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L'art dans la ville - Photographie

Image(s) de Beyrouth à travers cinq objectifs

Gros plan à travers l’œil expert de Tarek Nahas, avocat d’affaires, amoureux de la photographie, curateur d’expositions et grand collectionneur, sur 5 photos emblématique du pays du Cèdre.

« Madame Baqari » d’Akram Zaatari

Akram Zaatari avait l’habitude de collaborer avec le grand photographe Hashem el-Madani. Un jour qu’il était chez lui et qu’il lui demande s’il n’avait jamais eu des problèmes particuliers avec sa clientèle, le photographe lui relate l’histoire qui suit :

« Mme Baqari était une jolie femme, et elle le savait. Son dada était de venir poser devant ma caméra dans un élan un peu narcissique, c’était du temps où elle était encore célibataire. Mais cette petite précieuse ne comptait pas du tout changer ses habitudes une fois l’alliance glissée à l’annulaire. Sauf que M. Baqari ne l’entendait pas de cette oreille. Il arrive chez moi, exigeant que je déchire et brûle tous les négatifs. C’était l’époque des 35 mm, et brûler Mme Baqari impliquait brûler des tas d’autres femmes avec elle sur le même ruban. C’est alors que nous vient l’idée de saisir un trombone et de rayer les négatifs pour que, ‘’à Dieu ne plaise’’, aucun autre humain ne puisse y avoir accès. » « Voilà comment moi, Akram Zaatari, je décide de me procurer cette photo rayée. Elle n’appartenait plus à personne puisque le trombone lui avait donné une nouvelle vie. D’une photo anodine, on se retrouve avec un cliché derrière lequel se cachait un incroyable récit. D’abord, elle représente la querelle des époux, ensuite, les différends entre le photographe et l’époux. » Aujourd’hui, la photographie est libérée de son contexte et de son historique. Qui a finalement réalisé cette photo ? C’est le temps, le contexte ? Est-ce le mari, le photographe ou est-ce Akram Zaatari ?

« La mariée » de Roger Moukarzel



Le 16 avril 1989, Roger Moukarzel, journaliste de guerre, s’apprête à faire plaisir à une de ses meilleures amies qui se marie. Il lui avait promis les plus belles photos. Mais en ce jour sinistre, un obus syrien s’abat sur l’ambassade d’Espagne à Hadath et emporte l’ambassadeur Pedro Manuel de Aristegui, l’écrivain Toufic Aouad et la galeriste Samia Aouad Toutounji. Moukarzel ainsi que d’autres journalistes sont tenus de se rendre sur place pour couvrir la tragédie. C’était l’époque où joindre une personne par téléphone était quasi impossible. Le photographe raconte : « Il me fallait absolument tenir ma promesse, il était 17h45 quand je suis arrivé devant la demeure de la future mariée. À l’époque, les bombardements avaient un horaire très précis, à 18h tapante, Achrafieh était tous les jours bombardée. Avec 15 minutes d’avance sur les canons, j’avais eu juste le temps de photographier la mariée sortant de l’immeuble au bras de son père, derrière un mur de sacs de sable. Pour me faire pardonner, je publie la photo, et tous les grands magazines du monde se l’arrachent, du Washington Post au New York Times. Et depuis, à chaque fois qu’un journaliste évoque la guerre du Liban, il ressort cette photo emblématique. Trente ans plus tard, on organise une exposition, « Generation War », et on expose la photo. Avec toujours le même effet choc.»

