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Moyen Orient et Monde - Élection

Le désenchantement tunisien à l’aube d’une élection plus ouverte que jamais

Les populistes ont le vent en poupe dans un climat de forte crise économique.


Un homme faisant du vélo à côté d’une affiche de campagne de Abdelfattah Mourou à Tunis. Zoubeir Souissi/Reuters

On l’a répété, encore et encore, jusqu’à en faire une sorte de leitmotiv en partie vidé de son sens : la Tunisie est une exception dans le monde arabe. C’est le seul pays à avoir « réussi » son printemps arabe, à s’être doté d’une Constitution moderne et ambitieuse, à avoir permis un modus vivendi entre les islamistes et les laïcs.

L’histoire, la petite, celle du quotidien, est toutefois beaucoup plus nuancée. Certes la Tunisie a réussi sa transition politique, ce qui n’est pas une mince affaire, mais les problèmes économiques et sécuritaires ajoutés aux querelles intestines qui rythment la vie politique ont largement assombri le tableau. Au point que, plus de huit ans après le départ de Zine el-Abidine Ben Ali, les Tunisiens abordent avec lassitude et désillusion les premières élections démocratiques réellement ouvertes de l’histoire de leur pays, ce dimanche.

La campagne a pourtant été mouvementée entre le nombre de candidatures (26), les débats télévisés entre eux, la candidature inédite d’un représentant du parti Ennahda, Abdelfattah Mourou, et l’arrestation du favori du scrutin, Nabil Karoui. Cet homme d’affaires, magnat des médias et candidat indépendant, pourrait passer dimanche le premier tour de la présidentielle alors même qu’il se trouve en prison depuis le 23 août pour blanchiment d’argent, la Cour de cassation ayant « refusé hier le recours contre le mandat de dépôt » à son encontre.

Si les populistes, à l’instar de Nabil Karoui, ont le vent en poupe, aucun candidat n’a toutefois réussi à susciter une grande dynamique en sa faveur, alors que les élections ont dû être avancées en raison du décès de l’ex-président Béji Caïd Essebsi. Et pour cause : la défiance est grande envers la classe politique. Selon un sondage du Arab Barometer, seulement 20 % des Tunisiens font confiance au gouvernement, un chiffre qui tombe à 10 % en ce qui concerne la confiance envers les partis politiques.

La crise économique est passée par là. « Le pays fait face à des défis structurels de taille : une inflation proche de 7 %, un chômage de plus de 15 % qui frappe particulièrement les jeunes diplômés, une corruption endémique et un déficit de services publiques drastique dans les territoires intérieurs du sud du pays », explique à L’Orient-Le Jour Beligh Nabli, directeur de recherche à l’IRIS. La lutte antiterroriste, thème longtemps omniprésent dans une Tunisie traumatisée par les attentats de 2015-2016, n’est plus au cœur des débats.


(Lire aussi : Fin de campagne présidentielle mouvementée en Tunisie, un des favoris reste en prison)



Abstention
En janvier 2018, une vague de contestation avait agité plusieurs villes du pays, menée par une jeunesse tunisienne exprimant son ras-le-bol face à un coût de la vie toujours plus élevé et un chômage de masse la frappant de plein fouet. « Les promesses des candidats ne passent pas », explique à L’OLJ Jamil Latrach un étudiant tunisien. « Surtout celles de Youssef Chahed – actuel Premier ministre – qui tient les rênes du pouvoir depuis trois ans sans avoir pris d’initiatives conséquentes. Je ne vois aucun futur où la situation de la Tunisie pourrait s’améliorer avec les candidats actuels, les partis sont gangrenés de l’intérieur, et mon choix se fera donc par défaut », ajoute-t-il.

Provocateur, le Premier ministre libéral a lancé jeudi sur la radio Mosaïque que seuls trois partis – le sien, celui de Nabil Karoui et Ennahda – comptaient. « Tout le reste n’existe pas sur le terrain », a-t-il ajouté.


(Lire aussi : Cinq choses à savoir sur la présidentielle en Tunisie)


D’autres candidats peuvent néanmoins figurer dans le peloton de tête, comme l’avocate anti-islamiste Abir Moussi, le ministre centriste de la Défense Abdelkarim Zbidi, ou encore l’indépendant conservateur au visage impassible, Kaïs Saïed, qui a multiplié les déplacements. Outre Youssef Chahed, plusieurs candidats se disputent l’héritage du défunt président Essebsi, ce qui risque de fragmenter leur électorat et de réduire leurs chances de victoire. De l’avis des experts, une forte abstention ferait toutefois le jeu des grands partis qui se partagent le pouvoir depuis le début de la période de transition, à savoir Nidaa Tounes et Ennahda. Le mélange de lassitude et d’exaspération de l’électorat pourrait toutefois profiter aux candidats indépendants. « Les candidats qui représentent la continuation du statu quo tels que Youssef Chahed ou Abdelfattah Mourou risquent d’en pâtir, au profit de candidats en dehors du système politique, comme Nabil Karoui, dont le discours séduit la classe populaire », explique à L’OLJ Sarah Yerkes, chercheuse au Carnegie et spécialiste de la Tunisie. Un avis partagé par Beligh Nabli, qui constate « une montée en puissance du discours populiste », qu’il explique par la « jeunesse » de la démocratie tunisienne. L’attitude des jeunes électeurs devrait être la clé de cette élection. S’ils sont davantage attirés par les candidats indépendants, ils sont aussi les plus susceptibles de s’abstenir.



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