Les débats, au Parlement hier, ont rapidement dérapé. Photo Hassan Assal
La séance législative qui s’est tenue hier au Parlement a ouvert d’une manière insoupçonnée un nouveau chapitre du débat autour des prérogatives du Premier ministre : focalisés sur le « recouvrement » des prérogatives du « président fort » confisquées par Taëf au profit du Premier ministre, les députés du Courant patriotique libre (CPL) ont paru remettre en question la qualité de ce dernier à représenter le gouvernement.
Il a suffi pour cela que le Premier ministre Saad Hariri demande au président du Parlement Nabih Berry le retrait de l’ordre du jour d’un projet de loi ouvrant des crédits supplémentaires (d’une valeur de 94,4 millions de dollars) pour parachever des projets d’infrastructure entamés en 2014, dont une grande partie concerne le Mont-Liban.
« Le projet avait été soumis par le gouvernement au Parlement. Le Premier ministre a le droit d’en demander le retrait et le président de la Chambre doit exécuter la demande du cabinet », a insisté Nabih Berry.
Le député Ibrahim Kanaan a admis que « ce projet a été proposé par le gouvernement qui peut le retirer ». Il a toutefois contesté les effets de ce retrait, qui « coûtera au Trésor public en clauses pénales beaucoup plus que ce qui a été dépensé sur les projets ». Relayé par les députés Samy Gemayel (Kataëb) et Eddy Abillama (Forces libanaises), il a glissé une remarque à caractère confessionnel, sur le fait que « la plupart des projets concernent le Mont-Liban », laissant entendre que si des régions d’intérêt électoral pour Saad Hariri, et donc à majorité sunnite, étaient concernées, Saad Hariri se serait abstenu de retirer le décret en question.
Réponse de Nabih Berry : « Que veux-tu de plus que de te dire que le groupe Amal défend le projet ? Il faut respecter les règles constitutionnelles (de séparation des pouvoirs). »
En vertu du décret qui a été retiré, le Mont-Liban, précisément le Metn, est concerné par trois grands projets : le projet de tronçon Mar Chaaya-Atchané-Aïn Aalak; l’ouverture d’une route Baabdat-Mtein-Bchellama ; et l’exécution de la troisième étape de la route périphérique Roumieh-Beit-Méry en la reliant à la route principale menant vers Aïn Saadé. Mais les projets couvrent aussi la ville de Tyr, fief du mouvement Amal, concernée par des projets relatifs à l’habilitation de réseaux d’égout et de restauration du sérail de Tyr, ainsi que Nabatiyeh et Baalbeck, considérés comme des bastions du Hezbollah.
(Lire aussi : Le CPL veut maintenir le gel des recrutements dans la fonction publique)
Altercation Kanaan-Hajjar
Le débat était en principe clos, et tandis que progressait l’examen des neuf autres projets de loi soumis par le cabinet qui en approuvera huit, l’examen d’un prêt supplémentaire de 8 millions de dollars pour la réhabilitation du barrage de Brissa à Denniyé, région d’intérêt électoral pour Saad Hariri, a été l’occasion pour le CPL de rebondir sur le premier point. « Le taux d’intérêt sur ce prêt est de 2 %, ce qui est très faible, si vous avez les 95 millions pour les projets d’infrastructure, alors débloquez-les », a dit Saad Hariri à l’adresse des aounistes.
Assis à sa gauche, le ministre de la Défense Élias Bou Saab s’est levé pour prendre la parole, en s’excusant d’avance auprès du Premier ministre pour ce qu’il va dire. « Ce que vais dire ne va pas plaire au Premier ministre, mais les projets de loi soumis à la Chambre… ».
