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Liban - Récit

« Nous devons atterrir, je répète nous devons atterrir à Beyrouth. Ils menacent de tuer les passagers »

Jamais un détournement d’avion n’avait reçu une telle couverture médiatique internationale. Sammy Ketz, directeur du bureau de l’Agence France Presse à Beyrouth à l’époque, raconte à L’Orient-Le Jour le détournement du vol 847 de la TWA en juin 1985, revenu dans l’actualité avec l’arrestation, jeudi dernier, du journaliste libanais Mohammad Saleh, par les autorités grecques pour son implication présumée dans cette affaire. Saleh a été libéré lundi soir, a annoncé la diplomatie libanaise. Retour sur le détournement du vol 847 qui, par certains côtés, avait un caractère surréaliste.

Détournement du Boeing de la TWA – date 22 juin 1985. Photo d’archives Georges Semerdjian

Et de trois. Fin juin 1985, trois avions de ligne sont détournés sur ou à partir de Beyrouth devenu le haut lieu de la piraterie aérienne. Quand l’informateur à l’aéroport téléphone au bureau de l’AFP pour nous dire qu’un avion de la TWA fait route sur la capitale libanaise, les journalistes ne le croient pas. « Tu sais, c’est une mauvaise plaisanterie, deux ça suffit. Trouve autre chose de plus drôle », assène le journaliste qui s’apprête à raccrocher. « Mais c’est vrai, hurle-t-il, et cette fois c’est la TWA », une compagnie mythique que l’on voit dans tous les films américains avec de superbes hôtesses et des pilotes virils et blonds en général, aujourd’hui disparue.

Il faut dire que nous avons des excuses : il y a eu un avion de la compagnie jordanienne détourné pendant 28 heures avant que les pirates ne le fassent exploser après avoir posé souriant pour une photo devant l’appareil et serré la main de l’équipage. Une atmosphère surréaliste, car après la destruction de l’appareil, les pirates sont partis tranquillement rejoindre leur famille dans la banlieue sud à la lisière de l’aéroport. Puis un Palestinien a détourné un avion de la MEA qui se rendait à Chypre.

L’atmosphère est glauque à Beyrouth. Le mouvement chiite Amal essaie de déloger par la force des camps de Sabra et Chatila les Palestiniens, déjà traumatisés par les massacres commis trois ans plus tôt par les milices chrétiennes, et les enlèvements d’Occidentaux par le Jihad islamique, couverture militaire du Hezbollah, se multiplient.

14 juin 1985. Le vol 847 de la compagnie américaine TWA qui avait quitté Athènes pour Rome avec huit membres d’équipage et 145 passagers à bord, dont 85 Américains, approche de l’aéroport de Beyrouth. Le détournement va durer 17 jours avec une série d’allers-retours.

Le photographe de l’AFP se rend à l’aéroport et va prendre une photo historique. Un pirate de l’air, barbu et les yeux hallucinés, tient en joue le pilote John Testrake. Ce dernier va faire preuve d’un sang-froid incroyable avec toujours un sourire aux lèvres. Il est mort en 1996 à 68 ans d’un cancer.

C’est lui qui lancera ce message à la tour de contrôle capté par tous les journalistes. « Nous devons atterrir, je répète nous devons atterrir à Beyrouth. Ils menacent de tuer les passagers. Il nous faut du kérosène. Ils frappent les passagers. »

Un des passagers, de 24 ans, Robert D. Stethem, un plongeur de l’US Navy, est exécuté d’une balle dans la tête et son corps jeté sur le tarmac. Un autre passager a plus de chance. Le chanteur de variétés grec Demis Roussos est libéré après quatre jours, mais restera profondément traumatisé. Il est mort en 2015.

L’avion repart vers Alger pour revenir dans la nuit. L’adjoint du bureau de l’AFP, Patrick Rahir, raconte dans un blog dix ans plus tard comment « Amal a détourné à son profit le détournement ».



(Lire aussi : Le journaliste Mohammad Saleh libéré, Athènes s'excuse)



« Ils regardent la télévision »
Organisé d’abord par le Hezbollah, proche de l’Iran, qui réclame la libération de 700 prisonniers libanais et palestiniens détenus dans les prisons israéliennes, l’affaire est reprise en main par son rival chiite, le mouvement Amal de Nabih Berry, aujourd’hui président du Parlement et à l’époque ministre de la Justice. Il fait monter neuf miliciens de son parti dans l’avion pour encadrer les deux premiers pirates initiaux du Hezbollah.

Après deux allers-retours à Alger, l’appareil s’immobilise à Beyrouth et là se déroulent des scènes extravagantes. Cela devient un détournement familial. Les pirates de l’air se sentent chez eux, comme à la maison. Ils profitent de cette « escale » pour aller rendre visite à des amis et à des parents dans la banlieue sud. L’un d’eux se plaint de la lenteur pour obtenir son dîner à bord. « J’aurais eu tout le temps de sortir faire le marché, rentrer chez moi, cuisiner et préparer le repas pour tous ceux qui se trouvent à bord », dit-il. Un autre réclame qu’on laisse son frère monter à bord.

