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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Comment l’Iran tente de vendre son pétrole, malgré les sanctions US

Face aux pressions, les débouchés sont de plus en plus restreints.

Les Britanniques ont arraisonné le 4 juillet au large de Gibraltar le pétrolier iranien Grace 1, suspecté de livrer du pétrole en Syrie. Jon Nazca/File Photo/Reuters

Une nouvelle guerre des tankers se profile à l’horizon, notamment entre Britanniques et Iraniens depuis la saisie vendredi dernier par l’Iran du Stena Impero, pétrolier suédois battant pavillon britannique, quinze jours après l’arraisonnement d’un navire-citerne iranien par les autorités britanniques au large de Gibraltar.

L’Iran subit par ailleurs de plein fouet les conséquences de l’embargo américain, alors que le pays détient la quatrième réserve mondiale de pétrole. Et la fin prématurée, en avril dernier, des exemptions accordées par Washington à huit pays (Chine, Japon, Taïwan, Turquie, Inde, Italie, Grèce, Corée du Sud) a encore aggravé la situation pour la République islamique.


(Lire aussi : Comme les Européens, l'Irak a un système pour contourner les sanctions contre l'Iran)



Une chute de la production

Faute de débouchés, l’Iran est contraint de diminuer sa production. Entre mai 2018 et mai 2019, elle a ainsi baissé de 37 %, passant de 3,8 à 2,4 millions de barils/jour, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). D’après Francis Perrin, chercheur associé au Policy Center for the New South (PCNS, Rabat), en mai 2019, les exportations pétrolières du pays étaient d’environ 800 000 barils/jour, ce qui représente une baisse de 60 à 70 % en un an. Depuis, la production a encore diminué, ne représentant que 300 000 à 500 000 barils/jour.

Pourtant, l’Iran entend continuer à exporter son pétrole sur les marchés parallèles. D’après le vice-ministre iranien du pétrole, Amir Hossein Zamaninia, cité par l’agence de presse officielle IRNA, « malgré les pressions américaines sur le marché pétrolier iranien, le nombre d’acheteurs potentiels de pétrole iranien a considérablement augmenté ». Mais pour Francis Perrin, il ne faut pas exagérer l’importance des marchés noirs et gris pour un bien comme le pétrole. Selon l’expert, l’Iran ne dispose que de trois moyens pour transporter en catimini son pétrole : par camions-citernes, par oléoducs et par bateaux (tankers). Il sera toutefois très compliqué pour Téhéran de rester discret. « C’est l’une des raisons pour lesquelles les sanctions américaines sont si dévastatrices (…) L’Iran n’a aucune solution pour contrer cet impact très négatif », explique le chercheur.


(Lire aussi : Iran : les Européens excluent un mécanisme de sanctions à ce stade)



L’arraisonnement du Grace 1

Pour continuer à exporter, Téhéran est par conséquent obligé d’user de stratagèmes, en passant notamment par des intermédiaires, comme le souligne Thierry Coville, chercheur à l’IRIS et spécialiste de l’Iran. L’arraisonnement du 4 juillet au large de Gibraltar du pétrolier iranien Grace 1, suspecté de livrer du pétrole en Syrie, le prouve. Au mois de mars dernier, le quotidien israélien Haaretz publiait un article intitulé « How Iran Beat US Sanctions in Order to Sell Oil in Asia ». Selon le quotidien israélien, une partie du pétrole iranien transite via ce genre de bateaux, avec des papiers falsifiés, passant par l’Irak ou les Émirats arabes unis par l’entremise de traders. Le journal évoquait déjà le Grace 1, en expliquant que son chargement fut à plusieurs reprises transféré entre différents navires, afin de brouiller les pistes.


Le système de troc européen ne fait pas l’affaire

L’Iran a donc actuellement très peu de débouchés pour son pétrole, et le système de troc que les Européens tentent de mettre en place depuis plusieurs mois bat de l’aile. Selon les autorités iraniennes, ce système ne fait pas l’affaire. Ce mécanisme – nommé « Instex », pour Instrument in Support of Trade Exchange – a été créé en janvier 2019 par la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Il consiste à permettre aux entreprises européennes et iraniennes d’échanger, sans commercer en dollar. Pour ce faire, les entreprises européennes sont théoriquement créditées sur l’Instex en exportant leurs produits en Iran, et inversement. Cependant, la balance commerciale entre les deux partis est trop déséquilibrée pour que le système soit viable sur le long terme.

Il fait pourtant des émules. L’Irak a en effet annoncé son intention de mettre en place un système analogue. Cela pour lui permettre de continuer à se fournir en électricité venant d’Iran, dont il est dépendant, particulièrement en période de fortes chaleurs. Par ailleurs, le pays est fortement endetté auprès de son voisin, du fait d’arriérés pour l’achat de gaz et d’électricité. Néanmoins, comme pour l’Europe, la balance commerciale (hors hydrocarbure) de l’Iran avec l’Irak est déséquilibrée, au profit cette fois de Téhéran. L’Irak achète en effet pour environ 6,5 milliards de dollars de biens iraniens, pour environ 74 millions en sens inverse.

Seule potentielle bouffée d’air pour l’Iran : la Chine. Pékin souhaite en effet maintenir ses importations en pétrole iranien, malgré les pressions américaines. Les deux pays se livrent une guerre commerciale depuis plusieurs mois déjà, et l’alignement sur les desiderata américains pourrait faire l’effet d’un camouflet pour Pékin. La Chine– qui était sur la liste des pays exempts de sanctions – a pourtant réduit ses importations. D’après les informations tirées du Financial Times, les exportations de pétrole iranien à la Chine sont passées de 792 380 à 255 065 barils/jour entre avril et mai.


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