Rechercher
Rechercher

Idées - Urbanisme

Ne sacrifions pas le développement du Liban sur l’autel de l’austérité

La « vue » sur la baie de Jounieh depuis Harissa. Leonid Andronov/Bigstock

Depuis le vote de confiance du 15 février dernier, le gouvernement a principalement concentré ses efforts sur la question du déficit budgétaire. Au nom de « l’austérité », ses membres ont ainsi cherché des moyens de réduire les dépenses publiques – quitte à tailler dans les salaires des groupes sociaux défavorisés – tout en cherchant de nouvelles sources de revenus permettant de renflouer les caisses de l’État. Cette logique les a notamment conduit à s’intéresser à la question des infractions immobilières et en particulier celles qui concernent les structures enfreignant la réglementation relative au zonage ou aux lois de l’urbanisme (à travers un dépassement des plafonds légaux de taille ou de hauteur par exemple) ou les édifices empiétant illégalement sur le domaine public maritime.

Dans cette optique, l’imposition d’amendes sanctionnant ces infractions est avant tout vue comme une source potentiellement importante – quoique difficilement évaluable dans sa globalité – de recettes publiques.


Logique financière à court terme
Deux propositions de loi actuellement en discussion au Parlement visent ainsi à « légaliser », par le paiement d’amendes, les bâtiments violant la loi libanaise sur la construction (loi n ° 646 du 11/12/2004).

La première est une proposition de loi « régularisation des irrégularités de construction », qui permet aux propriétaires d’immeubles violant la réglementation en vigueur de payer des amendes en échange de la « régularisation » du « statut juridique » de leurs immeubles (autrement dit la légalisation de ces infractions).

La seconde, qui porte sur ce que l’on appelle « la cinquième façade », propose de modifier la loi 646/2004 pour permettre aux propriétaires d’un immeuble dépassant déjà les coefficients d’exploitation autorisés d’ajouter un étage supplémentaire avec un toit en pente (en répliquant en quelque sorte le fameux « étage el-Murr », adopté pendant la guerre civile).

À cela s’ajoute une autre proposition de loi, déjà approuvée en Conseil des ministres en avril et devant être intégrée au projet de budget 2019, qui prolonge de trois mois l’article 11 de la loi n°64 (publiée pour la première fois le 26 octobre 2017 et expirée six mois plus tard). Pendant les trois mois qui suivront l’adoption définitive du texte, les propriétaires de structures occupant illégalement le domaine public maritime auront le droit de « traiter » ( « moualaja » en arabe) leur occupation illégale du bord de mer en payant une amende. De fait, bien que la loi n°64 ne régularise pas véritablement ces empiétements illégaux, elle ne fournit aucune feuille de route pour remédier aux violations mais se contente d’imposer une sanction sous la forme d’une amende annuelle, créant ainsi une sorte d’extension indéfinie du champ de la privatisation illégale du domaine public maritime.

Ces trois textes traduisent plus que jamais une vision à courte vue des finances publiques et du rôle que les environnements naturels et bâtis doivent jouer dans une économie nationale, en les réduisant de facto à des biens non durables.

Il fut un temps où la côte libanaise, ses plages luxuriantes et ses formations rocheuses spectaculaires figuraient sur des brochures touristiques vantant un paysage naturel unique aux visiteurs du monde entier. La contribution du littoral au développement national était alors évidente : il fournissait une ressource commune profitant à de nombreuses entreprises (hôtels, restaurants, agences de voyages etc.). En empêchant l’une de ces entreprises de s’implanter directement sur la côte, la réglementation urbaine protégeait le front de mer en tant que bien commun. Ce n’est qu’avec le début de la guerre civile libanaise que les complexes touristiques privés se sont multipliés illégalement le long de la côte, interdisant l’accès à et depuis la mer et limitant les avantages offerts par la côte aux quelques privilégiés contrôlant les plages.

Or, au lieu de tenter de recouvrer ses droits sur la côte nationale et d’évaluer le potentiel de contribution à long terme de cet actif collectif au développement économique et social, le gouvernement a préféré étendre l’utilisation illégale de cet espace au nom d’une logique financière à court terme de pénalisation des contrevenants (qui continueront à dégager des profits privés substantiels de cette exploitation privée).

De même, la régularisation des constructions illégales va intégrer de manière permanente ces dernières à notre environnement, et ce, sans évaluation des dommages collectifs qu’elles peuvent causer (obstruction à l’éclairage naturel et à la ventilation, extension sur des zones juridiquement protégées, blocage de l’accès aux rues ou aux cours d’eau naturels dans les zones rurales...). Il s’agit en réalité d’un calcul étroit qui convertit en dollars les volumes dépassant les coefficients d’exploitation, mais sacrifie là encore la valorisation économique à long terme des espaces urbains et agricoles à la recherche à court terme de recettes budgétaires.


