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Liban - Distinction

De jeunes chercheuses lauréates du Levant ambitionnent de briser les stéréotypes

Le programme régional L’Oréal-Unesco pour les femmes dans le domaine de la science récompense six femmes arabes dont deux Libanaises.

Tamara Salloum (Liban), la Dr Nouf Mahmoud (Jordanie), Inas al-Khafaji (Irak), la Dr Sawsan Aboucharkh (Palestine), Laura-Joy Boulos (Liban) et la Dr Nidaa Ababneh (Jordanie). Photo DR

Six jeunes chercheuses arabes, dont deux Libanaises, Laura-Joy Boulos et Tamara Salloum, ont été récompensées dans le cadre du programme régional de L’Oréal-Unesco intitulé « Pour les femmes dans le domaine de la science », organisé en partenariat avec L’Oréal Levant et le Conseil national de la recherche scientifique au Liban (CNRS-L). Les autres lauréates sont les Jordaniennes Nidaa Ababneh et Nouf Mahmoud, la Palestinienne Sawsan Aboucharkh et l’Irakienne Inas al-Khafaji. Quatre des lauréates ayant déjà obtenu leur doctorat ont reçu le prix des études postdoctorales qui équivaut à 10 000 euros, alors que les deux autres doctorantes ont reçu un prix qui équivaut à 6 000 euros.

Dans un monde arabe où le pourcentage des femmes travaillant dans le domaine de la recherche scientifique varie entre 29 et 30 % seulement, avec des écarts assez importants entre un pays et un autre, ces six chercheuses se battent bec et ongles pour réaliser leurs rêves. Selon les chiffres de l’Observatoire national pour la femme dans la recherche, basé au CNRS-L, 60 % des doctorants au Liban sont des femmes. Qu’est-ce qui explique donc qu’elles ne représentent plus que 40 % des professeurs et 20 % des doyens, sachant que seules quatre petites universités sont présidées par des femmes sur un total de 47 ?

Lors de la cérémonie de remise des prix organisée jeudi dernier à l’AUB, le directeur de L’Oréal Levant, Philippe Patsalides, a précisé que « la présence des femmes dans la sphère publique, politique et économique a nettement progressé ces dernières années, mais que certaines sphères résistent encore, notamment dans le monde scientifique ». Pour remédier à ce problème, M. Patsalides a appelé les boursières à partager leurs histoires, leurs parcours et découvertes afin d’encourager plus de femmes talentueuses à croire en leur avenir, à exprimer tout leur potentiel pour changer la face de la science et la face du monde.

De son côté, le président du CNRS-L, Mouïne Hamzé, secrétaire général du Conseil national de la recherche scientifique-Liban (CNRS-L) et président du jury, a mis l’accent sur l’importance de la participation de la femme arabe dans le développement de la science. « La contribution effective de la femme dans le domaine de la science n’est pas un luxe mais une nécessité, a-t-il insisté. Soutenir les chercheuses contribue à briser les tabous et les stéréotypes quant aux rôles sociaux de l’homme et de la femme. L’objectif final étant l’égalité entre les deux sexes. »


L’accès aux postes décisionnels
Interrogée par L’Orient-Le Jour sur les obstacles que rencontrent les chercheuses dans le monde arabe, la lauréate Laura-Joy Boulos évoque la disparité entre le nombre élevé de femmes doctorantes ou professeures et le nombre réduit de femmes ayant accédé à des postes décisionnels. La chercheuse qui œuvre pour la construction de ponts entre la neuroscience d’une part et la psychologie et l’intelligence artificielle d’autre part, dénonce les considérations que peuvent avoir les hommes envers les femmes chercheuses : « Il s’agit de clichés et de stéréotypes concernant l’image de la femme. Aux yeux de la société, la femme est soit très studieuse, soit elle est jolie et fait de la recherche sur des sujets légers et sans grande importance. » Laura-Joy Boulos note dans ce sens que même les femmes accordent parfois moins d’importance à des professeurs femmes qu’à leurs collègues hommes.

