, à la veille d’un sommet climat en présence d’une soixantaine de dirigeants mondiaux à New York. La température moyenne pour la période 2015-2019 devrait être plus élevée de 1,1°C par rapport à la période 1850-1900, indique ce rapport publié par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et qui fournit l’état des lieux le plus actuel sur le climat de la Terre. Les dernières données confirment la tendance des quatre années précédentes, qui étaient déjà les plus chaudes jamais enregistrées, c’est-à-dire depuis 1850. On savait aussi que juillet 2019, marqué par plusieurs canicules, notamment en Europe, avait battu le record absolu de température.

Charbon, pétrole et gaz ont poursuivi leur croissance en 2018. Les émissions de gaz à effet de serre ont encore augmenté, et pour 2019, elles seront « au moins aussi élevées » qu’en 2018, prévoient les scientifiques qui ont planché sur ce rapport pour l’ONU. La concentration de CO2 dans l’atmosphère devrait atteindre un nouveau pic à la fin de l’année 2019, selon des données préliminaires, soit 410 parties par million. Dans l’état actuel des engagements des pays pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, la planète sera plus chaude de 2,9 à 3,4°C d’ici à 2100. Il en ressort que les efforts anticarbone des pays doivent être multipliés par cinq pour contenir le réchauffement à +1,5°C, comme le prévoit l’accord de Paris de 2015. Ou au minimum par trois pour s’en tenir à +2°C, la limite maximale stipulée par le texte. En réalité, le réchauffement réel pourrait être encore plus grand, selon des modélisations climatiques plus récentes, comme celle d’une équipe française qui prévoit +7°C dans un scénario du pire.


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« Le changement climatique ? C’est entre les mains de Dieu, que peut-on y faire ? » Cette phrase, Nouhad Awwad, activiste libanaise pour le climat, l’entend très souvent dans le monde arabe. Ici plus qu’ailleurs, la thématique écologique a du mal à s’imposer comme une priorité. « En Europe ou en Amérique du Nord, les gens sont beaucoup plus sensibilisés, ils font...

commentaires (3)

Sujet brûlant A multiples facettes La gestion des ressources en eau La gestion de la production d'électricité propre (tant que possible) La gestion des déchets ( et leur minimalisation ) La promotion d'une "culture populaire" d'économies environnementales La "vulgarisation" de gestes de base de la vie courante susceptibles de mieux protéger notre environnement...tant local que mondial... Tout cela nécessiterait des "études sérieuses, apolitiques, et publiées sous forme accessible au grand public, ces prix annuels pourraient être très facilement Une suggestion: créer des "prix pour meilleure étude " sur chacun de ces sujets, ces prix seraient finances par une fou latitude de riches et gères par les universite

Chammas frederico

18 h 02, le 23 septembre 2019

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Commentaires (3)

  • Sujet brûlant A multiples facettes La gestion des ressources en eau La gestion de la production d'électricité propre (tant que possible) La gestion des déchets ( et leur minimalisation ) La promotion d'une "culture populaire" d'économies environnementales La "vulgarisation" de gestes de base de la vie courante susceptibles de mieux protéger notre environnement...tant local que mondial... Tout cela nécessiterait des "études sérieuses, apolitiques, et publiées sous forme accessible au grand public, ces prix annuels pourraient être très facilement Une suggestion: créer des "prix pour meilleure étude " sur chacun de ces sujets, ces prix seraient finances par une fou latitude de riches et gères par les universite

    Chammas frederico

    18 h 02, le 23 septembre 2019

  • Le problème avec cet article me semble tout d'abord de parler de "monde arabe". Le "monde arabe" est lâchement défini ici comme le MENA (Middle East & North Africa). Aussi sur la photo on voit déjà le paradoxe, les photos montrent des pancartes en anglais "Friday for future" et "Arabs time to lead!", donc un peu logique qu'on l'apperçoit comme une problématique occidentale vue l'emploie de l'anglais.

    Stes David

    11 h 23, le 23 septembre 2019

  • QUASI INEXISTANTE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 22, le 23 septembre 2019

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