Changer les termes du débat
Le niveau des amendes prévu par cette nouvelle proposition de loi est également largement discutable, compte tenu des avantages majeurs dont bénéficient certains des contrevenants. Car non seulement les prix des terrains – sur la base desquels sont calculées les indemnités – sont systématiquement et significativement sous-évalués, mais en outre les constructions illégales dans le domaine public maritime achevées avant 1994 bénéficient de facto d’une prescription.

Pour autant, et bien que ces critiques soient tout à fait recevables, elles ignorent les coûts induits plus importants que fait peser la destruction des environnements naturels et bâtis sur le développement économique du pays, au risque de focaliser le débat public sur des questions de modalités plutôt que de principe. Ces propositions de loi reflètent de plus de graves lacunes dans la gouvernance actuelle du Liban : plutôt que de créer un cadre juridique permettant d’organiser la coopération des agences de planification, des autorités locales et nationales et des citoyens, la réglementation actuellement en discussion étend et encourage les illégalités, au mépris des innombrables déclarations de « lutte contre la corruption » dont se gargarisent les responsables publics. Autrement dit, la restauration logique d’un cadre juridique transparent pour le développement urbain et la gestion des côtes est compromise par une approche politique qui consiste paradoxalement à trouver de nouvelles opportunités lucratives au sein même de la corruption qu’elle prétend combattre.

Nos paysages sont les lieux dans lesquels nous vivons et respirons. Nous pouvons les considérer comme des espaces où nous construisons des maisons, établissons des entreprises et créons un environnement viable et une économie durable, ou nous pouvons les considérer comme des espaces transitoires desquels nous pouvons extraire temporairement des liquidités jusqu’à épuisement du filon.

Malheureusement, dans cette période de transition critique de notre histoire nationale, c’est cette seconde approche qui guide les décideurs libanais. Il est donc grand temps de changer les termes du débat : le développement économique devrait être notre première priorité et nous ne pourrons le réaliser que si nous reconnaissons que notre environnement naturel et bâti figure parmi ses piliers fondamentaux.

Une version longue de ce texte est disponible en anglais sur le site internet du Lebanese Center of Politics Studies.

par Mona FAWAZ, professeure en urbanisme à l’Université américaine de Beyrouth et membre de Beyrouth Madinati.

Depuis le vote de confiance du 15 février dernier, le gouvernement a principalement concentré ses efforts sur la question du déficit budgétaire. Au nom de « l’austérité », ses membres ont ainsi cherché des moyens de réduire les dépenses publiques – quitte à tailler dans les salaires des groupes sociaux défavorisés – tout en cherchant de nouvelles sources de revenus...

commentaires (4)

AUSTERITE D,UN COTE... PROJETS DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE DE L,AUTRE... DEVRAIT ETRE LE MOT D,ORDRE !

LA LIBRE EXPRESSION

10 h 50, le 02 juin 2019

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • AUSTERITE D,UN COTE... PROJETS DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE DE L,AUTRE... DEVRAIT ETRE LE MOT D,ORDRE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 50, le 02 juin 2019

  • nous devons / PLUTOT ILS doivent certainement avoir un DNA polonais, nos honorables ! ILS savent tres bien gerer NOS comptes a la maniere d'un epicier polonais juif ! avec parcimonie lorsqu'il s'agit de NOS sous a nous , avec generosite lorsqu'il s'agit des sous QU'ILS s'autorisent a depenser

    Gaby SIOUFI

    09 h 08, le 02 juin 2019

  • Raisonnement impeccable qui invite enfin à sortir de la logique mercantile qui, paradoxalement, compromet la croissance économique. Celle-ci ne peut s'épanouir que dans un le cadre d'un développement durable, respectueux de l'environnement et de ses protections naturelles.

    Marionet

    15 h 59, le 26 mai 2019

  • CEUX QUI ONT ACCAPARE DES TERRAINS SUR LE LITTORAL OU AILLEURS DOIVENT EN PAYER LE PRIX EN PLUS D,AMENDES POUR EXPLOITATION ILLEGALE. CES MONTANTS SONT DE L,ORDRE DE MILLIARDS DE DOLLARS. ILS PEUVENT REDUIRE SUBSTANTIELLEMENT LA DETTE PUBLIQUE. C,EST DE LA CORRUPTION ET CE SONT DES MONTANTS... PRIX DE CES ESPACES... VOLES. ILS SONT PAREILS AUX MONTANTS SOUSTRAITS PAR DIFFERENTS ARTIFICES PAR LES ABRUTIS ALIBABISTES. DES ALIBABISTES DANS LA GROTTE ET D,AUTRES EN DEHORS. TOUS DE LA MEME PASTE. DES VOLEURS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 40, le 25 mai 2019

Retour en haut