La lauréate Sawsan Aboucharkh abonde dans le même sens : « Les femmes professeures sont très peu nombreuses à l’université et elles sont souvent perçues comme n’étant pas à la hauteur de ce poste. » Cette chercheuse, qui développe des nanocapsules censées cibler les cellules cancéreuses sans nuire aux autres cellules, affirme que ces obstacles constituent à ses yeux une motivation pour se frayer son propre chemin dans le monde de la recherche scientifique.

Dans ses recherches, l’Irakienne Inas al-Khafaji développe, elle aussi, des médicaments pharmaceutiques censés réduire les effets secondaires des traitements anticancer. La lauréate affirme avoir choisi de travailler sur ce sujet au vu du nombre croissant de personnes atteintes de cancer.

Ces six jeunes femmes chercheuses font preuve d’une grande audace dans leur choix de sujets innovateurs. Ainsi, Nidaa Ababneh explore de nouvelles technologies de modification de gènes dans des cellules vivantes, afin de trouver un traitement prometteur pour les maladies neuromusculaires héréditaires. Si Mme Ababneh n’a pas rencontré de problèmes d’ordre discriminatoire, elle assure que « la discrimination est bel et bien présente dans les universités, les laboratoires et dans le domaine en général, surtout au niveau de l’accès aux postes. » Selon la lauréate Nouf Mahmoud, la femme dans le domaine de la science doit faire un double effort pour trouver sa place, parce qu’elle a d’autres rôles à assumer en tant qu’épouse et mère de famille.


L’importance du soutien moral
Pour les six lauréates, le manque de ressources financières constitue le plus grand obstacle à leurs travaux de recherche. Mais cet obstacle affecte autant les travaux des hommes que ceux des femmes. Le manque de soutien moral n’en reste pas moins l’obstacle affectant les femmes à titre exclusif. C’est pour cela que les boursières reconnaissent presque à l’unanimité l’importance du soutien que peuvent leur apporter leurs familles et leurs collègues à l’université. « C’est mon mari qui m’apporte le plus grand soutien », confie Mme Mahmoud qui a poursuivi ses études après avoir fondé sa famille. Et de poursuivre : « Le soutien que mon mari m’apporte ne se limite pas aux soins accordés à nos enfants. Il m’accompagne dans toutes les étapes de mes recherches et connaît par cœur les noms des magazines académiques que je lis. Pourtant, il ne travaille pas dans le domaine de la science. » La lauréate jordanienne avoue être très reconnaissante à son époux qui a raté le mariage de son frère pour être à ses côtés à Beyrouth lors de la remise des prix.

Mère de deux garçons à seulement 27 ans, Tamara Salloum assure qu’elle n’aurait pas pu décrocher ce prix, n’était-ce le soutien de son époux. « Je ne peux pas tout faire seule », dit-elle avant de poursuivre : « Les stéréotypes qui entourent la femme dans une société patriarcale comme la nôtre peuvent freiner l’ambition des chercheuses et les empêcher de réaliser leurs rêves. » Pour sa compatriote, ce prix donne aux femmes un sentiment de satisfaction personnelle. « En tant que femmes chercheuses, nous manquons de reconnaissance », déplore Laura-Joy Boulos avant de conclure : « La reconnaissance et la visibilité nous donnent envie d’aller de l’avant et de réaliser nos ambitions. » Ce même prix donne à Nouf Mahmoud le sentiment de n’être plus isolée dans son laboratoire comme dans une tour d’ivoire. « Gagner ce prix veut dire que nous ne sommes pas seules et que nos travaux sont reconnus et appréciés du monde extérieur », se réjouit-elle.

De son côté, Nidaa Ababneh souhaite être un modèle pour toutes les chercheuses jordaniennes et pour toutes les jeunes femmes qui désirent poursuivre une carrière dans le domaine de la recherche scientifique. Pour Tamara Salloum, qui développe de nouvelles approches thérapeutiques et de nouveaux vaccins contre la leishmaniose, la science est une passion. Et cette passion pourrait lui permettre de faire évoluer le domaine de la science au Liban.


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