Au 6e jour, ou plutôt dans la nuit, alors que les miliciens ont chassé les journalistes, les otages sont sortis de l’avion et Amal les répartit dans des maisons de la banlieue sud, son fief.

En attendant, tout aussi ahurissant, l’équipage répond de son cockpit aux questions d’un petit groupe de journalistes. « Dites à mes proches de ne pas… trop s’inquiéter », déclare le copilote Phil Mareska. Le chef du bureau politique d’Amal, Akef Haïdar, assure avec un humour au second degré : « Les passagers discutent toute la journée avec ceux qui les gardent. Ils sont très intéressés par le chiisme et regardent la télévision. »

Les journalistes qui se trouvent dans la tour de contrôle assistent à toutes les discussions. Un médecin est appelé, car le commandant de bord souffre de maux de ventre. Un pirate crie dans le micro : « Apportez de la nourriture américaine pour l’équipage, ils ne supportent pas les plats libanais, c’est ce que dit le médecin. » Une autre demande s’il peut utiliser un avion léger se trouvant sur le tarmac pour aller voir sa famille dans la plaine de la Békaa et revenir.

Durant toute la prise d’otages, les avions des autres compagnies atterrissent et décollent de l’aéroport. L’affaire se dénoue avec la promesse d’Israël de libérer plus de 700 prisonniers libanais.

Avant de les conduire à Damas, Amal invite tous les passagers à un dîner dans un hôtel huppé, le Summerland. Et comble du cynisme ou signe de l’hospitalité orientale, un responsable du mouvement déclare avant de libérer les otages : « Nous espérons vous revoir au Liban. »



Pour mémoire

Il y a trente ans, le détournement du vol 847 de la TWA

L’un des pirates de la TWA, en 1985, tué au Pakistan

Un pirate de l’air libanais, évadé de Suisse, arrêté au Maroc

Un pirate de l'air libanais condamné à mort par contumace 

Et de trois. Fin juin 1985, trois avions de ligne sont détournés sur ou à partir de Beyrouth devenu le haut lieu de la piraterie aérienne. Quand l’informateur à l’aéroport téléphone au bureau de l’AFP pour nous dire qu’un avion de la TWA fait route sur la capitale libanaise, les journalistes ne le croient pas. « Tu sais, c’est une mauvaise plaisanterie, deux ça suffit....

commentaires (7)

Le Istez aurait donc tout fait et finit président à vie. Chapeau!

Onaissi Antoine

23 h 55, le 24 septembre 2019

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Commentaires (7)

  • Le Istez aurait donc tout fait et finit président à vie. Chapeau!

    Onaissi Antoine

    23 h 55, le 24 septembre 2019

  • Assez de parler de théorie du complot ou de "sujets du passé" ! Assez de négationnisme ! Ces criminels contre l'humanité et contre le Liban devraient avoir HONTE d'EUX-MEMES au lieu d'accuser les autres !

    de Tinguy Corinne

    21 h 56, le 24 septembre 2019

  • Ressortir ce dossier est-Il pur coïncidence dans le contexte actuel? Un jeune américain abattu et balancé par la porte de l’avion sur le tarmac.... Certains vont-ils passer à la caisse?

    LeRougeEtLeNoir

    14 h 02, le 24 septembre 2019

  • ...""Les journalistes qui se trouvent dans la tour de contrôle assistent à toutes les discussions. Un médecin est appelé, car le commandant de bord souffre de maux de ventre. Un pirate crie dans le micro : « Apportez de la nourriture américaine pour l’équipage, ils ne supportent pas les plats libanais, c’est ce que dit le médecin. » Une autre demande s’il peut utiliser un avion léger se trouvant sur le tarmac pour aller voir sa famille dans la plaine de la Békaa et revenir."" C'est hallucinant tout ce que je viens de lire, de l'humour noir. L'histoire ne dit pas si un film est inspiré de ce tragique ""fait divers"". A l'époque le taboulé n'était pas à la mode ... Et l'autre pour faire juste un aller-retour avec un petit avion pour voir sa famille, quand ? En plein détournement ! Historique !

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    13 h 52, le 24 septembre 2019

  • On a plus de sujet actuel , pour nous sortir des sujets du passé ???????? En quelque sorte on nous fait les fonds de tiroir . lol.

    FRIK-A-FRAK

    11 h 36, le 24 septembre 2019

  • Ce pays ridicule qui est le nôtre... Quand on pense que certains se choquent lorsqu'on les accuse de terrorisme.

    Naji KM

    10 h 10, le 24 septembre 2019

  • Un récit hallucinant : sans doute le premier à rapporter des infos et des détails qui n'avaient pas filtré jusque là et qui entachent sérieusement la respectabilité du mouvement Amal notamment.

    Marionet

    07 h 26, le 24 septembre 2019

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