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Culture - Spectacle

Le corps a un alphabet et Dar Onboz l’écrit avec le cœur

Aujourd’hui, à 17h, à Citerne Beirut, Nadine Touma et Sivine Ariss, éditrices de Dar Onboz, invitent à découvrir et redécouvrir, en famille et entre amis, des plus jeunes aux plus âgés, un conte interactif, graphique et sensoriel.

Les sons de l’alphabet du corps par Dar Onboz, à Citerne Beyrouth. Photo Sivine Ariss

Dans un petit sac de papier, des graines se frottent et s’entrechoquent, secouées par la conteuse. Nadine Touma fait dire au public, en deux lettres, le son qu’il entend. L’exercice est plus difficile qu’il n’y paraît et les résultats étonnants. Enfants, parents, jeunes adultes, libanais et étrangers, chacun donne sa propre réponse, révélant que l’ouïe est éminemment personnelle et culturellement construite.

Subtile référence au nom de sa maison d’édition Dar Onboz, on ne comprend que plus tard par le goût que ce petit sac de papier continent des graines de chanvre. Cette performance, réalisée samedi dernier à Citerne Beyrouth, se répète ce samedi après-midi sur le même lieu, situé à l’intersection de la Quarantaine et de Bourj Hammoud.

Avec la musicienne Sivine Ariss, Nadine Touma souhaite raviver une tradition du conte oral en langue arabe, en hommage à une mémoire collective datant de plus de 300 ans. Constatant la disparition progressive de cet héritage dans la vie des enfants d’aujourd’hui, Dar Onboz ne peut se contenter de publier des ouvrages, car avoir une encyclopédie de contes dans son foyer ne veut pas dire qu’ils se transmettent, que leur lecture se pratique. « Les vrais conteurs sont des conteuses et font partie de ta famille, de ta vie. C’est une littérature de femmes par excellence. Elles trouvent les jeux de mots qui parlent de ton quotidien, de ton corps, des moments de ta journée, de ta beauté. Elles sont les véritables transmetteuses. » En rétablissant cette matriarchie des conteuses d’histoires, Nadine Touma souhaite réintroduire l’envie de conter au sein des familles, « au-delà même des valeurs pédagogiques, linguistiques ou culturelles. Il y a des valeurs humaines qui sont extraordinaires dans le conte ». Il ne s’agit plus de faire de l’éducation, mais de faire vivre une culture orale qui valorise la présence humaine dans la transmission.

La transmission au cœur du conte

L’essence de Dar Onboz repose ainsi sur cette soif de transmission. Si le livre est une trace, le conte est une pratique. En 2006, c’est la première maison d’édition du monde arabe qui inclut des livres audio dans les ouvrages. Ils aident non seulement le jeune public à mémoriser les histoires et les interpréter, mais se rattachent aussi par la musique aux traditions nomades. C’est également un exemple à donner pour rompre avec un ton monocorde et scolaire de la lecture de l’arabe. Ces histoires enregistrées étaient alors « un moyen de combler le vide énorme, de réintroduire la forme, sans le dire ». Les parents en témoignent : ils apprennent aussi comment raconter des histoires à leurs enfants. En étant conteuse, Nadine Touma ne transmet pas seulement un contenu mais aussi une manière de transmettre, une envie de faire vivre les contes dans l’intimité.

Elle nous invite à nous approprier culturellement ces contes, à adapter, changer les histoires pour les rendre vivantes.

« Sounds of the Alphabet of the Body » ou « Les sons de l’alphabet du corps », s’inscrit dans cette constante création et pluridisciplinarité qui caractérise Dar Onboz, et invite les spectateurs à redécouvrir en profondeur et en sensibilité l’arabe libanais, la graphie de son alphabet, la corporalité de ses sons. Dans un joyeux chaos sonore et ludique, on y déconstruit le formatage de notre perception que l’on ignorait encore alors si figé. En grattant des cordes, en froissant des chaînes, en tordant un klaxon, par un théâtre d’ombres, par l’écriture et le dessin, chacun trouve des clés de compréhension de la langue que ce soit pour la transmettre, pour l’adopter ou même l’apprendre. Il arrive que dix minutes de pratique vaillent plus qu’une année de cours.

L’humanité d’une langue maternelle

Les performances de Dar Onboz sont uniques en leur genre. Animés par l’univers si particulier de Nadine Touma et Sivine Ariss, les livres comme les séances de conte respirent cette originalité pour proposer un contenu sans précédent autant dans le fond que la forme. Ces deux facettes de Dar Onboz se complètent et s’entrecroisent : « Le livre est là, il est une trace, mais le conte c’est les gens. Ce qui est beau dans le public ce sont les passants : la dame du balcon du troisième étage, le monsieur du magasin d’à côté, celle qui vendait le café, qui traversait la route. On est dans l’émoi de l’éphémère qui laisse une trace mais dans l’humain. » Nadine Touma applique cette humanité du conte en mettant à l’honneur l’arabe libanais, dans toute sa familiarité et sa vivacité, en particulier avec « Sounds of the Alphabet of the Body » : « C’est beaucoup plus interactif que d’habitude. Parfois être conteuse veut dire que l’on mène une histoire du début jusqu’à sa fin. Là, on expérimente avec ces interjections, entre une histoire, un travail de réflexion, l’écriture, les mouvements dans l’espace. C’est aussi une façon de créer une unité avec un public mixte. »

Toutes les performances sont en arabe libanais, de même que pour les livres. En tant qu’auteure, Nadine Touma se laisse toute cette liberté d’expression, s’autorisant des mélanges linguistiques, dans ce que le dialecte libanais peut offrir de plus spontané.

Dans une scénographie en relief, innovante à l’image de ses éditrices, Dar Onboz nous invite à rencontrer notre imaginaire à travers des jeux, des ombres, du graphisme, des questions, des musiques, en s’appuyant sur nos sens pour comprendre de la langue arabe pour surtout « ne jamais s’arrêter d’inventer ».

À signaler que Dar Onboz, dans le cadre de Beirut Design Week, et en collaboration avec l’AUB neighborhood initiative, donne un second rendez-vous le mardi 2 juillet, à 18h, sur le vieux port de Aïn el-Mraïssé, pour une performance sur « Les sons de l’alphabet de la mer ».

Dans un petit sac de papier, des graines se frottent et s’entrechoquent, secouées par la conteuse. Nadine Touma fait dire au public, en deux lettres, le son qu’il entend. L’exercice est plus difficile qu’il n’y paraît et les résultats étonnants. Enfants, parents, jeunes adultes, libanais et étrangers, chacun donne sa propre réponse, révélant que l’ouïe est éminemment...

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