À peine M. Bou Saab avait-il pris la parole, que Saad Hariri s’est hâté de se retirer de la salle, anticipant ses propos. Il a été suivi par le ministre des Finances Ali Hassan Khalil, qui a retenu le député Alain Aoun d’en faire autant. À Ibrahim Kanaan qui persistait à dire que « le Premier ministre a le droit de retirer les projets de loi, mais seulement au nom du gouvernement », Nabih Berry a cherché à couper court à ce débat sensible, puisque touchant à l’équilibre instauré par la Constitution : « Lorsque le Premier ministre parle, il représente le gouvernement, lorsque je parle, je m’exprime au nom du Parlement réuni, et lorsque le président de la République parle il le fait au nom de tous. Ces propos sont définitifs et ne supportent pas d’être pris à la légère. »
Le député Marwan Hamadé est lui aussi intervenu pour dire que « personne ne peut toucher aux prérogatives du Premier ministre, surtout en cette période ». « Personne ne remet en question ces prérogatives », a rétorqué Ibrahim Kanaan. Mais les tensions étaient montées au point de dégénérer en violente altercation entre le député Mohammad Hajjar (Futur) et Ibrahim Kanaan, se sommant mutuellement de se taire et de quitter la salle. Il a fallu que des députés se mobilisent pour les empêcher d’en venir aux mains. Chamel Roukoz du côté de Mohammad Hajjar, Simon Abiramia du côté d’Ibrahim Kanaan, que Georges Adwan a ensuite conduit à l’extérieur pour le calmer. Dans leurs déclarations à la presse, les députés du CPL ont affirmé seulement contester une atteinte au développement équitable des régions.
Proposition de Bassil pour la forme…
C’est pourtant au motif de défendre la parité – ignorée lorsqu’il s’est agi de remettre en cause les prérogatives du Premier ministre – que le chef du Courant patriotique libre, le député Gebran Bassil, a présenté une proposition de loi réclamant la suppression du dernier alinéa de l’article 80 de la loi de finances de 2019, adoptée le 31 juillet, lequel préserve les droits des lauréats de la fonction publique toujours non affectés à des postes, sachant que le concours en question remonte à deux ans et que parmi les admis qui en bénéficient, plus de 85 % sont de confession chiite. Seul à prendre la parole, le député César Abi Khalil a appelé le Parlement à approuver le caractère de double urgence de la loi, à quelques semaines de la séance parlementaire de débat autour de l’article 95 de la Constitution. Ses propos sont restés lettre morte, comme l’avaient prévu d’ailleurs ceux qui suivent de près le dossier, voyant dans la proposition de M. Bassil une démarche de pure forme, pour ne pas dire « populiste ».
Pour leur part, les Forces libanaises ont paru avoir été ignorées par leurs collègues dans la défense de leur proposition de loi visant à rétablir le mécanisme de nominations des fonctionnaires de première catégorie, qui avait été mis en œuvre en 2010.
(Lire aussi : Nominations : les FL passent à l’acte)
L’Université libanaise
La victoire des FL a été illustrée par l’adoption d’une loi pour le transfert des lignes de crédit prévues par la Banque de l’habitat pour les subventions accordées aux organisations venant en aide aux personnes handicapées. « Cela signifie une augmentation de 35 milliards de livres libanaises pour les organisations parrainées » par le ministère, s’est félicité le ministre des Affaires sociales Richard Kouyoumjian, via son compte Twitter. Il a poursuivi en remerciant « le président du Parlement Nabih Berry et les députés Yassine Jaber (proche du mouvement Amal) et Pierre Bou Assi (Forces libanaises), ainsi que tous les députés qui ont aidé à faire adopter cette loi ».
La proposition de loi autorisant le cabinet à construire un tunnel reliant le littoral de Beyrouth à Qaa a été adoptée malgré sa formulation très approximative, qui en a fait la risée de plusieurs parlementaires. Il n’est pas dit par exemple où commence exactement le tunnel. Si la loi a été votée, c’est après le rajout d’un paragraphe à l’initiative non déclarée du député de la Baalbeck-Hermel Jamil Sayyed, obligeant le gouvernement à soumettre au Parlement dans un délai d’un an les détails de ce projet.
A également été approuvée après amendement une proposition de loi défendue par le ministre de l’Éducation Akram Chehayeb concernant l’ajout de cinq ans de travail dans le calcul des pensions de retraite des professeurs de l’UL ayant passé au moins quinze ans en service (plutôt que 20 ans, selon la version précédente).
La séance législative qui s’est tenue hier au Parlement a ouvert d’une manière insoupçonnée un nouveau chapitre du débat autour des prérogatives du Premier ministre : focalisés sur le « recouvrement » des prérogatives du « président fort » confisquées par Taëf au profit du Premier ministre, les députés du Courant patriotique libre (CPL) ont paru...
commentaires (9)
La langue francaise est mal utilisée au liban : on confond les mots avec leurs opposés directs: exemple: responsable, au pouvoir, honnête et bien d'autres..
Wlek Sanferlou
19 h 29, le 25 septembre 2019