Les événements sportifs et culturels d’envergure internationale se multiplient en Arabie saoudite. En décembre dernier a été organisé un grand prix de Formula E, version électrique de la Formule 1, à Riyad. La Supercoupe d’Italie opposant la Juventus de Turin au Milan AC, deux grands clubs européens, a aussi été organisée dans le royaume en janvier dernier. Riyad souhaite aussi accueillir des combats de l’UFC, célèbre ligue de MMA, et vise l’organisation d’une coupe du monde des clubs de football dans les prochaines années.
La multiplication de ces événements est inédite dans le royaume. Avant l’arrivée de l’actuel prince héritier en 2017, l’organisation de ce type d’événements n’était pas une priorité de la famille royale saoudienne. Cette nouvelle politique sportive est le pendant d’une politique culturelle également ambitieuse. En avril 2018, le pays a organisé sa toute première Fashion Week. Le royaume a ouvert des cinémas et va bientôt inaugurer son premier opéra. De nombreux concerts se multiplient aussi, comme celui de la célèbre chanteuse américaine Mariah Carey en février dernier. Cette évolution s’inscrit dans un projet politique plus global, à savoir Vision 2030, qui doit aboutir à terme à une modernisation de tous les pans de la société saoudienne. « Mohammad ben Salmane veut donner une bonne image de l’Arabie saoudite, d’un pays en bonne santé, qui organise de nombreuses manifestations », affirme Clarence Rodriguez, correspondante en Arabie saoudite et auteure de Révolution sous le voile, interrogée par L’Orient-Le Jour. Le Paris-Dakar, véritable carte postale pour les paysages saoudiens, en est l’exemple parfait. Selon Steffen Hertog, professeur de sciences politiques à la London School of Economics, interrogé par L’Orient-Le Jour, cette politique « est d’autant plus importante maintenant après les déboires de l’affaire Khashoggi », du nom du journaliste saoudien assassiné en octobre dernier au consulat saoudien à Istanbul. L’un des objectifs est d’attirer des touristes « essentiellement auprès d’un public européen, comme le fait depuis une dizaine d’années le sultanat d’Oman », selon Raphaël Le Magoariec, chercheur du Citeres-EMAM à l’Université de Tours, interrogé par L’OLJ. Preuve en est la mise en place de visas touristiques pour les grands événements touristiques et culturels depuis octobre dernier.
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Tourisme et investissements
Mais cette stratégie du royaume compte surtout attirer les investisseurs étrangers. Le programme Vision 2030 a pour objectif de diversifier l’économie saoudienne qui ne peut plus se reposer seulement sur la vente de pétrole. Selon Raphaël Le Magoariec, l’Arabie saoudite veut « se montrer comme moderne pour attirer les investisseurs économiques étrangers. Ils ont besoin de ces derniers avec tous les défis économiques qui arrivent et la montée du chômage au sein de la jeunesse ». Cependant, les investisseurs semblent encore un peu réticents à l’idée d’investir dans un pays vu comme autoritaire et rétrograde.
Cette politique s’explique aussi par la situation sociale saoudienne. Avec un grand nombre de jeunes – plus de 45 % de la population a moins de 24 ans – souvent hyperconnectés et donc au fait de ce qui se passe ailleurs dans le monde, le royaume se doit d’augmenter l’offre de loisirs. En effet, selon Steffen Hertog, l’Arabie saoudite veut « pouvoir offrir des divertissements à sa jeunesse auparavant privée d’offre de loisirs ». Le royaume promeut le développement de sports spectaculaires qui attirent les foules, comme le football ou le catch. Une manière d’occuper la population en la divertissant « pour que sa jeunesse pense à autre chose qu’à la politique », selon Raphaël Le Magoariec.
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Le régime saoudien se positionne ainsi sur le même marché que le Qatar. Doha, qui depuis juin 2017 subit un blocus économique et diplomatique des pays du Golfe, dont l’Arabie saoudite, qui lui reprochent de financer des groupes terroristes et de coopérer avec l’Iran, a depuis longtemps adopté cette stratégie avec comme point d’orgue l’organisation de la future Coupe du monde dans l’émirat. L’Arabie saoudite a mal vécu cette attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar, comme l’affirme Clarence Rodriguez : « Les Saoudiens n’ont jamais digéré ce choix. Comme c’est un événement planétaire qui va braquer les projecteurs sur ce petit pays, cela crée une émulation mais aussi beaucoup de jalousie. » L’Arabie saoudite semble vouloir remettre le Qatar à sa place, qui « l’agace par sa capacité financière d’action à l’échelle internationale et par ses actions solitaires qui n’épousent pas ses agendas politiques », selon elle. L’Arabie saoudite souhaite ainsi réaffirmer sa position dans le domaine du sport au sein des pays du Golfe. Mais les Saoudiens ont déjà accumulé du retard par rapport au Qatar et aux Émirats arabes unis.
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Il semble que le royaume ne compte pas s’arrêter là. Il se dit que Riyad pourrait acquérir prochainement une grande équipe de sport européenne, comme le confirme Steffen Hertog : « De nombreuses rumeurs font état d’une volonté de Mohammad ben Salmane, ou d’entités liées à l’État, d’acheter une grande équipe de sport européenne. » Même si ce ne sont que des rumeurs, selon Clarence Rodriguez, « l’Arabie saoudite pourrait se positionner sur le PSG, qui semble peut-être lasser les investisseurs qataris ».
Pour mémoire