Les députés britanniques ont sévèrement désavoué hier soir la Première ministre conservatrice Theresa May en rejetant massivement son accord de sortie de l’UE lors d’un vote qui plonge un peu plus le Royaume-Uni dans l’incertitude à moins de trois mois du Brexit. La Chambre des communes a recalé le texte par 432 voix contre 202, la plus lourde défaite essuyée par un dirigeant britannique depuis les années 1920.
Le rejet de l’accord est tout, sauf une surprise tant forte était l’opposition à ce « Traité de retrait » de l’UE, âprement négocié pendant 17 mois avec Bruxelles, mais qui n’a convaincu ni les Brexiters ni les europhiles. Theresa May a désormais jusqu’à lundi pour présenter un « plan B » si elle survit à la motion de censure travailliste. Plusieurs options s’offrent à elle : s’engager à retourner négocier à Bruxelles ou demander un report de la date du Brexit, prévue le 29 mars. Le rejet du texte ouvre également la possibilité d’un divorce sans accord, particulièrement craint par les milieux économiques.
Lors d’une ultime tentative de convaincre les députés britanniques du bien-fondé de cet accord, Theresa May les avait appelés à prendre la mesure de ce vote « historique », « qui déterminera le visage du Royaume-Uni pour les décennies à venir ». « Nous avons le devoir de respecter » le résultat du référendum sur l’UE du 23 juin 2016, avait-elle déclaré dans une Chambre des communes pleine à craquer, mettant en garde : « Un vote contre cet accord n’est qu’un vote pour l’incertitude, la division et la menace très réelle de ne pas conclure d’accord ».
Nul ne s’attendait à ce que les députés adoptent le texte et l’inconnue résidait plutôt dans l’ampleur de la défaite, qui influera sur la marge de manœuvre de Theresa May.
(Pour mémoire : May met en garde contre un rejet « catastrophique » de l’accord)
« Haine » contre l’accord
Le vote a ravivé les passions dans un Royaume-Uni profondément divisé depuis le référendum de juin 2016, avec une classe politique se montrant incapable de se mettre d’accord sur le type de relation souhaité avec l’UE, entre rupture franche et maintien de liens étroits. La tension était palpable dans les milieux financiers, prêts à faire face à une forte volatilité des actifs britanniques. La livre britannique se reprenait toutefois face à l’euro et au dollar mardi, le rejet ayant été largement anticipé. Les salles des marchés des grandes banques et des sociétés de courtage devaient être animées jusqu’à tard et la puissante Association des constructeurs et des vendeurs automobiles (SMMT) a mis en garde contre « les conséquences catastrophiques » d’une sortie sans accord.
Avant le vote, la fébrilité a régné toute la journée autour du Parlement, où se sont rassemblés militants pro et anti-Brexit, drapeaux du Royaume-Uni ou de l’UE à la main. Les partisans d’un second référendum ont mis en scène une Theresa May en carton-pâte à la proue d’un bateau « HMS Brexit » en train de foncer sur un iceberg, tel le Titanic. Dans l’autre camp, Simon Fisher agitait un drapeau « Partir, c’est partir (de l’UE) ». « La seule chose qui réussisse à unir le pays jusqu’ici, c’est cet accord et la haine qu’il suscite », a-t-il argué.
Initialement prévu en décembre, le vote avait été reporté à la dernière minute par Mme May pour éviter une défaite annoncée et tenter d’obtenir des « assurances » supplémentaires des dirigeants européens. Ceux-ci se sont contentés de réaffirmer lundi que l’UE « ne souhaite pas » l’entrée en vigueur de la disposition la plus controversée de l’accord, celle du « filet de sécurité » ( « backstop » en anglais). Cette option de dernier recours prévoit de maintenir le Royaume-Uni dans une union douanière avec l’UE pour éviter le rétablissement d’une frontière physique entre l’Irlande et la province britannique d’Irlande du Nord, si aucune autre solution n’est trouvée à l’issue de la période de transition post-Brexit.