« Wonderful Beirut » de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige



Ce travail est basé sur le fond fictionnel d’un photographe libanais nommé Abdallah Farah. De 1968 à 1969, Abdallah Farah a répondu à une commande de l’État libanais et a produit des images qui ont servi à éditer des cartes postales. Représentant le centre-ville de Beyrouth, et surtout la Riviera libanaise et ses grands hôtels, celles-ci ont contribué à donner une image « idéale » de ce Liban des années 60-70 que nous n’avons pas vraiment connu. Ces cartes postales sont toujours en vente aujourd’hui dans les librairies, alors que la majorité des lieux représentés ont été détruits par les conflits armés et les guerres libanaises. À partir de l’automne 1975, Abdallah Farah a brûlé de façon méthodique les négatifs des images qui ont servi à produire ces cartes postales conformément aux batailles de rue et aux bombardements qui se déroulaient alors, suivant ainsi la trajectoire des projectiles et les destructions qui en résultaient. Il notait et inventoriait chaque information et même chaque trajectoire d’obus dans de petits carnets avant de les transposer sur ses propres images. Abdallah Farah photographie l’image après chaque brûlure qu’il provoque, ce qui donne cette série en évolution, que Joana Hadjithomas et Khalil Joreige appellent les « processus ». « Nous distinguons deux catégories de processus, notent les artistes. D’une part, les ‘’processus historiques’’, ceux qui suivent les événements scrupuleusement. D’autre part, les ‘’processus plastiques’’ où Farah a infligé de nouveaux impacts, accidentellement ou parfois volontairement à certaines images. Ces nouvelles cartes postales de guerre racontent notre présent sous forme de fiction et interrogent également la photographie dans son évolution : les négatifs, les brûlures, etc. »

« Portemilio », de Fouad Elkoury



« Le contexte aurait été tout à fait banal s’il n’y avait eu la guerre civile », souligne le photographe Fouad Elkoury. « J’habitais Beyrouth-Ouest, comme on disait, et l’ambiance était tendue. Mon père m’a alors proposé de me changer les idées et m’a suggéré de passer les check-points pour aller à l’Est dans ce fameux Portemilio qui venait d’ouvrir. Une sorte de station balnéaire pour riches. En arrivant, j’étais atterré de voir ce que les gens vivaient de ce côté de la frontière. J’ai donc cherché à faire une photo d’insouciance avec la fumée des bombes au loin. Bien entendu, le « pénis » qui jette de l’eau au milieu des cuisses des femmes était tentant. Pendant longtemps, j’ai intitulé cette image Guerre du Liban. »

« Beirut Bereft » de Ziad Antar



Beirut Bereft est une collaboration entre le photographe Ziad Antar et l’écrivaine Rasha Salti. Quand cette photo a été prise, le paysage urbain de Beyrouth portait encore les marques, les cicatrices et les vestiges de ses dix-sept années de guerre civile. Les façades criblées de balles, les murs calcinés, les sols en créneaux… Ces vestiges sont des effigies criantes de la tragédie, de la perte et de la douleur éprouvées lors de l’expérience de la guerre civile. Leurs propriétaires ne les ont pas récupérés ou réparés, pour diverses raisons sans doute, mais ils se résument essentiellement à un manque de moyens ou de motivation. Le tissu de la ville est parsemé d’autres bâtiments inachevés, souvent dans leur enveloppe de béton nu. Chacun doit avoir une histoire, mais à première vue, ils symbolisent l’échec. Nichés entre des bâtiments fonctionnels, ils sont à l’abri de l’attention et ont donc perdu leur visibilité. Ces bâtiments inachevés ont été construits dans les années 1970, 1980 et 1990, tout au long des chapitres interrompus de la guerre. L’État s’étant effondré, la corruption envahissait toutes les institutions publiques, l’agence de planification était impuissante et finalement rendue caduque, les licences et permis de construction étaient délivrés sans étude (ni suivi), assez souvent en échange d’un pot-de-vin. En conséquence, l’immobilier et la construction sont devenus l’un des moyens privilégiés pour réaliser rapidement des profits, blanchir des fonds illicites, consolider du jour au lendemain la richesse des seigneurs de la guerre. Les bâtiments inachevés se sont transformés en campements et sont devenus des points de repère stratégiques dans les batailles entre milices cherchant à étendre leur contrôle.

« Madame Baqari » d’Akram Zaatari Akram Zaatari avait l’habitude de collaborer avec le grand photographe Hashem el-Madani. Un jour qu’il était chez lui et qu’il lui demande s’il n’avait jamais eu des problèmes particuliers avec sa clientèle, le photographe lui relate l’histoire qui suit :« Mme Baqari était une jolie femme, et elle le savait. Son dada était de venir poser...

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